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C’est arrivé en Namibie, au début du XXème siècle...
Publié le : mercredi 9 mai 2012
NAMIBIE, le génocide du IIème reich, documentaire de Anne Poiret

A voir dans La case du siècle sur France 5 le 27 mai à 22H00




Crédit photo : Les archi­ves natio­na­les de Namibie

En Namibie, au début du XXème siècle...

La Namibie vit appa­raî­tre des pre­miers camps de concen­tra­tion. C’est dans ce pays d’Afrique aus­trale que l’Allemagne a commis son pre­mier géno­cide, au début du XXème siècle (de 1904 à 1907). Comme l’expli­que le com­men­taire de ce film réa­lisé par Anne Poiret, l’Allemagne de Bismarck, lésée par le Congrès de Berlin (« le par­tage de l’Afrique »), man­quait de colo­nies, contrai­re­ment à ses deux riva­les euro­péen­nes, la France et l’Angleterre. La Namibie fut donc le lieu d’une expé­ri­men­ta­tion colo­niale, de courte durée, dont les consé­quen­ces poli­ti­ques sont fine­ment ana­ly­sées par le film.
Un peu comme Hannah Arendt établit l’anti­sé­mi­tisme aux ori­gi­nes du tota­li­ta­risme, le film met clai­re­ment en rela­tion l’appro­che colo­niale raciale de l’Allemagne des années 1900, avec les déri­ves que l’on connaît durant le XXème siècle en Europe. Pour ceux qui ont suivi en France les films de Serge Bilié, les tra­vaux faits à propos de la Vénus Hottentote, ou encore l’expo­si­tion « exhi­bi­tions, l’inven­tion du sau­vage » au Musée du Quai Branly, la prise de cons­cience des raci­nes his­to­ri­ques du racisme n’est pas nou­velle. On fran­chit juste un pas de plus, et ce pas donne le fris­son. La Namibie n’a obtenu son indé­pen­dance qu’en 1990. Depuis, les des­cen­dants des com­mu­nau­tés se bat­tent pour que l’Allemagne reconnaisse ce géno­cide (estimé à 100 000 morts). Les his­to­riens débat­tent encore actuel­le­ment des concor­dan­ces et des liens avec la Shoah.

Démarche scien­ti­fi­que et vio­lence colo­niale

Dans un docu­men­taire sobre et clas­si­que, la réa­li­sa­trice fran­çaise cher­che les traces : les lieux du crime, les pro­ta­go­nis­tes de l’époque, que l’on retrouve sur quel­ques sai­sis­san­tes photos noir et blanc. Elle va également à la ren­contre des des­cen­dants : des Allemands de Namibie, accou­dés au bar de leur pub, qu’elle montre comme une popu­la­tion cram­pon­née au déni et pri­son­nière de son iden­tité, ainsi que de son his­toire. Elle filme aussi des gens des eth­nies Héréros et Namas déci­mées à l’époque ; leur combat pour la mémoire, qu’elle suit jusqu’en Europe, où une délé­ga­tion vient ren­contrer les ins­ti­tu­tion­nels : il s’agit de récu­pé­rer des crânes de leurs ancê­tres dans une faculté alle­mande. Ces crânes avaient été uti­li­sés par les phré­no­lo­gues de l’époque à des fins com­plexes : faire des expé­rien­ces, mesu­rer le déve­lop­pe­ment racial en fonc­tion de la forme du crâne. C’est tout le sens des déri­ves de la phré­no­lo­gie, dont la méde­cine se déta­chè­rent après la guerre.
Ainsi, comme le met en évidence le film, la démar­che scien­ti­fi­que euro­péenne et la vio­lence colo­niale sont-elles intrin­sè­que­ment liées. Le pire est que ces crânes sont exhu­més et tou­jours réper­to­riés. La caméra s’attarde sur des nota­tions effec­tuées sur un crâne et dûment repor­tée dans un regis­tre...

Des Noirs et des Allemands sur France 5

Réalisé de façon tra­di­tion­nelle, par un mon­tage rai­sonné d’archi­ves, de témoi­gna­ges, d’ana­ly­ses d’his­to­riens et quel­ques séquen­ces fil­mées sur place aujourd’hui, le film a le grand mérite d’être un exposé his­to­ri­que clair et impla­ca­ble. On saluera France 5 d’avoir choisi de copro­duire un film qui n’a rien d’ « iden­ti­fiant » pour la ména­gère : des Noirs et des Allemands ! La chaîne ne s’est pas trom­pée quant à l’impor­tance his­to­ri­que d’un tel sujet. Le tra­vail de mémoire d’un peuple peut pren­dre le détour d’une parole autre, ici, en l’occur­rence, c’est une chaîne natio­nale fran­çaise qui prend cette res­pon­sa­bi­lité. Après tout, les pre­miers livres sur l’occu­pa­tion en France avaient été écrit par un his­to­rien amé­ri­cain.
Le film n’a pas été montré en Namibie. Il n’y a pas eu non plus de pro­jec­tion en Allemagne, mais ce sujet y a déjà été abordé. Pour le réa­li­sa­teur came­rou­nais Jean-Marie Teno, le géno­cide en Namibie avait été déjà évoqué dans son film Le malen­tendu colo­nial, en 2004 (passé sur Arte sous le titre "allez dans le monde entier"). Il expli­que également qu’un tra­vail impor­tant a été fait sur la mémoire de ce géno­cide en Allemagne. Cependant, l’accès de telles infor­ma­tions à une chaîne her­zienne, capa­ble de tou­cher un large public en France n’en reste pas moins une pre­mière.
Le film a donc une mis­sion à rem­plir. On aime le docu­men­taire lorsqu’il agit sur le réel. On ne peut qu’encou­ra­ger les spec­ta­teurs à pren­dre cons­cience de ces pages d’Histoire encore peu connues.

Caroline Pochon
8 mai 2012

NAMIBIE, le géno­cide du IIème reich
Documentaire, France, 52 min
Auteur : Anne Poiret
Images : Fabrice Launay, Maxime Liogier
Production : Bo Travail
Contact presse : Frédéric Goetz fre­de­ric.goetz chez fran­cetv.fr

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  • Le 3 juin 2012 à 20:24, par Nederlander

    Ce reportage diffusé sur TV5 sur les atrocités perpétrées par l’armée coloniale allemande contre le peuple Herrero de Namibie est fort intéressant. Ces faits sont évidemment très condamnables et il est tout à fait justifié de se rappeler de ces actes criminels, même après 100 ans. Toutefois, il y a quelques passages dans le reportage qui m’ont gênés. Ainsi, on a l’impression que la colonisation allemande aurait été plus sanglante que celle conduite par d’autres nations. Hélas, les exemples de massacres perpétrées par les Anglais, les Français et les Néerlandais ne manquent pas. La liste est longue et je ne vais pas faire un bilan exhaustif ici, mais si je dois m’en tenir aux "exploits" de l’armée coloniale néerlandaise (pays dont je suis originaire), les 100.000 morts de la guerre d’Aceh (1873-1904) en disent long.... En ce qui concerne les idées racistes sur les populations Herréros, ceci s’inscrit dans la vision inégalitaire du genre humain par lequel était pénétrée le climat intellectuel de l’époque, et ceci n’a été nullement une spécificité allemande. Même la communauté scientifique française était largement acquise aux idées d’inégalité raciale, et ce jusque dans les années 1930. (A ce sujet, il est intéressant de lire le travail de Carole Reynaud-Paligot http://www.raison-publique.fr/article151.html )
    Un autre passage du reportage qui m’a gêné à été celui de la restitution des crânes de guerriers Herreros aux représentants de la tribu. Je n’ai pas compris l’indignation de la délégation Herrero, alors que la représentante du gouvernement allemand exprimait lors de la cérémonie : "Au nom du gouvernement fédéral, je demande la réconciliation." Qu’ont-ils voulu de plus ! Des réparations financières ? Après plus de 100 ans ? Peut on considérer l’état allemand actuel comme responsable des actes perpétrés sous l’Empire ? Si on accepterait ceci, la même question se poserait pour tous les anciens pays coloniaux. On ne sortira pas du lourd passé avec des demandes de réparations financières. En revanche, la proposition de réconciliation du gouvernement allemand porte potentiellement des germes pour une réelle coopération entre la Namibie et l’ancien pays colonisateur. Une diplomatie intelligente pourrait parvenir à mettre sur pied des projets de coopération sur le plan économique, éducatif, culturel etc. et les deux pays n’auraient qu’à y gagner. En revanche, se borner à des demandes de réparations financières et des excuses ne peut conduire qu’à une impasse et n’aidera pas à digérer le lourd passé.

    Voir en ligne : CAROLE REYNAUD-PALIGOT. La République raciale, 1860-1930. Paradigme racial et idéologie républicaine

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