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je me dis si Sembene a réussi pourquoi pas d’autres
Publié le : mardi 16 mars 2004

Comment pourrais je vous parler de Miss Claudia TAGBO sans être émue ? Cette jeune trentenaire a fait de moi une réalisatrice comblée lorsqu’elle a accepté il y a un an de jouer le rôle principal de mon premier court-métrage "La Dictée". Ce ne serait pas de surenchérir que de dire qu’ elle m’a sciée par son professionnalisme et la qualité de son interprétation.







Comment pour­rais je vous parler de Miss Claudia TAGBO sans être émue ? Cette jeune tren­te­naire a fait de moi une réa­li­sa­trice com­blée lorsqu’elle a accepté il y a un an de jouer le rôle prin­ci­pal de mon pre­mier court-métrage "La Dictée". Ce ne serait pas de suren­ché­rir que de dire qu’ elle m’a sciée par son pro­fes­sion­na­lisme et la qua­lité de son inter­pré­ta­tion. Elle est belle, a les pieds bien enra­ci­nés dans la terre ferme, et je pense que per­sonne ne me contre­dira si je rajoute qu’elle pos­sède une énergie vol­ca­ni­que à vous empor­ter dans un tour­billon. Vous avez tres­sailli en la voyant dans le rôle de l’incen­diaire tante Awa dans notre " Fatou inter­na­tio­nale", elle vous a émue dans "La valse des gros der­riè­res" de Jean Odoutan com­ment pou­vais je vous priver oh chers inter­nau­tes de Clap Noir, du plai­sir de mieux la cerner, mieux la com­pren­dre et sur­tout mieux per­ce­voir ses aspi­ra­tions d’actrice ras­sa­siée des rôles de nounou sym­pa­thi­que. Entre deux répé­ti­tions la déli­cieuse CLAUDIA a bien voulu que je plonge dans son regard péné­trant le temps de faire tomber son masque.
Zoom sur CLAUDIA TAGBO, une actrice débor­dante d’énergie.

MEIJI U TUM’SI : Claudia pour­rais tu me donner ton actua­lité en ce moment ?

CLAUDIA TAGBO : J’ai tourné un télé­film qui sort bien­tôt avec Anouk Grinbert qui s’inti­tule "ma meilleure amie" pour France 2.

Tu y joues quel rôle ?

Benh le rôle d’une nounou. En fait la nounou elle n’avait pas grand chose à faire. Elle res­tait avec les enfants. Elle était beau­coup en conflit avec un des rôles prin­ci­paux, Michèle, une clo­charde qui vient foutre un peu la ziza­nie dans notre vie ins­tal­lée. On s’accro­che un peu dans le film toutes les deux.

Comment s’est passé le tour­nage ?

Très bien, c’était avec Elisabeth Rappeneau en tant que réa­li­sa­trice. J’ai eu un bon fee­ling, un bon contact, c’était une bonne expé­rience.

Peux tu me raconter tes débuts dans le cinéma ?

Mon pre­mier long métrage était "Mama Aloko" de Jean Odoutan…Mais pour mes tous débuts, j’étais en lycée en même temps je fai­sais du théâ­tre et puis je suis venue à Paris pour faire mes études de théâ­tre en 1988, là je suis allée jusqu’à la maî­trise, maî­trise que je n’ai pas sou­te­nue à Paris VIII et que je regrette parce que j’ai tout de suite com­mencé à tra­vailler. Ma toute pre­mière expé­rience fut dans le court métrage d’Emilie Deleuze qui s’appe­lait « lettre à ABOU ».

Raconte-moi tes impres­sions quand tu t’es vue sur grand écran, la pre­mière fois ?

J’appré­hende tou­jours la caméra. Je suis quelqu’un qui a une for­ma­tion de théâ­tre. Je suis quelqu’un de très impa­tiente, j’ai un réel échange avec le public. On est en inte­rac­tion au théâ­tre. Et puis on a le temps d’évoluer dans des choses, d’évoluer dans des pistes, de les tester avant d’avoir un chemin. Au cinéma il faut être direct, très vite. J’ai eu du mal avec ça mais c’est une très belle expé­rience aussi. Plus je serai face à la caméra, mieux ça sera ; pour l’ins­tant pas beau­coup, mais ça va venir. Je pense qu’il y en a plein qui doi­vent être comme ça, quand je me vois je ne m’aime pas du tout. Et puis il y a quel­que chose que je déteste aussi, c’est ma voix. J’aime bien quand je suis en train de jouer mais après pen­dant les pro­jec­tions je m’aime pas. Je ne regarde pas en géné­ral ce que je fais et puis comme je n’ai pas de télé, ça sim­pli­fie tout.

Et quand tu regar­des en arrière quel est le film dont tu es la plus fière en tant qu’actrice ?

Sur mon petit par­cours, sur mes films …je pense que je suis très contente de « La dictée » de Meiji U Tum’si pour la bonne et simple raison que c’est la pre­mière fois que l’on me confiait un rôle prin­ci­pal, même si c’est un court-métrage mais le rôle était intense. Et puis il y avait très peu de texte, du coup j’ai joué autre­ment.

Qu’est que tu entends quand tu dis que t’as joué autre­ment ?

C’est tout simple, j’ai une petite anec­dote à vous raconter. Sur le tour­nage de "Fatou la malienne", par exem­ple j’ai été refu­sée quand même de can­tine. Je venais de déma­quiller, j’avais les che­veux hyper blancs à l’époque. Pour le tour­nage j’avais un fou­lard et sous ce vieux fou­lard il y avait des che­veux blancs. Donc la per­sonne qui s’occu­pait de la can­tine parce qu’on man­geait dans le res­tau­rant m’a dit : "Vous allez où vous ? où tu vas manger, tu ne manges nulle part" et c’est quand même le réa­li­sa­teur Daniel Vigne qui est venu dire « non, mais c’est Claudia, celle qui fait la tante Awa … ». C’est pour vous dire que jusqu’à main­te­nant on ne m’a pas donné de rôle…pas des rôles qui me cor­res­pon­dent parce que je ne suis pas d’accord pour dire qu’il y des rôles qui cor­res­pon­dent à si, là, ni…
Je sais, beau­coup de rôle que j’ai fait sont des rôles de mama ça vient peut - être aussi de ma cor­pu­lence parce que je suis un peu ronde, je ne sais pas. Ca vient peut-être de la non ima­gi­na­tion des gens, je ne sais pas. C’est des rôles qui je peux dire entre guille­mets où je n’ai pas vrai­ment besoin de talent de quoi que ce soit …c’est pour cela que je disais que j’étais sûre de « La dictée » parce que c’était pas encore une femme qui ne savait pas parler fran­çais.
C’était bien "Fatou la malienne", je ne suis pas en train de déni­grer le truc mais …c’est un rôle que j’ai fait en regar­dant mes tan­ties, mes mamans et tout ça …et d’ailleurs le tra­vail du comé­dien c’est de regar­der autour de soi et de refaire. Je n’ai pas eu de rôle où on dit c’est une femme, on va faire jouer le rôle d’une femme qui a trente ans et on y va avec toute sa fra­gi­lité, toute sa ten­dresse, pas quel­que chose de cari­ca­tu­ral que la plu­part des comé­dien­nes afri­cai­nes savent faire. Il y’a de très bonnes comé­dien­nes afri­cai­nes, très belles femmes, on peut cons­truire des choses avec elles il y a de quoi faire. Il faut seu­le­ment pour cela que les gens aient un peu d’ima­gi­na­tion.

J’ai eu l’occa­sion d’appré­cier l’actrice que tu es dans un tout autre regis­tre, dans le rôle d’une les­bienne dans « la valse des gros der­riè­res » de Jean Odoutan ? Peux tu me parler de ce que tu as res­senti en inter­pré­tant ce rôle aty­pi­que ?

En fait, dans le scé­na­rio, c’était pré­cisé qu’elle était les­bienne mais moi je pense qu’au niveau de la direc­tion on a été assez timide là dessus. Jean, n’a pas voulu pous­ser un peu trop ou trop pro­non­cer la chose mais c’est venu de la com­pli­cité des deux comé­dien­nes qui se connais­saient. Asimba, c’est une femme perdue qui n’a pas de repè­res dans son milieu fami­lial où elle était reje­tée après avoir été avec un euro­péen et après avoir eu un enfant avec lui. Elle se retrouve toute seule à élever son enfant en plus elle est en situa­tion irré­gu­lière en France. Elle se bat, elle coud dans cette petite cui­sine pour s’en sortir. Toute femme a un peu ça en elle quand elle est un peu perdue, elle a été déçue par cet homme. Si on veut faire la bio­gra­phie de ce per­son­nage, elle est venue en France pour lui, elle a tout mis sur lui…là il s’avère que c’est sa copine Akwélé qui était là donc elle s’est mise sur elle. Je pense que ce serait un homme elle serait avec l’homme. Ce n’est pas vrai­ment une les­bienne, une homo­sexuelle pro­non­cée comme on pour­rait voir dans notre société mais c’est quelqu’un qui est perdu. Elle avait tout sim­ple­ment besoin de ten­dresse et c’est un appel au secours.

As tu déjà été confron­tée au pro­blème d’iden­ti­fi­ca­tion à un per­son­nage, que les gens te pren­nent pour le per­son­nage que tu as inter­prété au cinéma ?

Oui. Sur le per­son­nage de tante Awa de "Fatou la malienne". Je me sou­viens encore ma mère, qu’on appe­lait pour dire « ta fille tu l’as mal élevée. Elle est méchante, ce n’est pas bien ce qu’elle fait. » Mais ma mère qui répon­dait « Mais non c’est un rôle, elle n’est pas comme ça vous la connais­sez Claudia, elle aime tou­jours rigo­ler. » Elle était obli­gée de me défen­dre parce que les gens se sont vrai­ment mis dans le film. Ils n’ont pas pris de dis­tance ne serait ce qu’un ins­tant.
J’ai une anec­dote, j’étais allée à Sevran, il y a des jeunes qui m’ont reconnue "Hé Madame c’est pas bien ce que vous avez fait, c’est pas cool…" Je me disais mais c’est pas vrai, c’est un film et pour­tant ce n’est pas si vieux que ça. Le tour­nage date de l’an 2000. Je pense que ça vient du fait que c’est la pre­mière fois qu’on voyait une famille afri­caine à la télé et donc les gens se sont dits qu’on a posé la caméra, c’est une vraie famille. Et ils n’ont pas cher­ché à com­pren­dre que c’est une famille cons­ti­tuée de comé­diens qui ne se connais­saient pas ni d’Adam ni d’Eve et qui jouaient ensem­ble.

En tant qu’actrice, arri­ves tu à vivre de ton métier en France ?

Oui c’est pas glo­rieux mais oui j’arrive à en vivre.

As tu déjà été confron­tée à cer­tai­nes dif­fi­cultés liées à ta cou­leur de peau ?

Benh …oui, je pense que je ne suis pas seule dans ce cas là. C’est pas seu­le­ment une confron­ta­tion par rap­port à ma cou­leur de peau. Moi il m’est arrivé d’aller à des cas­tings où on vient c’est écrit entre paren­thèse "cher­che femme entre 20 et 35 ans". On arrive dans ce cas­ting là, on ne voit pas dans leur regard " toi, t’es noire, tu ne vas pas jouer avec nous ! ce qu’on voit c’est en écrivant "cher­che comé­dienne entre 20 et 35 ans" il n’aurait pas ima­giné qu’une comé­dienne noire se sen­ti­rait concer­née et se pré­sen­te­rait. A la rigueur je ne leur en veux même pas mais je me dis "on est un peu en retard les gars il y’a deux heures de trajet juste à côté à Londres, certes ils n’ont pas la sécu­rité qu’on a, tous ces trucs mais ça joue ça bouge !" Il fau­drait qu’on se réveille un peu mais bon ça va venir…

En fait, tu as l’impres­sion que les comé­diens noirs sont ghet­toï­sés dans un cer­tain type de per­son­na­ges à jouer ?

Oui, c’est ça. Tant que le rôle n’est pas écrit pour un noir, on ne pense pas à le faire jouer à un noir. On voit plus une cou­leur de peu qu’un être humain. On voit plus la cou­leur de peau et on se dit que si demain on écrit un per­son­nage de nounou ils ne vont pas faire un cas­ting en pre­nant une blonde aux yeux bleus. Ils vont se dire « Ah peut -être qu’un magh­ré­bin ou un noir pour­rait jouer ce rôle. Mais je pense que ça va venir, ça vient…

En tant qu’actrice, ne trou­ves tu pas que tu te coupes d’une réa­lité de ton métier en n’ayant pas de télé­vi­sion ? Ce n’est pas trop frus­trant ?

Pas vrai­ment parce que je lis énormément. Je vais beau­coup au cinéma. Et puis quand je dis ; moi je n’ai pas de télé chez moi ! Certes, mais tout mon entou­rage est entouré de télé on va dire. Mais quand il y a des repor­ta­ges on enre­gis­tre je regarde. Mais je suis contre le prin­cipe de la télé­vi­sion à la maison, la télé qui est posée dans la salle à manger, ce n’est pas mon truc parce que je trouve que ça emmène le cafard ; le fait de rester devant la télé, de ne plus bouger, de ne plus com­mu­ni­quer.

Claudia, j’aime­rais avoir le regard que tu portes sur le cinéma afri­cain ?

Moi avec mon petit par­cours, j’ai tra­vaillé avec un seul cinéaste afri­cain, c’est Jean Odoutan et avec Meiji en court-métrage. Je pense qu’il faut qu’on arrête de dire cinéma afri­cain. C’est un cinéma !Déjà il faut qu’on pense comme ça. Ce qui me révolte le plus c’est quand on va voir un film réa­lisé par un réa­li­sa­teur afri­cain c’est d’enten­dre les gens du métier dire : "oui mais bon, c’est un afri­cain" genre c’est pas mal pour un afri­cain ! Il faudra qu’on arrête quand même nous même de nous rabais­ser. Un réa­li­sa­teur qui se dit réa­li­sa­teur, c’est un métier. Il faut aller à l’école, appren­dre à faire un décou­page tech­ni­que, appren­dre à diri­ger ses comé­diens sans les frus­trer…ça s’apprend tout s’apprend. Que ce soit tech­ni­que que ce soit le gars qui met les câbles celui qui fait la lumière. Si on veut faire ce métier là il faut se donner les moyens mais il faut appren­dre. Il ne faut pas qu’on se dise parce qu’on a pas les moyens donc on va faire quel­que chose d’à peu près, quel­que chose de bancal. En fait voilà le regard que je porte c’est fait à l’à peu près sans finesse. J’ai vu des films de Sembene Ousmane pour moi ce ne sont pas des films faits par un afri­cain. Le cinéma est là, les comé­diens sont justes, les cadres sont beaux…c’est du cinéma. Alors je me dis si Sembene a réussi pour­quoi pas d’autres.
Il faut qu’on se décide pour de vrai à appren­dre et non pren­dre quelqu’un qui va passer der­rière la caméra parce qu’il sait appuyer sur un bouton.

Et toi quel est le film ins­piré de l’uni­vers afri­cain ou de la dia­spora qui t’a le plus marqué ?

En ce moment j’ai mes gros­ses pério­des Sembene Ousmane. Que ce soit en livres ou en films j’en mange beau­coup. Et puis der­niè­re­ment j’ai revu les vieux de Melvin Van Peebles. Mais sinon je n’ai pas vrai­ment d’uni­vers type.

As tu eu déjà l’occa­sion de tour­ner en Afrique ?

Non.

Tu sou­hai­te­rais ?

Oh …oui ! J’aime­rais bien tour­ner en Afrique ! Ne serait ce même une pièce de théâ­tre. Je serai prête à partir pour tra­vailler sur le conti­nent afri­cain. J’étais der­niè­re­ment en voyage au Sénégal, je crois qu’il y a des choses à faire sur le conti­nent. Il faut seu­le­ment qu’on se donne un peu d’énergie. De l’énergie je ne dis pas des moyens mais je parle d’énergie. Qu’on se ras­sem­ble un peu ! Eh oui je suis prête à partir.

Claudia et Meïji

Avis donc aux met­teurs en scène de théâ­tre et aux réa­li­sa­teurs de cinéma, la belle Claudia brûle d’envie de jouer en Afrique. Elle attend donc vos pro­po­si­tions ! Car si vous avez bien fait atten­tion à ces propos, il ne serait pas ques­tion de « moyens » mais « d’énergie » alors pour une alchi­mie fusion­nelle assu­rée, foncez, je vous y invite. Mais en atten­dant la concré­ti­sa­tion de ce désir ardent, allu­mez vos postes télé­vi­sés car très pro­chai­ne­ment, vous pour­rez la voir dans « La Dictée » sur Canal France International.

Propos recueillis le 29 novem­bre 2004 à Paris
Copyright Meiji U’Tumsi / Clap Noir

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