Le dernier des Mohicans
Publié le : jeudi 18 mars 2004

Le cinéaste ivoi­rien, Roger Gnoan Mbala, à l’atten­tion de ses confrè­res que pou­vaient décou­ra­ger les condi­tions maté­riel­les géné­ra­le­ment dif­fi­ci­les dans les­quel­les ils tra­vaillent et de ceux qui vou­laient embras­ser la car­rière de cinéas­tes disait ceci : :
"Pour nous réa­li­sa­teurs afri­cains, réa­li­ser un film relève du mira­cle. Mais nous ne bais­sons pas les bras pour autant. Nous nous bat­tons pour faire de temps en temps un mira­cle. Nous nous sacri­fions pen­dant des années pour qu’un mira­cle puisse voir le jour. Soyons fiers d’être de ceux qui ne font que des mira­cles néces­sai­res"

S’il y a quelqu’un qui a été sen­si­ble à ces propos, c’est bien Djingarey Abdoulaye Maïga, celui qui l’on appelle très gen­ti­ment le der­nier des Mohicans. En effet, Il reste parmi les cinéas­tes nigé­riens le seul depuis vingt-deux ans à réa­li­ser des longs métra­ges de fic­tion.
Etoile noire (1975, 96’ 16mm) nous montre un cer­tain Issaka Hamey res­pi­rant le bon­heur dans un ménage tran­quille avec femme docile, un enfant mignon et res­pec­tueux. Ce n’est là que la situa­tion qui pré­vaut en atten­dant le coup de foudre qui vien­dra tout balayer. Il tombe amou­reux d’une "fille de bar", que d’autres appel­lent "fille de joie". Une de celles qui tra­vaillent dans un bar ou plutôt pas­sent la jour­née à boire de bis­trot en bis­trot, pour enfin passer la nuit avec le plus offrant. Et le plus offrant, c’est sou­vent un Européen. Vous ima­gi­nez la frus­tra­tion des per­dants ! Le nou­veau rythme de vie d’Issaka per­turbe sa vie fami­liale, son épouse ne pou­vant sup­por­ter ses absen­ces intem­pes­ti­ves, rejoint ses parents. Mais le pire est à venir. La dul­ci­née le ren­voie le jour où son ami revient de France. C’est la fin de l’idylle.

Nuages noirs (1979, 100’ 16mm, fic­tion ) expose la confron­ta­tion entre un rou­ti­nier de l’admi­nis­tra­tion jouis­sant de l’appui du parti unique dont il est membre et un jeune cadre com­pé­tent, frais émoulu d’une uni­ver­sité euro­péenne. Entre le machia­vé­li­que Bonzéi, et Boubacar, l’intè­gre, le cinéaste choi­sit le triom­phe du bien.

Aube noire (1983, 90’, 16mm) revient dans le cadre fami­lial. Omar rentre d’un pays afri­cain où il vient de ter­mi­ner ses études supé­rieu­res. Il rentre avec son épouse et leur enfant. Sa famille ne lui cache pas son méconten­te­ment. Il ne s’est pas contenté d’épouser une étrangère, lui, de confes­sion musul­mane, s’est permis d’épouser chré­tienne ! Cette femme doit partir, il devra pren­dre une qui soit accep­tée par la famille. Une jolie cou­sine fera l’affaire, mais il y a une roche sous l’anguille ! Le mariage n’aura pas lieu, les époux brouillés se réconci­lient.

En 1997, lors­que Miroir noir appa­raît sur le grand écran, c’est une grande vic­toire pour son réa­li­sa­teur qui aura essuyé tous les sar­cas­mes fruits de l’incré­du­lité qui auraient pu le décou­ra­ger. Mais c’est aussi une note d’espoir du cinéma nigé­rien qui a cessé depuis une quin­zaine d’années de pro­duire des longs métra­ges de fic­tion. Djingarey Maïga venait d’admi­nis­trer la preuve que le cinéma n’était pas mort avec Oumarou Ganda. Miroir noir, comme la plu­part des films de la série noire s’ins­crit dans la tra­di­tion du drame fami­lial. Un ven­dredi, à l’heure de la grande prière musul­mane, un maga­si­nier tue d’un coup de pied son épouse en gros­sesse. La famille de la défunte lutte en vain pour que jus­tice soit rendue. Cette fois, la cor­rup­tion et les inter­ven­tions auront triom­phé du cours normal des choses. Pour une fois, le happy end n’est pas au rendez-vous !

Né en 1939 à Ouatagouna, il passe une enfance pai­si­ble dans son vil­lage natal situé au bord du fleuve, à 250 km de Niamey. Ses études pri­mai­res ter­mi­nées, l’appel de la ville résonne en lui. Il se prend la direc­tion de Niamey. Arrivé dans la capi­tale, il occupe divers emplois. En 1961, il décou­vre Sidney Poitiers dans la Chaîne, inter­pré­tant un jeune Noir fier. La sur­prise et fas­ci­na­tion que pro­dui­sent sur lui les pre­miè­res images d’un Noir à l’écran sont si fortes qu’il en naît un rêve. Celui de res­sem­bler, d’imiter, de deve­nir un Sidney Poitiers.

Peu après, il entend parler d’un cer­tain Moustapha Alassane qui tourne Aouré. A la suite de leur ren­contre, il va jouer dans Le Retour de l’aven­tu­rier, plus tard dans FVVA. Un an après ce deuxième rôle d’acteur, il quitte la Nigelec où il tra­vaillait comme rele­veur, pour s’enga­ger défi­ni­ti­ve­ment dans la car­rière ciné­ma­to­gra­phi­que.

En deve­nant assis­tant de Moustapha Alassane, il pas­sait l’autre côté de la caméra, sans jamais cesser d’appa­raî­tre à l’écran.. C’est ainsi qu’il en vient à réa­li­ser un pre­mier film, Le Ballon, en 1972. Un court métrage de fic­tion sur enfant pas­sionné de Foot-Ball. L’Ambassade d’Allemagne qui lui apporté une aide modi­que pour ce pre­mier film va le sou­te­nir dans la réa­li­sa­tion d’Aube noire, son pre­mier long métrage.

Djingarey Maïga a réa­lisé des docu­men­tai­res sur la vie quo­ti­dienne, les rites et les croyan­ces des pay­sans sur les rives nigé­rien­nes et malien­nes du fleuve.
Le dis­ci­ple de Sidney Poitiers n’a pas encore dit son der­nier mot. Les trois pre­miers ont été réa­li­sés avec un inter­valle de cinq ans envi­ron. Entre le troi­sième et le qua­trième, il aura fallu qua­torze (14) ans. Il a com­mencé à tour­ner La Quatrième nuit noire, le cin­quième de la série. S’il se plaint du manque de moyens pour faire avan­cer le tour­nage, il reste confiant parce que déter­miné, habi­tué qu’il est à lutter contre vents et marée, à pro­duire des images.

Djingarey Maïga pense comme Gnoan Mbala, que même si "réa­li­ser un film relève du mira­cle…soyons fiers d’être de ceux qui ne font que des mira­cles néces­sai­res." Les Nigériens ne se conten­te­ront pas de voir sur le petit écran, Terra nostra. En 1997, ils se sont reconnus dans Miroir noir. Cela pren­dra le temps qu’il faudra pour se revoir un jour dans La Quatrième nuit noire.

Jibril Kamil Hassan
Clap Noir
22 février 2004

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