Filmer en ville et filmer à la campagne, c’est complètement différent. Et il faut être apte à faire l’une ou l’autre des choses. Il faut être inspiré. Il s’agit de sensibilité, de feeling, d’émotion avant tout, et de volonté de dire les choses ; beaucoup plus que de modes ou de caprices des uns et des autres.
Ouaga Saga était programmé dans la section « Panorama » du FIFF 2004. Extraits d’échanges croisés à l’issue de la projection entre l’animateur, le réalisateur Dani Kouyaté et le public.
C’est un vrai film de potes. Comment s’est passé le choix des comédiens ?
Pour moi, le pari tenait aux jeunes… il faut dire que c’est un film d’atmosphère, d’ambiance et ce n’est pas un film d’histoire. Il n’y a pas vraiment d’histoire dans ce film. Donc il a fallu que je fasse un travail assez énorme de complicité entre les jeunes. J’ai fait une audition assez rigoureuse et ces jeunes ont travaillé ensemble pendant un mois avec un coach qui sortait du théâtre. Cela les a aidés à trouver un esprit de famille et a contribué à l’atmosphère du film. Si je n’avais pas eût cette atmosphère, je pense que ça allait passer beaucoup plus difficilement.
Il y a beaucoup de souvenirs de votre enfance dans ce film…
Ce film retrace mon enfance et l’enfance de tous les jeunes burkinabé et c’est extrapolable à tous les pays d’Afrique car c’est de la débrouillardise. Ce sont les mêmes galères que l’on retrouve partout. On n’attend pas le père noël chez nous, il ne passe jamais.
Comment vous est venue l’idée d’utiliser les effets spéciaux dans le film ?
L’idée n’est pas de moi, vous vous en doutez. Chaque petit effet spécial coûte de l’argent. L’utilisation des effets spéciaux sont les caprices de la production. Moi, j’ai apporté l’atmosphère, la présence des jeunes, le rythme de Ouaga puis il ont apporté le reste, notamment les effets spéciaux. La production de ce film a été faite par une femme extraordinaire qui y croyait, je ne sais pas pourquoi. Elle s’est énormément engagée et son truc c’était les effets spéciaux. On a eu quelques conflits là-dessus et j’ai essayé d’amoindrir les dégâts …(rires du public).
En combien de temps avez-vous fait le film ?
On a tourné en 6 semaines, en béta numérique et cela nous a permit de travailler de façon assez légère et assez découpée. On a souvent travaillé avec 2 caméras.
Est-ce que le film a été vu à Ouagadougou ?
Non. Pour moi, vous êtes les premiers spectateurs de ce film car c’est la première fois que moi-même je le vois projeté en 35mm. Il n’est pas encore sorti.
J’ai remarqué que ce film est assez différent du précédent « Sia, le rêve du Python » qui était beaucoup plus historique, qu’on qualifie peut-être à tort de « cinéma calebasse ». Là, vous nous montrez la ville, ses joies, ses peines… est-ce que vous allez continuer dans cette lancée ou retourner dans un registre plus historique ?
Moi je prends ce qui arrive. Je comprends votre question mais je pense que l’on crée en fonction des circonstances, en fonction de ce que l’on a à dire et en fonction des opportunités. Je n’ai pas de principes, je pense qu’il faut de tout pour faire un monde de toutes façons. Effectivement, on nous a reproché de faire du « cinéma calebasse ». Ceci dit, je ne conjugue pas la calebasse au sens négatif. C’est un instrument fabuleux. Le problème, ce n’est pas la calebasse, c’est comment on la filme. On nous a reproché de ne pas assez filmer la vie, c’est peut-être vrai mais ce n’est pas sur commande que l’on filme mais sur inspiration.
Je pense qu’il faut arrêter de commander des trucs comme si on allait au supermarché. Les cinéastes sont des gens qui sentent des choses et qui les disent et si tu n’as pas envie de filmer la ville ou que tu ne sais pas la filmer, tu ne vas pas le faire. Filmer en ville et filmer à la campagne, c’est complètement différent. Et il faut être apte à faire l’une ou l’autre des choses. Il faut être inspiré. Il s’agit de sensibilité, de feeling, d’émotion avant tout, et de volonté de dire les choses ; beaucoup plus que de modes ou de caprices des uns et des autres.
Ce film n’est pas un bébé de moi. C’est un film que j’ai signé. Mes 2 premiers films sont des films que j’ai vomi ; c’est ça la différence.
Est-ce que les comédiens avaient déjà une certaine expérience ou était-ce une première pour eux ?
La plupart des comédiens jouaient pour la première fois, à part le jeune Kadou (Thomas Ouedraogo). Chez nous, on ne travaille qu’avec des gens qui n’ont jamais joué, le plus souvent. Autrement ce sont les mêmes que vous retrouvez dans tous les films parce qu’en Afrique, on n’a pas suffisamment d’acteurs formés. Donc, notre travail consiste à faire un casting réaliste. C’est-à-dire que si le personnage est un paresseux, j’aurai tendance à chercher dans la vie quelqu’un qui est vraiment paresseux pour ne pas avoir trop de boulot. Parce que si tu veux rentrer dans la discussion du travail de l’acteur avec quelqu’un qui ne s’y connaît pas du tout, tu fais un coup d’épée dans l’eau.
Est-ce que vous ne serez pas un peu anxieux quand vous montrerez ce film chez vous ?
Quand c’est un film que tu as vomi comme je le disais tout à l’heure, ce n’est pas un problème, ça va encore. Ca c’est mon truc que les gens aiment ou pas je m’en fous.
Par contre, quand tu fais un essai, comme je l’ai fait avec celui là, avec quelque chose qui n’est pas fondamentalement de moi, là, effectivement, il y a des enjeux qui te font flipper. Parce que si tu rates, tu te sens minable. Ce film, je pense qu’il passera sans problème au Burkina, dans les milieux populaires parce qu’ils ne se poseront pas la question des effets spéciaux.
Propos recueillis par Benoît Tiprez
Clap Noir
Association Clap Noir
18, rue de Vincennes
93100 Montreuil - France