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Un artiste et des femmes
Publié le : vendredi 19 juin 2009
Entretien avec Jean-Pierre Békolo

Les sai­gnan­tes



Quelle a été l’his­toire de ce film, qui est votre troi­sième long métrage, Les sai­gnan­tes ?

C’est un film que j’ai voulu faire pour répon­dre à un cer­tain nombre de ques­tions. Je vou­lais parler aux diri­geants, à l’élite afri­caine en géné­ral, qui est assez désin­volte dans son com­por­te­ment, comme si elle n’était pas regar­dée, tout sim­ple­ment. Et j’ai trouvé que c’était mon rôle de cinéaste de tendre un miroir, de les mon­trer, de leur dire "voilà ce que vous faites".
Puis, pour faire ce film, je me suis dit que les per­son­na­ges les plus forts, les plus inté­res­sants, poli­ti­que­ment, étaient les filles. Quand ce sont des filles qui ont un com­por­te­ment déviant, tout le monde s’en mêle. L’Eglise, les reli­gieux, l’Etat, la famille, tout le monde se sent concerné. Alors je me suis dit que les filles allaient être plus per­cu­tan­tes que des gar­çons.

D’où vient l’uni­vers du film ?

Je me suis aussi dit que j’allais trai­ter de choses extrè­mes qui fina­le­ment occu­pent la vie quo­ti­dienne en Afrique et dont on ne parle pas beau­coup au cinéma. La mort, par exem­ple. Les gens ont une vie dure, ils s’habi­tuent à cela et je trouve cela ter­ri­ble. Alors, je me suis dit que j’allais faire un film d’anti­ci­pa­tion. Les Américains appel­lent cela "cau­tion­nary tell". C’est une manière de dire : "atten­tion, si nous conti­nuons comme cela, voilà vers quoi nous irons". Il fal­lait donc faire peur en disant : "si nous conti­nuons dans cette mau­vaise voie, nous aurons une société déla­brée". En même temps, il ne fal­lait pas trahir l’image de l’Afrique, l’image des filles. Il fal­lait qu’elles res­tent belles, atti­ran­tes et que le contexte que je montre ne soit pas montré encore de manière réa­liste et glau­que. Le côté glau­que, il fal­lait que ce soit le cinéma qui le crée. Au mon­tage, il fal­lait une espèce de transe. C’est une société en transe. Ces filles vivent dans une société où pres­que tout le monde est mort, du moins men­ta­le­ment, avec la cor­rup­tion, mais elles, ne veu­lent pas mourir comme tout le monde. Voilà les dif­fé­rents éléments que j’avais pour faire cet objet fil­mi­que qu’est Les sai­gnan­tes.

Est-ce un film de genre ?

C’est un film qui flirte avec plu­sieurs genres, non pas pour faire la cari­ca­ture du genre mais pour faire que l’Afrique parle au cinéma de genre. Nous ne pou­vons pas faire du cinéma de genre sans tomber dans la cari­ca­ture. Je m’amuse tou­jours à dire que si l’on ima­gine une course-pour­suite au Cameroun entre la police et les voleurs, c’est la voi­ture de police qui va tomber en panne d’essence !... On ne peut pas imiter ces choses sans parler de notre société et de nous-mêmes. Donc, il s’agit de réconci­lier le cinéma afri­cain, ou disons, l’Afrique avec le cinéma qui se pra­ti­que par­tout. Nous avons à peu près les mêmes sujets, on peut parler de tout, mais il ne faut pas qu’on tra­hisse le mes­sage de notre propre société.

Comment s’est dérou­lée l’écriture, la mise en pro­duc­tion du film ?

Le film a été écrit très vite. J’étais au Cameroun le 11 sep­tem­bre 2001, après avoir passé une année entière aux Etats-Unis, où j’ensei­gnais. Le quo­ti­dien m’a plus sur­pris que pen­dant mes autres séjours, même si je suis né là et que j’ai grandi là. Je suis revenu en France, je suis allé au ski avec mes enfants et j’ai écrit le scé­na­rio, en deux semai­nes. Je ne sais pas skier et il fai­sait froid et moi, au ski, j’écrivais !! Je l’ai déposé à l’Avance sur recette au CNC et je l’ai obte­nue en 2002.

Pourquoi avez vous attendu 2004 pour tour­ner ?

On a espéré avoir une chaîne de télé­vi­sion, on a attendu deux ans. Michel Reilhac, sur Arte, a dit qu’il aimait la pre­mière partie et pas la deuxième. La deuxième partie est plutôt "thril­ler clas­si­que" et la deuxième partie est plus "locale", parce qu’il faut tout de même parler de la réa­lité came­rou­naise. Au pré-mon­tage, il a vu le film, il a été très néga­tif. J’ai trouvé qu’Arte, qui est censé être la chaîne qui fait des films peu pré­vi­si­bles, quand il s’agit d’Afrique, fait des films jour­na­lis­ti­ques, des films liés à l’actua­lité, à ce qu’on lit dans les jour­naux, des "films OGN" ! La dette, les enfants sol­dats... ! La rela­tion de ces ins­ti­tu­tions à l’Afrique me parait très bizarre. Dès qu’il s’agit d’Afrique, il y a quel­que chose qui n’est plus normal. Si on appli­que à l’Afrique ce que l’on dit aux autres, je crois que cela mar­che­rait. Mais chaque fois qu’il s’agit d’Afrique, on dirait qu’il y a un boulon qui saute dans la tête de la plu­part des déci­deurs. Sur Canal, ils m’ont dit que mon film, c’était du Jean-Pierre Mocky, je ne suis pas contre, mais ils n’ont pas pris mon film ! Du coup, on est partis sur une pro­duc­tion franco-came­rou­naise, en 2004.

Le film est tourné avec une caméra numé­ri­que.

J’ai tourné avec une caméra numé­ri­que que l’on a cher­chée pen­dant près de trois mois. C’est une dvcam Ikegami. L’électronique de l’Ikegami donne une image par­ti­cu­lière, qui allait per­met­tre de donner l’esthé­ti­que qu’on recher­chait. Tous les contras­tes ont été obte­nus au tour­nage. J’ai pris un chef opé­ra­teur zim­babwéen que je connais depuis long­temps, Robert Humphrey. Au début, il ne vou­lait pas tour­ner en vidéo. Je lui ai dit ce que je vou­lais en lumière. Parmi les deux filles du film, l’une a la peau très foncée, l’autre a la peau très claire, elle est métisse d’ailleurs. Quand on parle de cinéma, les chef opé­ra­teurs disent tou­jours qu’un Noir à côté d’un Blanc, c’est dif­fi­cile à éclairer, mais le film démon­tre le contraire. Les deux filles du film se res­sem­blent même pres­que, à l’image.

Pourquoi le choix de la vidéo plutôt que la pel­li­cule ?

Il ne fal­lait pas se trom­per. C’est à dire, il ne fal­lait pas faire de la vidéo pour des rai­sons d’économie, ou pour de faus­ses rai­sons. Il fal­lait faire avec la vidéo tout comme on fait avec la pel­li­cule. Il fal­lait savoir ce qu’on vou­lait faire. C’est pour cela que cela nous a pris du temps de trou­ver cette caméra. On a fabri­qué aussi nos pro­pres éclairages. A aucun moment je n’ai senti que j’étais en vidéo. On avait juste une flexi­bi­lité, sur place. On essayait de créer visuel­le­ment ce qu’on avait en tête.
Concernant la pel­li­cule, je ne suis pas un nos­tal­gi­que, quelqu’un qui s’accro­che aux choses, aux vieilles choses. Je ne suis pas conser­va­teur, dans ce sens là. Mais je suis un auteur. Je crois qu’on fait un film pour dire des choses. Chaque image, chaque plan doit dire les choses. Je suis prêt à m’adap­ter. Et puis, je suis tech­ni­cien à la base, je suis mon­teur, et je n’ai pas peur de la tech­ni­que. Je pense que la tech­ni­que se met au ser­vice d’un propos. Il y a beau­coup de pos­si­bi­li­tés aujourd’hui que l’on n’exploite pas par conser­va­tisme. C’est quand on n’a pas de contenu que l’on se contente du conte­nant. Je n’aime pas du tout les débats pour ou contre le numé­ri­que. Pour moi, le cinéma est du cinéma. Je peux pren­dre vingt ans pour faire un film avec une petite caméra numé­ri­que et avoir une exi­gence incroya­ble et à la fin, cela devient un très grand film ! Le tout, c’est ce qu’on veut dire et com­ment on le dit. C’est un peu la fai­blesse, pour moi, des Africains en géné­ral et du Fespaco en par­ti­cu­lier : s’accro­cher à la forme et non au fond.

Mais pour être éligible au Fespaco, il faut que le film soit tiré sur une copie 35...

Si on est confiant en sa capa­cité de juger, on accepte tout et on sait faire la part des choses entre ce qui est de l’ama­teu­risme et ce qui est du cinéma. Cette res­tric­tion, elle est en fait pure­ment finan­cière... Je me suis retrouvé endetté pour faire mon kiné­sco­page, pour faire une copie 35 de mon film et aller au Fespaco !

Le fes­paco a tout de même salué le film en lui décer­nant l’étalon d’argent du Yennenga en 2007

Le prix que nous avons eu au Fespaco, très fran­che­ment, était pour moi révo­lu­tion­naire ! Ce n’est pas le genre de films que le Fespaco prime. Et puis, nous avons eu des men­tions spé­cia­les, coup de coeur du jury... Je pense que le Fespaco ne fait pas cela en géné­ral mais c’est tout à son hon­neur. Je suis content que ce soit avec mon film qu’ils aient montré qu’on pou­vait aller un peu plus loin. Mais cela ne pré­sage de rien pour l’avenir, parce qu’on peut faire cela pour un film et après, le Fespaco peut rede­ve­nir conser­va­teur, comme celui-ci en 2009. Je ne sais pas si je dois me réjouir pour moi uni­que­ment ou pour le cinéma afri­cain en géné­ral. Ce genre de films sont primés plutôt à l’exté­rieur. Mais dire cela, c’est dire que les Africains ne sont pas assez sophis­ti­qués pour juger d’un film qui sort des sen­tiers battus.

Comment a réagi le public au Fespaco ?

Mon film est passé le ven­dredi et je sais que le samedi, tout le monde en par­lait dans la ville. Les gens étaient déran­gés. Cela m’a plu. Il faut que les gens soient dérou­tés. Le film a été montré aussi au fes­ti­val de film de quar­tier de Dakar en 2006 et j’ai vu, dès que le film a com­mencé, les gens se lever, per­tur­bés... Il y a eu un peu de pani­que.

Comment s’est dérou­lée la car­rière du film ? Au Cameroun, d’abord ?

Le film est sorti avant le Fespaco au Cameroun. On a cen­suré le film en disant qu’il était por­no­gra­phi­que et contre le régime. La com­mis­sion de cen­sure a demandé dix-huit coupes et a inter­dit également le film aux moins de 18 ans !! La com­mis­sion de cen­sure m’a convo­qué après la sortie, j’ai dû expli­quer chaque scène du film ! Dans la com­mis­sion, il n’y avait pas de femme ! Il y avait un repré­sen­tant de l’Eglise, un repré­sen­tant des ser­vi­ces secrets, un magis­trat, un poli­cier... C’était très inté­res­sant, cette ren­contre impos­si­ble avec ces gens qui me posaient des ques­tions sur le film. Cela dit long sur notre société, au Cameroun, et cela s’étend aux pays afri­cains : il y a un côté... sui­ci­daire, où ce qui nous concerne est traité, peut-être pas avec du mépris, mais avec dureté, alors que ce qui ne nous concerne pas est accueilli à bras ouverts. Mais il y a des gens qui lut­tent contre cela. J’ai donc béné­fi­cié du sou­tien de la presse... Donc, on a montré le film et cela a été un succès de ce point de vue. Même si les gens sor­taient en disant "on est pas sûr d’avoir tout com­pris, la pro­chaine fois, essaie de faire un film plus acces­si­ble". Et je leur réponds que quand on fait un film tous les cinq ans, voire tous les dix ans, il faut qu’il soit dense, tout de même !

Pourquoi cet accueil au Cameroun ?

Je crois qu’en Afrique, et dans cette partie de l’Afrique que je connais bien, - le Cameroun et les pays d’Afrique de l’Ouest - nous avons des pro­blè­mes avec notre propre image. Il y a des images que l’on a l’habi­tude de voir à la télé­vi­sion, au cinéma... Par exem­ple, quand on voit une femme nue, blan­che, c’est normal. Mais une femme noire nue, c’est un scan­dale ! Donc, c’est tout de même une image que l’on se ren­voie à soi-même. Notre image. Que l’on soit nu ou habillé ! La nudité n’a d’ailleurs pas tou­jours le même sens. Il y a des régions, au Cameroun, où l’on mar­chait nu !

Etiez vous cons­cient d’enfrein­dre un tabou ?

Je savais que les filles posent toutes ces ques­tions. Je savais qu’en fai­sant un film qui trai­te­rait de la sexua­lité, j’allais être à la limite. Mais si vous regar­dez le film image par image, vous ne voyez rien, c’est plutôt la ten­sion érotique. On a essayé de donner une puis­sance, par le mon­tage, par lequel on sug­gère. Ce qui est plus fort qu’une image crue.
J’ai montré le film dans un col­lège à Boston et c’était des filles noires qui m’avaient invité. Elles ont dit que c’était scan­da­leux de mon­trer des filles noires comme cela. Et à la fête, le soir, elles se met­tent à danser et je leur ai dit : "regar­dez, la manière dont vous dansez, c’est pire que mon film". Elle n’avait pas fait le lien. Quand vous dansez cer­tai­nes danses afri­cai­nes, vous dîtes que c’est la tra­di­tion, mais pour d’autres qui n’en savent rien, ces danses peu­vent être dix fois plus érotiques que le film !

C’est donc le regard qui crée l’érotisme.

Oui, et c’est le miroir. Je trouve qu’on ne se regarde pas. On asep­tise tout. Au Cameroun, il y a une expres­sion que j’adore. Quand il se passe quel­que chose, tout le monde dit : "venez voir le cinéma qu’il y a dehors !". Pour qu’il y ait le cinéma, il faut qu’il y ait quel­que chose à voir. Quand on ne voit rien, c’est qu’il n’y a pas encore le cinéma. On peut mon­trer des images sans que per­sonne ne dise :" il y a du cinéma", c’est à dire, qu’il y ait quel­que chose que l’on ne voit pas d’habi­tude.

Il y a donc plu­sieurs codes, plu­sieurs maniè­res de voir ? Quelle est la place de la tra­di­tion dans ce film ? Parler ainsi de sexua­lité, est-ce enfrein­dre une tra­di­tion ?

On accuse la tra­di­tion de beau­coup de choses, il y a d’énormes secrets (dans les socié­tés secrè­tes par exem­ple), mais en Afrique, nous vivons aujourd’hui dans des socié­tés moder­nes, même quand les gens ont des reve­nus assez fai­bles. Mais je cons­tate que dès que, d’un point de vue per­son­nel, on ne veut pas d’une chose, on accuse la tra­di­tion. Le sexe est très impor­tant dans beau­coup de reli­gions tra­di­tion­nel­les en Afrique. C’est au coeur de la vie ! Mais jamais on n’en parle dans les films... alors que ce n’est même pas tabou. La nudité, la por­no­gra­phie, tout cela est consi­déré comme venant des Blancs ! Alors, au nom de la tra­di­tion, on va me dire que parler de sexe, c’est de l’alié­na­tion !...
Autrefois, par exem­ple, chez les Béti au sud du Cameroun, avant de se marier, plus une fille avait d’hommes, plus elle était sol­li­ci­tée pour le mariage, plus elle avait de valeur ! Elles por­taient à la tailles des col­liers de perles qui repro­dui­saient le nombre d’hommes qu’elles avaient ! Donc, le mythe, lié à l’islam ou à la reli­gion chré­tienne, de la vir­gi­nité, est loin d’être uni­ver­sel.

Le film est un hymne à la femme forte.

Je crois que le mythe de la femme fra­gile est un mythe occi­den­tal. Il y a des femmes fra­gi­les en Afrique aussi, mais l’idée de la fra­gi­lité comme attri­but fémi­nin peut être mis en cause. En ban­lieue, en France, les filles peu­vent être fémi­ni­nes, sexuel­les, et dures. Leur idéal est plutôt là. Aux Etats Unis, il y a le phé­no­mène des "strong black women". Cela vient de l’escla­vage : une femme qui n’était pas solide n’avait aucune chance. Toute cette mytho­lo­gie de la femme noire forte est vraie. Avec ce qu’elles doi­vent endu­rer avec les hommes, etc... L’idée que les femmes soient fortes était impor­tante pour le film.

Y a-t-il une parenté avec les films de Tarentino et la vision qu’il donne des femmes ?

Nos deux films, Quartier Mozart et Reservoir dogs, étaient sélec­tion­nés dans la même caté­go­rie aux British Awards. Il n’a pas gagné, moi non plus d’ailleurs, mais on était dans le même hôtel. Son film était ludi­que, tra­vaillé en amont alors que mon film était "à l’arra­che" et je devais subir mon contexte, mon envi­ron­ne­ment et mes moyens. Et mon public aussi ! car je n’en avais pres­que pas, avec un film comme Quartier Mozart ! C’est devenu un clas­si­que au Cameroun, mais un succès au Cameroun n’a aucune consé­quence sur la car­rière d’un film, alors qu’un succès aux Etats Unis a une consé­quence. Un film qui plaît aux gens avec les­quels vous avez grandi, selon que vous êtes Américain ou Camerounais, cela n’a pas les mêmes retom­bées ! Mais j’ai refusé de regar­der Pulp fic­tion, parce que tout le monde m’a dit que cela allait me plaire, que cela res­sem­blait à ce que j’essayais de faire. J’ai tou­jours résisté. Je ne vou­lais pas être influencé, ou être à la mode. Je ne me nour­ris pas uni­que­ment de cinéma, d’ailleurs. Parfois, on a besoin d’une clé, mais je crois que le cinéma doit s’inven­ter.

En France, com­ment le film a-t-il été accueilli ?

Il y a eu des bonnes cri­ti­ques, dans Le Canard, par exem­ple. Mais les cri­ti­ques, par exem­ple celles de l’AFP, par­lent beau­coup de com­merce : ils deman­dent com­bien il y a de copies. Je n’ai que deux copies. Mais qu’est-ce que le com­merce a à voir avec un film ? S’il y a de l’argent der­rière le film, on peut en parler ? De la même façon, je remar­que que sur France Télévision, on parle du nombre d’audi­teurs des films. Le ser­vice public n’est pas là pour célé­brer le com­merce !

Comment s’est posée la ques­tion de la dis­tri­bu­tion ?

J’ai voulu sortir le film en France avec un ami, après le Fespaco. Mais cela ne s’est pas bien passé et du coup, j’ai sorti le film moi-même. Je me suis dit, c’est un petit film, il ne faut pas non plus se leur­rer, j’ai deux copies. Le film est sorti au Reflet Médicis et à l’Entrepôt. J’ai eu un super atta­ché de presse.

Y a-t-il des pro­jets en chan­tier ?

Je déve­loppe un projet sur Eto, le foot­bal­leur came­rou­nais. Godard disait que les foot­bal­leurs sont deve­nus les vraies stars de notre époque. J’ai suivi Eto, avec Pelé, les deux icônes... J’ai écrit une fic­tion ins­pi­rée de son his­toire, celle d’un enfant afri­cain. Je pense que les Camerounais vien­dront voir le film, parce que ce sera Eto. C’est un film pour les jeunes aussi.

Le fait de vivre en dehors du Cameroun, soit aux Etats Unis, soit à Paris, crée-t-il un regard par­ti­cu­lier, une ins­pi­ra­tion par­ti­cu­lière ?

Mon ins­pi­ra­tion est venue parce que je suis parti du Cameroun. J’ai une théo­rie sur le mou­ve­ment. Lorsqu’on voyage, on peut écrire, raconter son voyage. Le récit de voyage fait partie de la lit­té­ra­ture. Le fait d’aller voir autre chose nous ren­voie à l’endroit d’où on vient et à ce que l’on est. Je ne suis pas sûr que j’aurais pu regar­der le Cameroun si je n’étais pas parti. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a que le Cameroun que je peux regar­der, mais c’est le Cameroun qui me pas­sionne le plus.

On entend sou­vent cri­ti­quer le fait que la plu­part des cinéas­tes afri­cains ne vivent pas en Afrique, près de leur source d’ins­pi­ra­tion.

Si on appli­quait le rai­son­ne­ment aux écrivains fran­çais, par exem­ple, on ver­rait l’absur­dité de ce propos de "déve­lop­pe­ment" pri­maire : "ren­trez chez vous, déve­lop­pez votre pays"... Et voyez tous ceux qui sont restés dans le pays et qui pillent ce pays ! Personne ne les condamne, parce qu’ils sont là-bas... Appliquez ce rai­son­ne­ment à vos pro­pres socié­tés et vous verrez qu’on ne peut pas dire cela ! Et puis, ne donner de l’argent à des cinéas­tes afri­cains que parce qu’ils sont en Afrique et qu’ils font des films sur l’Afrique, c’est absurde ! Soit on est cinéaste, soit on ne l’est pas. Soit on est auteur, soit on ne l’est pas. On fait des films sur ce que l’on veut. Je ne com­prends pas bien cette ter­ri­to­ria­li­sa­tion de la créa­tion. Beaucoup de cinéas­tes afri­cains accep­tent cela. On nous a dit un moment "vous faites partie de la dia­spora, vous ne faites plus partie de l’Afrique". Mais 100% de l’équipe natio­nale de foot du Cameroun ne vivent pas au Cameroun ! Et cela ne vous choque pas quand il faut gagner les matchs ! Je pense que ce sont de faus­ses batailles. Ce qui est impor­tant, c’est com­ment on devient un auteur inté­res­sant.

Propos recueillis par Caroline Pochon
12 juin 2009

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