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Du beau, du lourd et du sans paillettes
Publié le : jeudi 31 mai 2012
Festival de Cannes 2012

Loin des paillettes et du star-system des longs-métrages, la compétition officielle de courts-métrages nous a offert nos plus beaux moments de cinéma du 65e Festival de Cannes. Des thématiques dures, fortes et d’actualité que les cinéastes africains ont parfois abordées.

Samedi 26 mai 2012, salle Debussy. Dans le Palais du Festival, la séance offi­cielle de courts-métra­ges fait salle comble. De l’orches­tre au balcon se pres­sent spec­ta­teurs et pro­fes­sion­nels inter­na­tio­naux. Car la séance du matin réunit à la fois tous les can­di­dats sélec­tion­nés - vêtus de leurs plus beaux atours - et le jury pré­sidé par le réa­li­sa­teur belge Jean-Pierre Dardenne.

Sur scène, on palpe le stress des uns et des autres et l’enjeu qui se cache der­rière. Une Palme du court-métrage, c’est un sésame pour inté­grer le milieu très sélect du cinéma et une reconnais­sance sans pré­cé­dent. Dans ce contexte, être sélec­tionné en com­pé­ti­tion est déjà un succès en soi.

Avec 10 courts-métra­ges sélec­tion­nés réa­li­sés par 3 femmes et 7 hommes, nous étions loin de la parité mais au-delà de l’exclu­sion fémi­nine de la com­pé­ti­tion long-métrage. D’Europe (Belgique, Allemagne, France) aux Amériques (Porto-Rico, USA, Canada) en pas­sant par le Moyen-Orient (Turquie, Syrie) et l’Océanie (Australie, Nouvelle-Zélande), qua­si­ment tous les conti­nents étaient repré­sen­tés à l’excep­tion d’un seul, éternellement écarté, l’Afrique.

Une Afrique en courts pour­tant primée cette année par l’inter­mé­diaire d’un film anglo-maro­cain, The Curse de Fyzal Boulifa, qui a rem­porté le Prix Illy du court-métrage à la Quinzaine des Réalisateurs.

Dans cette brillante com­pé­ti­tion, des tran­ches de vies par­fois cruel­les mais sou­vent tou­chan­tes étaient abor­dées : l’immi­gra­tion, l’épidémie, la soli­tude, le sui­cide, les pou­voirs sur­na­tu­rels, le céli­bat, l’oppres­sion, l’illé­gi­ti­mité, la vio­lence. Plus que les thèmes, c’est le choix des sélec­tion­neurs de valo­ri­ser un cinéma "du réel" issu de grands pays de cinéma qui nous a touché. Ainsi l’Amérique s’atta­chait à une famille de Noirs, la Nouvelle-Zélande à une femme de ménage indienne et la France à une famille magh­ré­bine. Une plu­ra­lité des regards et des inter­prè­tes que l’on ne peut que saluer.

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Cockaigne © DR

Dans Cockaigne (Belgique, 2012, 13’), Emilie Varhamme met en scène une famille d’Ukrainiens qui émigre en Belgique. Tour à tour racket­tés par leur pas­seur, mani­pu­lés par leur logeur et mal­trai­tés par leur patron, ces trois hommes (un père, ses deux fils) témoi­gnent d’une soli­da­rité et d’une fata­lité propre à cette situa­tion d’exclu­sion. Une thé­ma­ti­que que les réa­li­sa­teurs afri­cains, de Youssef Chebbi ( Vers le nord , Tunisie, 2010) à Kal Touré ( Victimes de nos riches­ses , Mali/Allemagne, 2007) ne ces­sent d’expri­mer. Au Nord comme au Sud, la cir­cu­la­tion et la mal­trai­tance (phy­si­que et morale) des êtres est source de dénon­cia­tion.

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Night Shift © DR

Night Shift ( Équipe de nuit ) de la néo-zélan­daise Zia Mandviwalla suit avec dis­tance et sub­ti­lité une femme de ménage dans un aéro­port. Alors que son col­lè­gue de nuit la drague avec per­sé­vé­rance, elle erre dans les cou­loirs, récu­pé­rant les objets trou­vés et empo­chant les plats enta­més par les voya­geurs. Salote (Anapela Polataivo) a tout de la figure de la femme mys­té­rieuse, impo­sante mais débraillée, silen­cieuse mais déran­gée. Sa situa­tion n’est pas sans rap­pe­ler celle de la comé­dienne ivoi­rienne Tatiana Rojo dans C’est à Dieu qu’il faut le dire d’Elsa Diringer (France, 2010) ou d’Assita Ouédraogo dans Notre étrangère de Sarah Bouyain (France/Burkina Faso, 2011). Dans ces films, enjeux fami­liaux et obli­ga­tion de tra­vail mènent le per­son­nage vers une soli­tude impo­sée, inex­pli­ca­ble pour les unes, inex­tri­ca­ble pour les autres.

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Yardbird © DR

Dans Yardbird de l’aus­tra­lien Michael Spiccia, une jeune fille vivant dans une casse avec son père affronte les voyous du coin à coups de pou­voirs magi­ques. Appuyés par un filet de sang qui s’échappe de sa narine, ses pou­voirs nous ren­voient à ceux de Carrie (de Brian de Palma, USA, 1976) mais sur­tout du héros d’ Umkhongo (de Matthew Jankes, Afrique du Sud, 2011). Lui aussi vic­time de sai­gne­ment nasaux sus­ci­tait dans son entou­rage la per­sua­sion d’un être malé­fi­que frappé par la sor­cel­le­rie. Aux croyan­ces sud-afri­cai­nes se super­po­sent celles des aus­tra­liens où seuls pos­ses­sion et folie expli­que­raient la sur­na­tu­ra­lité des faits.

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Mi santa mirada © DR

La vio­lence de Mi santa mirada ( Mon regard saint ) du por­to­ri­cain Alvaro Aponte-Centeno, portée par une his­toire de règle­ments de compte entre dea­lers de drogue est trai­tée de façon caho­ti­que et bru­tale. Elle nous ren­voie à des films comme H’Rash d’Ismaël El Iraki (Maroc, 2008) ou The Abyss Boys de Jan-Hedrik Beetge (Afrique du Sud, 2010), où les poings par­lent avant les mots et où les coups peu­vent mener au fond d’un trou.

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Silencieux © DR

Palme d’or du court-métrage 2012, le mer­veilleux Sessiz-Be Deng ( Silencieux ) du réa­li­sa­teur turc L. Rezan Yesilbas nous trans­cende par son trai­te­ment de l’amour et du silence. Parce qu’il est kurde, le mari de Zeynep ne peut s’expri­mer autre­ment qu’en turc dans le par­loir où celle-ci vient lui rendre visite. Non sans rap­pe­ler l’osca­risé Une sépa­ra­tion de l’ira­nien d’Asghar Farhadi, le tcha­dien Mahamat-Saleh Haroun ( Daratt , 2006) ou le franco-séné­ga­lais Alain Gomis ( Aujourd’hui , 2012), ce film nous rap­pelle que l’amour peut se passer de mots pour trans­cen­der tout à la fois per­son­na­ges et spec­ta­teurs.

Claire Diao
Mai 2012

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