Accueil > Archives > 2009 > Décès de Samba Félix Ndiaye
Décès de Samba Félix Ndiaye
Publié le : dimanche 8 novembre 2009
Communiqué du Festival international du film d’Amiens

C’est avec une grande tris­tesse que nous avons appris la brus­que dis­pa­ri­tion, le 6 novem­bre à
Dakar, de Samba Félix Ndiaye ; il avait 64 ans.


© D.R.

Revenu dans son Sénégal natal depuis quel­ques années, Samba Félix Ndiaye a passé près de
trois décen­nies en France, tout en fil­mant avec une grande sen­si­bi­lité son pays et son
conti­nent. Homme aussi bon que pas­sionné, Samba Félix Ndiaye était à l’écoute des autres et
aimait par­ta­ger ses idées comme son expé­rience. Il res­tera tou­jours, pour ceux qui l’ont
connu, le cinéaste indi­gné par toutes les formes d’injus­tice qui frap­paient le Continent : en
Afrique de l’ouest comme du côté des Grands Lacs. Son cinéma en témoi­gne si besoin est.
Considéré à juste titre comme le père du cinéma docu­men­taire afri­cain, il n’aimait pas cette
étiquette et sou­riait en niant cette affir­ma­tion. Il évoquait le tra­vail des jeunes cinéas­tes du
Continent, le seul vala­ble pour lui.

Dès son pre­mier film, Perantal (1975), Samba Félix Ndiaye s’oriente vers le docu­men­taire,
« À aucun moment je n’ai douté de la proxi­mité de la fic­tion et du docu­men­taire, mieux, je
trouve que la fron­tière entre ces deux formes de cinéma est très mince. Quoi qu’un peu
par­ti­san sur les bords, je consi­dère sou­vent que le renou­vel­le­ment de la fic­tion passe par les
cinéas­tes qui oeu­vrent aussi dans le docu­men­taire, ou qui sont en tout cas des
docu­men­ta­ris­tes à la base.
 » (in Le Film Africain, n° 35/36). Après avoir été tenté par la
fic­tion (il a long­temps cher­ché à finan­cer un long métrage sur les signa­res de Saint Louis du
Sénégal), toute sont oeuvre sera consa­crée au docu­men­taire : « Il faut savoir que les pre­miers
films du cinéma afri­cain sont des docu­men­tai­res. Je pense que Borom Sarret de Sembène
Ousmane est un film docu­men­taire. Et s’il est un film afri­cain qui m’a donné envie de faire du
cinéma, c’est bien celui-là.
 » (ibid.).

Dans les années soixante, Samba Félix Ndiaye se forge une véri­ta­ble culture
ciné­ma­to­gra­phi­que : « Dakar. Il y a de cela une tren­taine d’années, nous étions pas­sion­nés de
cinéma. Deux fois par semaine, nous nous réu­nis­sions dans la petite salle de pro­jec­tion du
CCF (Centre Culturel Français) pour assis­ter aux séan­ces du Ciné-Club. Au fil du temps, de
révol­tes en révo­lu­tions, nous avions fini par en pren­dre pos­ses­sion. Nos choix par­ti­sans, nos
que­rel­les fra­tri­ci­des, nos sem­pi­ter­nel­les pro­vo­ca­tions et nos mena­ces avaient usé les nerfs
des ani­ma­teurs paten­tés du centre (…) nous étions jeunes, pas­sion­nés bouillon­nants,
pré­ten­tieux, inso­lents et sur­tout très bien docu­men­tés.
 » (Le Film afri­cain, n° 27). C’est à
cette époque qu’il décou­vre les films qu’il reven­di­quera comme cer­tai­nes de ses influen­ces :
Terre sans pain (Las Hurdes) de Luis Buñuel, A Valparaiso de Joris Ivens, Tabou de F.W.
Murnau, Nanouk l’Esquimau de Robert Flaherty et sur­tout Rome, ville ouverte de Roberto
Rossellini, mais aussi Pather Panchali de Satyajit Ray, Le Voleur de bicy­clette de Vittorio de
Sica. Les grands auteurs du cinéma novo bré­si­lien l’ont aussi for­te­ment marqué, à l’instar
d’autres cinéas­tes séné­ga­lais.

Samba Félix Ndiaye a tou­jours été préoc­cupé par l’avenir et l’évolution du docu­men­taire en
Afrique. Il n’était pas avare de conseils, mais aussi de cri­ti­ques : « Un cinéaste, c’est son
regard per­son­nel qui nous montre la chose qu’il est le seul à voir. Les cinéas­tes, d’où qu’ils
vien­nent, ne nous disent que leur part de vérité, un reflet de leur réa­lité. Le cinéma c’est l’art
de l’arti­fice, tou­jours en quête d’une vérité, uti­li­sant des machi­nes enre­gis­treu­ses capa­bles de
saisir, chez les êtres les plus ano­dins, des beau­tés d’une extrême pro­fon­deur. Comment se
fait-il que, depuis trois géné­ra­tions de cinéas­tes au moins, les pro­blè­mes de forme et de fond
qui agi­tent la ciné­ma­to­gra­phie afri­caine ne trou­vent pas de solu­tions théo­ri­ques ; est-ce que
nous avons ten­dance à isoler la toile du cadre ?
 » (Le Film afri­cain, n° 27).

En 1989, Samba Félix Ndiaye réa­lise une magis­trale série de cinq courts métra­ges, Le Trésor
des pou­bel­les ; une évocation de la magie et du savoir-faire des Dakarois dans la
trans­for­ma­tion des maté­riaux de récu­pé­ra­tion. Des films sans pra­ti­que­ment aucun
com­men­taire ; le réa­li­sa­teur ne pro­vo­que jamais de véri­ta­bles entre­tiens, mais laisse parler
ceux qui sont devant la caméra, il les filme à sa hau­teur. Par la suite il fera tou­jours preuve
d’humi­lité et de recul dans sa façon de pré­pa­rer ses films, de tour­ner et d’abor­der ses
inter­lo­cu­teurs. En cela, il affirme sa dette vis à vis du talent de conteuse de sa grand-mère et
pose son lien direct avec l’héri­tage afri­cain.

Il nous laisse un regard vif, lucide et huma­niste sur les petits métiers du Sénégal (Le Trésor
des pou­bel­les), sur la voie de chemin de fer et axe de com­mu­ni­ca­tion entre le Sénégal et le
Mali (Dakar-Bamako), sur le vil­lage de Ngor menacé par l’urba­ni­sa­tion daka­roise (Ngor,
l’esprit des lieux), sur Léopold Sedar Senghor (Lettre à Senghor), sur la tra­gé­die du Rwanda
(Rwanda pour mémoire), sur l’évolution et l’avenir de l’Afrique (Questions à la terre
natale)… Son oeuvre ines­ti­ma­ble a marqué et ins­pi­rera encore plu­sieurs géné­ra­tions de
réa­li­sa­teurs.

Le Festival inter­na­tio­nal du film d’Amiens par­tage la grande tris­tesse de ses pro­ches et, aux
côtés de nom­breux cinéas­tes, rendra hom­mage à ce créa­teur sen­si­ble et d’une rare exi­gence
intel­lec­tuelle lors de sa 29ème édition.

Également…
1

Clap Noir
Association Clap Noir
18, rue de Vincennes
93100 Montreuil - France
Tél /fax : 01 48 51 53 75