Journal de bord
Rencontres Internationales des Ecoles de Cinéma, troisième édition. Trois jours de Rencontres sous la tente en mars qui, soudain, vous font oublier l’hiver. Pour les pressés il y l’avion mais rien ne vaut l’immersion douce. En passant par Marrakech, déjà envahie de touristes bronzés, on prend un bus pour Ouarzazate. En avant pour une épopée de quatre heures à travers le Haut Atlas et le Col de Tichka 2260m, la route la plus élevée du Maroc. Émotions et éblouissement garantis. Une halte obligatoire dans un village pour déguster l’agneau grillé et son thé à la menthe. Grands oiseaux survolant la neige, couleurs d’altitude. L’arrivée est une friandise, la ville de Ouarzazate est rose, l’air doux et le voyageur si heureux de se retrouver à pied d’œuvre, aux portes du désert !
Bizarre, bizarre, pas de pub ou si peu, en ville. C’est qu’il ne s’agit pas d’une manifestation ouverte au public, me répond-on. Pas de festival de cinéma, comme il y en a tant au Maroc et ailleurs, avec montée des marches, palmarès, perdants, gagnants, espoirs déçus, étalage de satisfaction personnelle, clans et fans. Rien ne vient parasiter la joie qu’éprouvent les quelques quatre cents participants à se retrouver, sous les tentes kaïdales montées dans la cour de l’Institut Spécialisé dans les Métiers du Cinéma, l’ISCM, qui en est l’organisateur. Ici on vient s’enrichir mutuellement, en partageant expériences et savoirs, puisqu’il s’agit de rencontres de professionnels, professeurs et élèves d’écoles de cinéma du monde entier.
De neuf écoles de la première édition en 2010, on est passé à dix huit en 2012. Deux écoles indiennes sont venues rejoindre les homologues marocaines(5), tunisiennes(2), françaises(2), burkinabé, libanaise, canadienne, belge et étasunienne. La Mauritanie et le Mali qui n’ont pas d’école de cinéma sont néanmoins représentés : la première par le directeur de la Maison des Cinéastes et le second par un élève de la formation spéciale (son et vidéo) sponsorisée à Bamako par Vivendi.
Au programme : ateliers, master classes, conférences, et, chaque après midi, projection des films de fin d’études des écoles représentées. Des choix s’imposent. Entendre des accents différents, passer d’une tente à une autre, d’un studio à une salle de projection, débattre devant un thé ou un plateau repas, retrouver les fidèles, se faire de nouveaux complices, partager, partager... sous le soleil printanier.
Il y eut ceux qui, dès le début s’inscrivirent aux trois ateliers de Kino Kabaret de l’équipe du canadien fou, Michel Desjardins, et que l’on ne revit qu’à la fin. Objet du délit : fabriquer un film en 3 jours et le livrer lors de la cérémonie de clôture. Même motif d’absence pour les élèves qui mettaient la dernière main au spectacle de fin de session et s’enfermèrent dans leurs ateliers, couture, coiffure, maquillage, décors, sons...
Puis vinrent les conférenciers.
Guy Chapouillie, entré à 9 mois dans une salle de cinéma, ancien directeur de l’ESAV de Toulouse aborde le sujet L’importance du cinéaste : « il faut prendre les films au sérieux, sans hiérarchiser... », « le cinéaste doit avoir le courage d’être lui même pour être original, soyez vous-mêmes … », « évitez le surdéterminisme technologique ! »
Christine Cauquelin, directrice des documentaires à Canal+, s’attelle à deux sujets : Le documentaire est-il un film comme les autres, et le documentaire incarné. Celle qui avait du mal à quitter son bureau parisien a tenu en haleine une assemblée suspendue à ses lèvres, elle en fut la première surprise. Le doc dans tous ses états et au passage, une analyse des avantages et inconvénients de chacun. « La promesse du doc est de filmer une situation qui existe avant le tournage », « le doc c’est le lieu de l’éveil des consciences », « alerter, certes, mais donner la possibilité de se projeter dans le monde qu’on aimerait vivre.. » Pour un peu on se précipiterait pour prendre un abonnement...
Mohammed Bakrim, critique, directeur de la revue Cinemag et professeur à l’ECAM de Marrakech, tombé lui aussi tout petit dans la marmite et chantant les louanges d’une industrie qui le fait vivre de toutes les manières ; « le plus important, c’est la liberté ! ».
Visite du directeur du Centre Cinématographique Marocain, Nour-Eddine Saïl, en guise de consécration ! Il loue la passion qui court tout le long de ces Rencontres. « Nous sommes devenus une nation normale de cinéma...car nous produisons 20 films par an et que le Maroc compte 70 salles de cinéma. » « Un pays qui ne produit pas n’existe pas…. » Et de décliner les efforts à venir...
Outre les échanges publics des directeurs d’écoles, on eut encore la profession de foi de la directrice du développement durable de Vivendi : Être le numéro 1 mondial en matière de jeux numériques, musique et télé (Canal+) implique quelque responsabilité : il s’agit de développer les talents, travailler sur les grands enjeux de société et privilégier les passerelles etc...
On en aurait oublié les projections dont l’heure se déplaçait de plus en plus tard dans l’après midi. On eut notre lot de courts métrages, tous différents, chacun avec ses influences, ses pépites, ses défauts et ses talents en devenir. Et d’autant plus attachants. L’école de Beyrouth se distingua avec la participation brillante de deux filles. Vu le retard pris sur le timing, on ne passa pas les films les plus longs, dont La Blessure de l’esclavage du Mauritanien, Ousmane Diagana.
Une question persistait toutefois au sujet de la sélection des deux films de l’ISIS de Ouagadougou : quelle étrange mode de scénarie style "Nous deux" sévissait chez nos amis burkinabé ? Il n’était question que d’histoires de couple de cadres quadragénaires, moralisatrices en diable et filmées dans les mêmes décors ? Le directeur interrogé, s’avoua surpris lui aussi...Une mode vite oubliée, sans doute.
Le show final fut une splendeur. Michel Desjardins, directeur de l’INIS de Montréal le trouva digne du Cirque du Soleil, pas moins. Certains signèrent des accords de coopération, les discours furent brefs et Claude Latreille, le deus ex machina fit ses adieux émus.
Il avait mené rondement les trois premières éditions, on attend la quatrième avec curiosité.
Michèle Solle
Ouarzazate avril 2012
Clap Noir
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