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L’Afrique à l’honneur aux Etats Généraux du Documentaire
Publié le : jeudi 4 janvier 2007

Le festival de Lussas, est un haut lieu de rencontre des documentaristes français mais aussi internationaux, pas moins d’une quinzaine de films sur l’Afrique ont été présentés à un public avide et curieux.

La ville de Lussas a abrité cet été, du 23 août 2003, son Festival. Le fes­ti­val de Lussas, est un haut lieu de ren­contre des docu­men­ta­ris­tes fran­çais mais aussi inter­na­tio­naux, pas moins d’une quin­zaine de films sur l’Afrique ont été pré­sen­tés à un public avide et curieux. Cette pro­gram­ma­tion spé­ciale (" Afrique, le docu­men­taire à l’adresse du monde ") a été l’occa­sion de faire un état des lieux du docu­men­taire afri­cain et plus lar­ge­ment, du docu­men­taire en Afrique. Pour les réa­li­sa­teurs Africains, il s’agit d’établir une réflexion sur l’Afrique et ses drames. Pour les non-Africains, les films s’orga­ni­sent autour d’une réflexion sur le rap­port à l’autre.

Trois grands cons­tats se déga­gent de cette pro­gram­ma­tion riche et sédui­sante.

D’une part, on retrouve une Afrique mar­quée par ses mal­heurs et des met­teurs en scène afri­cains concer­nés. On pense notam­ment à l’emblé­ma­ti­que " Rwanda pour mémoire " du Sénégalais Samba Felix Ndiaye (2003), qui offre un bou­le­ver­sant ques­tion­ne­ment sur l’après-géno­cide. On retrouve dans ce film une poi­gnée d’intel­lec­tuels Africains qui tous s’inter­ro­gent sur ce drame. Toute la com­mu­nauté afri­caine est inter­pel­lée et c’est seu­le­ment main­te­nant, quel­ques années après, qu’elle peut com­men­cer à réflé­chir et effec­tuer son " devoir de mémoire ".

Douloureux et res­pon­sa­bi­li­sant, les deux films de Moussa Touré, réa­li­sa­teur séné­ga­lais, le sont aussi incontes­ta­ble­ment. Dans un style direct et épuré, le réa­li­sa­teur Sénégalais inter­roge les bles­su­res de l’Afrique des grands lacs : dans " Poussières de ville " (2001), il suit de près le destin tra­gi­que d’une bande d’enfants des rues. Dans le film sui­vant, " Nous sommes nom­breu­ses " (2003), l’auteur recueille les témoi­gna­ges des femmes vio­lées lors de la guerre civile au Congo. Tout se passe comme si les drames qui ont secoué l’Afrique cen­trale depuis une dizaine d’années avaient besoin pour être exor­ci­sés d’être abor­dés par des réa­li­sa­teurs sahé­liens, qui ont face à ces sujets une dis­tance que n’auraient peut-être pas les Congolais eux-mêmes. Une cons­cience Africaine est incontes­ta­ble­ment à l’œuvre.

Dans le regis­tre de la souf­france, on peut aussi citer le très beau et contem­pla­tif, film de la jeune Leïla Kilani, qui parle avec sub­ti­lité de la tra­gé­die de l’immi­gra­tion clan­des­tine dans " Tanger, le rêve des brû­leurs " (2002).

D’autre part, le fes­ti­val nous fait aussi décou­vrir une Afrique moderne, mili­tante, enga­gée dans la lutte. Là, ce sont les facet­tes inconnues d’un pays com­plexe, l’Afrique du Sud, très marqué par le Sida, que l’on décou­vre à tra­vers deux films. " Simon et moi " (2001), de Beverley Palesa Ditsie et Nickie Newman, raconte la vie des deux figu­res majeu­res du mou­ve­ment de libé­ra­tion gay et les­bien. Pas évident d’être black et les­bienne en Afrique du Sud. Beverley irra­die par sa pré­sence et son énergie. Dans " Ma vie en plus ", de Brian Telly (2001), on décou­vre une autre figure du mou­ve­ment social d’Afrique du Sud, Zackie Achmet, qui se bat pour l’accès à tous des médi­ca­ments contre le Sida. Un combat qui ne semble pas encore gagné en Afrique du Sud.

La poli­ti­que était elle aussi au rendez-vous avec le film très engagé de Michael Raeburn " Zimbabwe, de la libé­ra­tion au chaos " (2003) et " Mozambique, jour­nal d’une indé­pen­dance " (2003) de Margarida Cardoso. Pourtant ce n’est pas la réflexion poli­ti­que qui a dominé cette pro­gram­ma­tion, mais plutôt une réflexion citoyenne.

Enfin, le fes­ti­val nous fait décou­vrir ou redé­cou­vrir les films de " tou­babs " qui aiment l’Afrique, s’inter­ro­geant sur leur rap­port à ce conti­nent en s’enga­geant. C’est d’abord le cas avec le déjà connu Laurent Chevallier, dont deux films étaient mon­trés dans la conti­nuité : " L’enfant noir " (1995), adapté du célè­bre livre du Guinéen Camara Laye, roman d’appren­tis­sage et " Voyage au pays des peaux blan­ches " (2003), où le Français s’amuse à suivre l’acteur de son film, désor­mais devenu un jeune homme, dans un péri­ple en France. Un film sym­pa­thi­que, que n’aurait pas renié Voltaire ou Montesquieu dans leur réflexion sur l’alté­rité.

Lussas nous a aussi fait décou­vrir François Christophe et son très poé­ti­que et réussi " Facteur toubab ". Le jeune réa­li­sa­teur a pris face à l’Afrique, qui l’attire et le pas­sionne, une pos­ture par­ti­cu­liè­re­ment ori­gi­nale et inté­res­sante : il se fait le mes­sa­ger entre un ami Sénégalais exilé en Italie et sa famille au Sénégal, via sa petite caméra. Son film est coloré, débor­dant d’huma­nité et de vita­lité et ouvrant une réflexion vrai­ment inté­res­sante et nou­velle sur le lien qui nous unit à " l’autre ". La pre­mière per­sonne donne un ton très pré­sent, inti­miste sans être raco­leur. Un film que le public a beau­coup applaudi.

Les chan­tres d’une Afrique éternelle, vivante, forte de ses tra­di­tions et de ses par­ti­cu­la­ri­tés font peut-être une impres­sion plus clas­si­que mais contri­buent à donner au fes­ti­val sa cou­leur afri­caine (" L’esprit de Mopti " (1999) de Moussa Ouane, " Agadez Nomade FM " (2003) de Christian Lelong et Pierre Mortimore, " Racines loin­tai­nes " de Pierre-Yves Vandeweerd).

Il y a eu aussi une réflexion très poin­tue sur la danse afri­caine de Benoît Dervaux dans " Black spring " (2003). Le spec­ta­cle (du cho­ré­gra­phe Heddy Maalem) filmé par le fran­çais est une inter­ro­ga­tion du regard occi­den­tal sur l’Afrique à tra­vers les corps. La cho­ré­gra­phie est entre­cou­pée de scènes de l’Afrique d’aujourd’hui, met­tant le doigt sur les influen­ces autant poli­ti­ques que cultu­rel­les de la danse moderne afri­caine.

Emmanuelle Bidou a réa­lisé, avec " Amours zou­lous " (2002), un film dont la pre­mière per­sonne de la voix off révèle en fait une péné­trante et fine étude eth­no­gra­phi­que. La réa­li­sa­trice a eu accès à des témoi­gna­ges très inti­mes sur la condi­tion des femmes dans un vil­lage reculé du Natal (Afrique du Sud) parce qu’elle-même est mariée avec un homme de leur tribu. Ce n’est pour­tant pas de son lien per­son­nel avec l’Afrique qu’il est ques­tion dans le film. Ce lien est un via­ti­que, un moyen d’accé­der à la com­pré­hen­sion de l’autre. Dans ce sens, le film d’Emmanuelle Bidou est moins moderne que le " Facteur toubab " de François Christophe dont le sujet est jus­te­ment le lien (et non pas le sujet lui-même).

La condi­tion fémi­nine telle que la décrit la réa­li­sa­trice est très dure. Elle rejoint le cons­tat tra­gi­que que porte Moussa Touré dans " Nous sommes nom­breu­ses ", fai­sant le por­trait d’une femme exploi­tée, mise à l’écart, subis­sant la poly­ga­mie et plus géné­ra­le­ment la domi­na­tion d’un homme para­doxa­le­ment absent. Cette absence est à mettre en rela­tion avec le film de Leïla Kilani, " Le rêve des brû­leurs " qui mon­trent tous ces hommes, Nigérians, Sénégalais ou Maliens qui ten­tent de passer de l’autre côté de la Méditerranée…

Lussas a donc été le moment de décou­vrir une pro­gram­ma­tion Africaine riche et variée, qui laisse poin­dre une réelle cons­cience afri­caine chez ses intel­lec­tuels que sont les cinéas­tes, qui vont choi­sir de s’expri­mer plutôt dans le docu­men­taire que dans la fic­tion. L’Afrique est et reste évidemment un lieu de fan­tasme, d’explo­ra­tion, de décou­verte et d’échange qui attire beau­coup de réa­li­sa­teurs fran­çais, sou­cieux non plus tant de la décrire que d’inter­ro­ger le lien qui nous lie à elle.

Caroline Pochon

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