Loin des paillettes et du star-system des longs-métrages, la compétition officielle de courts-métrages nous a offert nos plus beaux moments de cinéma du 65e Festival de Cannes. Des thématiques dures, fortes et d’actualité que les cinéastes africains ont parfois abordées.
Samedi 26 mai 2012, salle Debussy. Dans le Palais du Festival, la séance officielle de courts-métrages fait salle comble. De l’orchestre au balcon se pressent spectateurs et professionnels internationaux. Car la séance du matin réunit à la fois tous les candidats sélectionnés - vêtus de leurs plus beaux atours - et le jury présidé par le réalisateur belge Jean-Pierre Dardenne.
Sur scène, on palpe le stress des uns et des autres et l’enjeu qui se cache derrière. Une Palme du court-métrage, c’est un sésame pour intégrer le milieu très sélect du cinéma et une reconnaissance sans précédent. Dans ce contexte, être sélectionné en compétition est déjà un succès en soi.
Avec 10 courts-métrages sélectionnés réalisés par 3 femmes et 7 hommes, nous étions loin de la parité mais au-delà de l’exclusion féminine de la compétition long-métrage. D’Europe (Belgique, Allemagne, France) aux Amériques (Porto-Rico, USA, Canada) en passant par le Moyen-Orient (Turquie, Syrie) et l’Océanie (Australie, Nouvelle-Zélande), quasiment tous les continents étaient représentés à l’exception d’un seul, éternellement écarté, l’Afrique.
Une Afrique en courts pourtant primée cette année par l’intermédiaire d’un film anglo-marocain, The Curse de Fyzal Boulifa, qui a remporté le Prix Illy du court-métrage à la Quinzaine des Réalisateurs.
Dans cette brillante compétition, des tranches de vies parfois cruelles mais souvent touchantes étaient abordées : l’immigration, l’épidémie, la solitude, le suicide, les pouvoirs surnaturels, le célibat, l’oppression, l’illégitimité, la violence. Plus que les thèmes, c’est le choix des sélectionneurs de valoriser un cinéma "du réel" issu de grands pays de cinéma qui nous a touché. Ainsi l’Amérique s’attachait à une famille de Noirs, la Nouvelle-Zélande à une femme de ménage indienne et la France à une famille maghrébine. Une pluralité des regards et des interprètes que l’on ne peut que saluer.
Cockaigne © DR
Dans Cockaigne (Belgique, 2012, 13’), Emilie Varhamme met en scène une famille d’Ukrainiens qui émigre en Belgique. Tour à tour rackettés par leur passeur, manipulés par leur logeur et maltraités par leur patron, ces trois hommes (un père, ses deux fils) témoignent d’une solidarité et d’une fatalité propre à cette situation d’exclusion. Une thématique que les réalisateurs africains, de Youssef Chebbi ( Vers le nord , Tunisie, 2010) à Kal Touré ( Victimes de nos richesses , Mali/Allemagne, 2007) ne cessent d’exprimer. Au Nord comme au Sud, la circulation et la maltraitance (physique et morale) des êtres est source de dénonciation.
Night Shift © DR
Night Shift ( Équipe de nuit ) de la néo-zélandaise Zia Mandviwalla suit avec distance et subtilité une femme de ménage dans un aéroport. Alors que son collègue de nuit la drague avec persévérance, elle erre dans les couloirs, récupérant les objets trouvés et empochant les plats entamés par les voyageurs. Salote (Anapela Polataivo) a tout de la figure de la femme mystérieuse, imposante mais débraillée, silencieuse mais dérangée. Sa situation n’est pas sans rappeler celle de la comédienne ivoirienne Tatiana Rojo dans C’est à Dieu qu’il faut le dire d’Elsa Diringer (France, 2010) ou d’Assita Ouédraogo dans Notre étrangère de Sarah Bouyain (France/Burkina Faso, 2011). Dans ces films, enjeux familiaux et obligation de travail mènent le personnage vers une solitude imposée, inexplicable pour les unes, inextricable pour les autres.
Yardbird © DR
Dans Yardbird de l’australien Michael Spiccia, une jeune fille vivant dans une casse avec son père affronte les voyous du coin à coups de pouvoirs magiques. Appuyés par un filet de sang qui s’échappe de sa narine, ses pouvoirs nous renvoient à ceux de Carrie (de Brian de Palma, USA, 1976) mais surtout du héros d’ Umkhongo (de Matthew Jankes, Afrique du Sud, 2011). Lui aussi victime de saignement nasaux suscitait dans son entourage la persuasion d’un être maléfique frappé par la sorcellerie. Aux croyances sud-africaines se superposent celles des australiens où seuls possession et folie expliqueraient la surnaturalité des faits.
Mi santa mirada © DR
La violence de Mi santa mirada ( Mon regard saint ) du portoricain Alvaro Aponte-Centeno, portée par une histoire de règlements de compte entre dealers de drogue est traitée de façon cahotique et brutale. Elle nous renvoie à des films comme H’Rash d’Ismaël El Iraki (Maroc, 2008) ou The Abyss Boys de Jan-Hedrik Beetge (Afrique du Sud, 2010), où les poings parlent avant les mots et où les coups peuvent mener au fond d’un trou.
Silencieux © DR
Palme d’or du court-métrage 2012, le merveilleux Sessiz-Be Deng ( Silencieux ) du réalisateur turc L. Rezan Yesilbas nous transcende par son traitement de l’amour et du silence. Parce qu’il est kurde, le mari de Zeynep ne peut s’exprimer autrement qu’en turc dans le parloir où celle-ci vient lui rendre visite. Non sans rappeler l’oscarisé Une séparation de l’iranien d’Asghar Farhadi, le tchadien Mahamat-Saleh Haroun ( Daratt , 2006) ou le franco-sénégalais Alain Gomis ( Aujourd’hui , 2012), ce film nous rappelle que l’amour peut se passer de mots pour transcender tout à la fois personnages et spectateurs.
Claire Diao
Mai 2012
Clap Noir
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