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"En Afrique, notre art doit être utile"
Publié le : lundi 15 janvier 2007

"Dans mon film, il ne s’agit pas seulement de l’excision. Le thème c’est la liberté. Il faut sortir du canevas dans le lequel les gens semblent vouloir enfermer ce film. Il s’agit des femmes et de leur liberté. Et par-là, la liberté des peuples."

L’aîné des anciens, Sembene Ousmane a pré­senté le deuxième volet de sa tri­lo­gie "Héroïsme au quo­ti­dien" " Moolaadé ", en avant pre­mière au fes­ti­val de Cannes 2004. Il a rem­porté le prix Un cer­tain regard et nous parle de son der­nier film qui a sus­cité beau­coup d’émotion sur la croi­sette.

Clap Noir : Vous avez eu un stan­ding ova­tion de près de dix minu­tes à la fin de la pro­jec­tion de votre film. Quels sen­ti­ments vous ont tra­versé à ce moment là ?

Sembène Ousmane : Je me suis dit : " les gens sont contents alors cela signi­fie que le tra­vail a été bien fait. " J’ai pensé à tous mes col­la­bo­ra­teurs, aux tech­ni­ciens, aux acteurs. A ce groupe qui a permis que ce film voit le jour. J’ai pensé à eux.

Vous abor­dez dans votre film le thème de l’exci­sion. Comment avez-vous menez ce projet ?

Dans mon film, il ne s’agit pas seu­le­ment de l’exci­sion. Le thème c’est la liberté. Il faut sortir du cane­vas dans le lequel les gens sem­blent vou­loir enfer­mer ce film. Il s’agit des femmes et de leur liberté. Et par-là, la liberté des peu­ples. Quand des hommes déci­dent comme on le voit dans le film de confis­quer des radios appar­te­nant aux femmes, qui leur en a donné le pou­voir ? Quand on excise les jeunes filles qui l’a décidé ainsi ? C’est for­cé­ment quelqu’un qui lui en a donné le pou­voir ?

Le titre du film c’est Moolaadé et c’est un mot qui revient assez sou­vent dans le film. Qu’est-ce que cela signi­fie ?

C’est le droit d’asile, la pro­tec­tion que l’on peut deman­der à quelqu’un. Par exem­ple comme c’est le cas dans le film, des enfants ren­trent chez vous et vien­nent vous deman­der le droit d’asile. Si vous leur accor­dez votre pro­tec­tion, elle est sacrée et invio­la­ble dans le vil­lage. Ici il se trouve que des fillet­tes devaient être exci­sées et la dame qui leur accorde sa pro­tec­tion, Collé Ardo leur accorde son sou­tien quand elles s’enfuient. Ce sont là deux valeurs mora­les qui s’affron­tent.

Vous parlez dans votre pré­sen­ta­tion du film de société fermée…

Ce vil­lage sym­bo­lise une bonne partie de l’Afrique au sud du Sahara. C’est une société fermée. Les gens refu­sent le temps pré­sent pour vivre sous l’emprise de la tra­di­tion. Or la radio et la télé­vi­sion vien­nent malgré tout nous mon­trer que la moder­nité, une nou­velle ère est arri­vée. Ceux qui veu­lent tirer les peu­ples en arrière, sont des conser­va­teurs. Nous ouvrir, ne signi­fie pas nier nos valeurs.

Vous avez une appro­che assez fron­tale de votre sujet. Rien n’est édulcoré. Pourquoi ?

C’est le seul moyen, en trai­tant un tel sujet, d’attein­dre vrai­ment le public. C’est une ques­tion grave et il n’était pas ques­tion pour moi d’édulcorer quoi que ce soit.

Comment s’est dérou­lée la phase d’écriture du scé­na­rio ?
J’aurais du mal à la raconter. J’écris comme tout le monde. Je ne me psy­cha­na­lyse pas en le fai­sant. Est-ce qu’on demande sou­vent à une femme qui pré­sente un bon plat de nour­ri­ture d’expli­quer com­ment elle est par­ve­nue à ce résul­tat ?

Il y a une scène très dure dans le film c’est quand le mari de Collé Ardo lui frappe dessus devant tout le vil­lage. Le tour­nage a-t-il été dif­fi­cile ?

Oui et non. C’est un mari qui frappe sa femme sur l’ins­ti­ga­tion de son frère mais il aime cette femme. Enfin, j’ai beau­coup de mal à expli­quer un film. C’est vrai cette scène est dure mais que voulez-vous que je vous expli­que ? Je n’aime pas beau­coup parler d’un film quand on me pose des ques­tions.

Votre Cinéma est clai­re­ment mili­tant. Comme cela est-il perçu en Afrique ?

En Afrique, notre art doit être utile. Peut-être qu’un jour nous aurons un cinéma com­mer­cial mais je crois que pour le moment, notre cinéma doit être utile, mili­tant. La pro­gres­sion de toute société est for­cé­ment poli­ti­que, sociale. Je ne sais pas ce qu’on va penser de ce film en Afrique. Dans six mois je le saurai, mais il nous faut un cinéma qui sert des causes.

Vous avez fait de nom­breux films et avez plus de quatre-vingt ans. Quand on regarde Moolaadé on cons­tate que vous conti­nuez à donner des leçons de cinéma aux jeunes…

Je répète sans arrêt aux jeunes cinéas­tes quand je vais voir leur film qu’ils me don­nent un ensei­gne­ment. Celui de ne pas faire comme eux. Et je reste plus jeune qu’eux dans mes créa­tions car je crée pour mon peuple qui lui, a tou­jours vingt ans. Je reste jeune parce qu’un créa­teur est tou­jours jeune.

Vos acteurs disent de vous que vous êtes très dif­fi­cile et que tra­vailler avec vous est une vraie gageure…

C’est eux qui pleu­raient, pas moi. Sans exi­gence on n’a rien et ils devraient le savoir. Moi, je ne demande jamais assez aux afri­cains, je leur demande tou­jours trop. Chez nous, si tu meurs on t’enterre et on conti­nue.

Vous êtes le seul qui pré­sente un film afri­cain à Cannes, dans cette sélec­tion offi­cielle. Quel est votre regard par rap­port à cela ?

Je suis le seul à Cannes c’est vrai mais la sélec­tion offi­cielle ne relève pas de moi. L’Afrique n’est pas igno­rée à mon avis. Les Européens orga­ni­sent leur fes­ti­val et les Africains se plai­gnent. Nous n’avons qu’à orga­ni­ser nous-mêmes nos fes­ti­vals. Regardons-nous d’abord, res­pec­tons-nous d’abord avant d’atten­dre des autres qu’ils nous regar­dent et nous res­pec­tent.

L’équipe Clap Noir

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