J’ai rencontré pour la première fois Jean Rouch, en décembre 1995. Cette première rencontre a eu lieu dans le cadre d’une interview. Je venais de rencontrer un des monuments du cinéma français, l’un des derniers dinosaures du cinéma direct. Fascinant que cet homme à la mémoire d’éléphant. L’interview s’est transformée en une interminable causerie.
J’ai rencontré pour la première fois Jean Rouch, en décembre 1995. je le connaissais auparavant qu’à travers ses films et ses écrits sur le Niger.
Cette première rencontre a eu lieu dans le cadre d’une interview. Je venais de rencontrer un des monuments du cinéma français, l’un des derniers dinosaures du cinéma direct. Fascinant que cet homme à la mémoire d’éléphant. L’interview s’est transformée en une interminable causerie. Je revenais le lendemain trouver Rouch au CELTHO où avec Diouldé Laya alors Directeur de ce Centre, nous prenions ensemble le café. Rouch n’arrêtait pas de me parler de son parcours singulier. Mon enregistreur n’arrêtait pas aussi de tourner.
Au bout de plusieurs jours j’avais recueilli une foule d’informations.
Que faire avec cette longue interview me disais -je ? Après avoir publié une partie dans le "Paon Africain", (un hebdomadaire indépendant nigérien) j’ai eu ce déclic : L’envie d’écrire un ouvrage sur l’itinéraire cinématographique de Jean Rouch. Depuis, je me suis mis au travail. Difficile pari. Surtout quand il s’agit de parler d’un homme dont l’activité présente de multiples facettes.
Avant la date du 14 février 2004 retenue par le Centre culturel franco-nigérien (CCFN) pour une rétrospective du cinéma nigérien et au cours de laquelle un hommage lui sera rendu à travers la projection de plusieurs de ses œuvres, j’ai voulu partager avec vous une partie de la longue et combien riche causerie que j’avais eue, il y’a 9 ans, avec ce monument du cinéma direct.
L’enfant du "Pourquoi pas"
"J’ai été le petit garçon le plus heureux du monde. je suis né en 1917, avant la fin de la première guerre mondiale de 14-18. C’était le moment où les Allemands bombardaient Paris avec un grand canon. Ma mère, mes tantes étaient parties à la campagne pour fuir ces bombardements. J’avais un an et demi. Lorsque mes oncles et mon père sont revenus de la guerre, j’étais paraît-il furieux. J’ai vu des grands gaillards arrivés. Ils sentaient mauvais, ils sentaient le tabac.
On me demandait de les embrasser. Il paraît que je refusais. J’ai eu la chance de naître dans une famille bizarre. Ma mère est normande et mon père, Catalan. Ils s’étaient vus dans des circonstances exceptionnelles. Mon père était officier de la marine. Et il était parti en 1911 avec le Dr Charcot dans l’Antarctique sur le "Pourquoi pas", un bateau à voile. Ils sont restés un an. Il y avait à bord un naturaliste qui étudiait les pingouins. Mon père faisait la météorologie. Au retour, le naturaliste qui est normand présenta sa sœur à son copain (NDLR :Le père de Rouch) qui est catalan. Je suis "un enfant du Pourquoi pas"
L’influence de Flaherty
"Mon père n’a fait voir en 1921 le premier film que j’ai vu de ma vie. Il s’agit de "Nanouk of the North " de Flaherty. Ça m’a beaucoup influencé. Ma mère qui ne voulait pas être en reste, m’a amené dans un cinéma et m’a montré "Robin des bois". J’ai commencé à pleurer. Et ma mère me demandait pourquoi je pleure. Alors, je lui ai répondu : "Mais pourquoi on tuait les gens comme ça ". Elle m’a dit :"Non, ce n’est pas vrai. Ce sont des acteurs". Voilà, comment dès le début j’ai su distinguer la fiction de la réalité".
De l’Ecole des Ponts et Chaussées à la Guerre
Jean Rouch, entre en 1937, à l’Ecole nationale des Ponts et Chaussées dans une promotion de vingt élèves ingénieurs. En 1939, lorsque éclata la seconde guerre mondiale, il fût enrôlé avec ses camarades de classe dans l’armée où ils ont été mobilisées dans le génie militaire.
Envoyés pour faire sauter des ponts et arrêter les Allemands, ils ont traversé toute la France. De retour à Paris occupé, sur instruction du Directeur de l’Ecole des Ponts et chaussées, ils décidèrent d’achever leurs études.
Nantis de leur diplôme, ils leur fallaient trouver un travail. Le ministère des colonies avait ouvert alors à Paris un bureau de recrutement d’ingénieurs pour construire des routes.
Rouch et quelques-uns uns de ses camarades décidèrent de partir pour l’Afrique. "Par dégoût dit-il d’une période épouvantable où la France était pétainiste".
La découverte du Niger
Rouch a été affecté au Niger. Après un long voyage effectué en bateau à aubes puis en camion diesel fonctionnant à l’huile d’arachide il arrive à Niamey, en décembre 1941. ici, il était chargé de construire deux "routes impériales" : le tronçon Niamey-Gao et Niamey-Ouagadougou. Environ 10 000 ouvriers travaillaient nuits et jours à construire ces routes non bétonnées. Un véritable "travail forcé".
En août 1942, sur un chantier des travaux publics à Ganguel, non loin de Niamey, la foudre tua dix manœuvres. Rouch a été aussitôt informé par un des chefs de chantier. Et tout de suite, Damouré Zika, un ami de nage dans le fleuve Niger de Rouch et chargé de la bibliothèque des travaux publics, le conseilla d’aller voir à Gangel sa grand-mère Kalia Daoudou. Sur le lieu du drame, la vieille a répandu sur les corps des foudroyés du lait de vache puis organisé une danse rituelle avec un groupe de "danseurs de possession".
Selon la vieille, Rouch a construit cette route sans demander la permission à Dongo, le "Dieu de la foudre". Il est donc "responsable" de ce coup de foudre, expression de la colère de "Dongo". Ce fut l’entrée de Jean Rouch dans le monde mystérieux des pêcheurs sorkos du fleuve Niger. Cette découverte va transformer plus tard le destin de cet ingénieur qui, petit à petit a pris goût pour l’ethnographie, un domaine réservé à l’époque aux administrateurs coloniaux.
Le premier article de Rouch sur le rituel de "Dongo hori" a été publié en octobre 1943 dans le numéro 20 des "Notes africaines" de l’Institut français d’Afrique Noire " IFAN) dirigé alors par Théodore Monod.
Rouch le "proscrit"
En 1942, Jean Rouch connaîtra des problèmes à Niamey avec l’administration coloniale. Celui qui refusa d’adhérer à la "Légion des combattants" créée par le maréchal Pétain, commença aussi à faire de l’ethnographie. Deux raisons suffisantes pour l’administration de l’expulser. C’est ainsi que Rouch a quitté Niamey comme un "proscrit" et mis à la disposition du gouverneur général Boisson à Dakar. Mais cette expulsion sera d’un grand intérêt pour Rouch qui rencontre à Dakar Théodore Monod. A la bibliothèque de l’IFAN, il s’était mis à apprendre l’ethnographie.
Démobilisé à Berlin en octobre 1945, Rouch est retrouvé à Paris où il décida de faire une licence de philosophie à la Sorbonne "pour dit-il mieux comprendre l’existentialisme de Sartre". Mais il était plus porté sur l’ethnographie. Au Musée de l’Homme à Paris, Rouch et quelques-uns uns de ses camarades présentèrent un projet : "descendre en pirogue le fleuve Niger depuis sa source jusqu’à la mer". Avec Jean Sauvy, Pierre Ponty, ils sont revenus dans ces pays d’où ils étaient partis.
Avec une camera Bell & Howell, Rouch qui a pris ses premiers cours de prise de vues auprès de Trotty Séchan, un ancien de l’IDHEC (Institut des hautes études cinématographiques) a commencé à filmer aux sources du Niger. En 1947, il présente son premier film : "la chasse à l’hippopotame".
Un film qui a été salué, ironie de l’histoire, par Jean François Tobby, le gouverneur du territoire du Niger, celui-là même qui expulsa en 1942 Jean Rouch.
Depuis, l’ingénieur est revenu au Niger où il retrouve ses amis Damouré Zika, Lam Ibrahim Dia (qui n’est plus de ce monde) et Tallou pour raconter à l’écran des belles histoires. En un demi-siècle, ils nous ont légué une œuvre gigantesque.
Disciple de Flaherty et de Dziga Vertov, Jean Rouch, est incontestablement le défenseur invétéré du cinéma direct mais aussi par sa méthode de "feed back", le partisan d’une "anthropologie partagée".
C’est à ce monument du cinéma français, ce grand ami du Niger, que le CCFN rendra hommage du 14 au 22 février, en sa présence, à travers la projection de plusieurs de ses œuvres. Notamment celle de son dernier film : "le rêve plus fort que la mort".
Cet hommage est aussi celui du cinéma nigérien dont Rouch fut un des instigateurs.
Albert Chaibou
albert_chaibou chez caramail.com
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