Quel est le parcours menant à Pour le meilleur et pour l’oignon !
Fin 2006, je suis arrivé dans le cinéma, par conviction. Je suis agronome, j’ai fait mes études d’agronomie en Algérie. J’ai vu dans le cinéma un moyen de m’exprimer, de témoigner de choses qui se passent autour de moi. Au Niger, 90% de la population est rurale. L’agriculture a un rôle important dans la société. La rencontre avec Africadoc m’a montré mes capacités et ce que je dois apprendre. Avant cette rencontre, j’avais filmé des villageois de manière pédagogique. C’est important, pour quelqu’un qui cherche à vulgariser quelque chose. Et j’avais envie de faire du cinéma. Ce film est le fruit de mon origine. Ce village que je filme, c’est mon village. Ce que les gens y vivent, c’est ce que j’ai vécu. C’est une chronique rurale, avec ce qu’elle contient de défis, de rêves, de difficultés. J’ai choisi de filmer ma cousine qui se marie et dont le père a une culture dépendante du cours de l’oignon. Je suis à la fois un fils du village et je possède une culture scientifique.
Le film a une rigueur scientifique, on connaît tous les prix avec précision.
Si je n’avais pas fait de cela un film, j’aurais fait un livre, un roman, ou un pamphlet. Quelles sont les contraintes politiques que les villageois portent ? Les gens portent encore les stigmates d’un régime politique qui a failli ôter à ce village sa vocation de culture de l’oignon... Dans le film, je ne donne pas de chiffres. Je voulais laisser les gens deviner l’importance de cette culture, les quantités produites.
Ce village est-il une métaphore pour la condition paysanne ?
En Afrique, les paysans sont rarement organisés. Ici, la production est importante, mais les gens ne sont pas organisés. Je coupe, la récolte est massive et les prix chutent ! Si les gens avaient un système de résistance qui leur permettait d’écouler, de vendre eux-mêmes leur marchandise, pourquoi pas. Si les gens viennent chez nous, on peut amener l’oignon chez eux et vendre. Il y a un problème d’organisation. S’il y a de gros producteurs, la prise de décision est plus efficace. Mais là, les producteurs sont petits et divisés. Et les spéculateurs sont très puissants, ils ont de l’argent et sont capables de déstabiliser les paysans. D’où l’absence de maîtrise des prix. Le paysan n’est pas un simple paysan. C’est lui qui produit.
Le film a-t-il une position politique ?
Mon film a interpellé les autorités. Cela rythme la vie des gens. Au Niger, il n’y a pas un gouvernement dur, on pouvait dire ce qu’on avait envie de dire. Cela fait quelques mois qu’il y a un problème. Mais des gens sont fragiles, ont peur de parler, ils ont le souvenir d’une certaine époque... L’Etat cherche même à s’approprier des solutions que les gens trouvent eux-mêmes.
Pourquoi pas de la fiction ?
Si je peux faire un documentaire, c’est mon village, je peux obtenir ce que je veux, je peux filmer partout parce que les gens savent que cela les regarde. Mon oncle sait que je suis prêt à l’aider à faire le mariage de sa fille. Pour ce sujet, je trouve donc que la fiction n’est pas à l’ordre du jour. Avec la méthode de travail que j’ai, avec Africadoc, nous avons une certaine liberté de pensée. Jusqu’ici, les sujets que j’ai traités sont des sujets que je maîtrise, je peux prévoir la moindre réaction des gens que je filme. J’aimerais maintenant faire un film dans lequel mon protagoniste va faire face à des obstacles que je vais placer délibérément sur son chemin... Le travail le plus important, est de se mettre en confiance avec la personne que l’on filme. Mais je pense qu’un jour, je ferai de la fiction.
Quels sont les films qui ont influencé ce film ?
J’ai vu un film, "Black harvest", un documentaire de cinéma direct tourné en Australie. Ce film m’a beaucoup inspiré. Jean Rouch m’a aussi influencé. Il a beaucoup influencé le cinéma au Niger. J’ai vu Jean Rouch faire des choses que même quelqu’un du milieu ne pouvait pas faire. Parce que Jean Rouch arrivait à pénétrer les choses, à se faire oublier de façon incroyable. Jean Rouch est vraiment l’ancêtre du cinéma direct. Prendre les gens dans leur vie, comme s’ils étaient en train de jouer alors qu’ils sont en train de vivre leur vie, qu’ils oublient l’objectif de la caméra. Jean Rouch est pour moi un ancêtre du cinéma du réel, il m’a beaucoup inspiré. Il y a l’humour. Quand j’essaie de traduire certaines phrases de mon film en français, je fais comme Jean Rouch : il s’en fout de ce que ça veut dire, il traduit tout simplement. Il y a des moments où il y a des choses qui sont difficiles à traduire. Une femme est "bien lavée" ou elle va "sortir de la honte". J’ai demandé à un ami traducteur, qui parle mieux français que moi et mieux haoussa que moi, il m’a dit : "fais comme Jean Rouch ! S’il n’y a pas un terme qui convient... les images aideront." Une liberté aussi.
Oumarou Ganda, est-ce une référence ?
En tant qu’acteur chez Jean Rouch, c’est une référence. J’ai vu ses films mais je préfère ceux réalisés par Jean Rouch.
Le cinéma burkinabé ? Souvent, les intrigues se déroulent au village. Que pensez vous des "films calebasse" ?
Je n’ai pas vu de films calebasse. Mais ce que j’ai vu du cinéma africain pour l’avoir étudié... chaque pays à son propre style, ses empruntes. Si je vois un film burkinabé en cours, même pas avec la langue, je sais que c’est un film burkinabé ! Si je vois un film sénégalais, j’arrive à deviner que c’est un film sénégalais. Maintenant, quel cinéma pour l’Afrique ? le western, le genre français ? Le cinéma africain a eu beaucoup d’influences, mais sa particularité, ce sont ses décors naturels. Pas besoin de studio. Maintenant, c’est difficile de tourner en Afrique à cause des panneaux publicitaires.
Dans votre film, on voit une Afrique traditionnelle.
C’est un village. Les maisons en banco sont adaptées aux conditions climatiques. Les gens sont naturels et je les ai filmés naturellement. Les gens n’ont pas changé leur comportement pour le film. Il y a une grande différence entre le village et la ville.
Y a-t-il autre chose à ajouter ?
Je voudrais ajouter quelque chose sur le rôle du cinéaste en Afrique. Est-ce que les cinéastes africains doivent se contenter de témoigner ou alors doivent-ils combattre ? A une époque, le cinéma africain s’est battu pour combattre le cinéma colonial, qui donnait des images de l’Afrique que nous contestions. Des gens, s’ils voient au générique que le cinéaste est africain, ils se le disent. Souvent je me dis : "tiens, si c’était un Africain, il n’allait pas faire ça". Il y a un regard. Il faut aussi qu’on sorte de ce simple regard naïf et que l’on arrive à défendre ou à protéger quelque chose. S’il se passe quelque chose chez moi, qu’au fond de moi, j’ai une position, est-ce que je fais un film pour montrer ma position ? Aujourd’hui, au Niger, les journalistes prennent énormément de risques. Il y avait un film de Jean Louis Saporito "vivre dans le pays le plus pauvre du monde". On l’a censuré. Mais nous l’avons montré et les officiels l’ont vu, ils ont dit : "il n’y a rien de grave, c’est le titre qui nous a effrayé".
Vous avez la difficulté de professionnaliser votre démarche, mais c’est aussi la garantie de liberté de ne pas dépendre d’une structure ?
J’enseigne aussi, je fais du journalisme, j’interviens sur l’agronomie. Le cinéma ne nourrit pas son homme. Il y a des moments où la matière est là mais on n’a pas les moyens de filmer. Si je veux filmer une manifestation, on refuse de me prêter une caméra parce qu’elle risque d’être cassée... Donc, il vaut mieux avoir ses propres moyens de production.
Propos recueillis par Caroline pochon
Clap Noir
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