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Souleymane Cissé à Résistances
Publié le : lundi 30 juillet 2012
Festival de cinéma, Foix 2012

La quin­zième édition de Résistances, s’est tenue à Foix en Ariège, du 6 au 14 juillet 2012 , avec, dans le cadre d’un Zoom Afrique, la visite excep­tion­nelle du réa­li­sa­teur malien, Souleymane Cissé. Deux de ses films étaient au pro­gramme, Baara, le deuxième (1978) et le der­nier Min Yé (2009).
Résumé d’entre­tiens publics menés avec Momar Kane, spé­cia­liste du cinéma afri­cain et Gérard Bérail, membre du col­lec­tif de pro­gram­ma­tion.

Le Mali va très mal

Je me sens nu, en train de vous parler, alors que la situa­tion dans laquelle se trouve mon pays actuel­le­ment, aurait pu être évitée. Le Mali va très mal ! Il faut empê­cher un deuxième Rwanda, c’est un pro­blème conti­nen­tal. Au Rwanda, il y avait deux eth­nies, au Mali, il y en a 35 ! Il faut réagir ! Ça va lais­ser beau­coup de traces, mais je suis convaincu que le Mali s’en sor­tira.
On n’a pas su régler intel­li­gem­ment les pro­blè­mes de rebel­lions dans le nord , qu’on appe­lait raz­zias, autre­fois. Il y a le gaz, le pétrole.... On n’a pas su capi­ta­li­ser nos riches­ses, on s’est laissé aller à la faci­lité.
Aujourd’hui, l’Algérie déclare que le cas du Mali est com­plexe et évite d’inter­ve­nir, ainsi que les autres puis­san­ces.... Des toua­regs ont écartelé des noirs sans que per­sonne ne bouge. Il y a trois mois, on m’a empê­ché de parler sur un média fran­çais, alors que les toua­regs ont droit à toutes les audien­ces, qu’on les prie de s’expri­mer ... Pourquoi autant de dis­cri­mi­na­tion ? La nature de l’être humain n’a rien à voir avec la cou­leur de sa peau ....

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Waati

Il faut dépas­ser les cli­va­ges ...

Il faut dépas­ser les cli­va­ges, c’est ce qu’ont fait les cinéas­tes. Dans « Waati » (1995), je fai­sais parler des femmes toua­regs : « On a besoin d’amour … » disaient-elles. Il y a aussi mon docu­men­taire « le Devin de N’Golonina » que j’ai tourné en 1999 et que je ne pou­vais pas mon­trer du temps d’A.T.T. (Amadou Toumani Touré le pré­si­dent du Mali ren­versé en mars 2012). [1]

Tout est un pro­blème de temps, il faut savoir atten­dre. Je suis soninké. Les Soninkés sont des migrants, des noma­des, por­teurs de riches­ses, aller voir ailleurs est une néces­sité, per­sonne ne peut vivre enfermé, l’échange est indis­pen­sa­ble.... Mais l’Europe a peur de sa propre créa­tion et refuse cette richesse,

Le dis­cours de Dakar ?

SC : Je n’ai rien à en dire. Le peuple fran­çais a donné sa réponse.

La pre­mière fois, j’avais cinq ans

Je viens d’une famille musul­mane très pra­ti­quante, mes frères , com­mer­çants, fai­saient des allers et retours entre les pays. Un soir l’ami de mon frère est venu me cher­cher pour voir un film. J’avais cinq ans. C’était un film de cow-boy, j’ai oublié le titre, j’étais émerveillé par la vue des indiens, des che­vaux, des cas­ca­des. J’avoue que là, j’ai fait une décou­verte. Je ne savais même pas qu’on pou­vait s’amuser ainsi avec un cheval.

La nature ...

Je suis né à Bozola, le pre­mier quar­tier de Bamako. L’envi­ron­ne­ment était très impor­tant, il y avait le fleuve et les champs des grands parents. Nous, on accom­pa­gnait les sœurs qui ame­naient la nour­ri­ture aux tra­vailleurs . Tous les jours à 14h après la prière , on allait se bai­gner. C’était le grand bon­heur. Nous avons pris goût ainsi à une cer­taine vie, raison pour laquelle dans tous mes films, on voit de l’eau. Je suis pro­fon­dé­ment lié à l’eau. Pour moi, faire un film sans penser à l’eau, c’est un peu déli­cat.

Ma grand-mère avait un champ avec des arbres. Elle vivait de la nature et y était très atta­chée. La nature tient une grande place dans mes films. Je me demande sou­vent ce que nous ferions sans elle. C’est ter­ri­ble ! Bamako, qui était une des plus belles villes de l’Afrique, est deve­nue une ville fan­tôme, le béton a rem­placé les arbres et per­sonne ne pense à en replan­ter.

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Yeelen

MK : Il y a une scène très forte dans Yeelen. On voit une femme se bai­gner. Quel est le lien entre la femme et l’eau pour vous ?
SC : Dans cette scène, il s’agit de lait. Cette femme est la mère de Nianankoro, elle est bam­bara. Chez les bam­ba­ras, quand il y a des pro­blè­mes inso­lu­bles, on s’en remet au lait, l’élément le plus pur et le plus com­plet, pour faire ses ablu­tions. C’est un mythe que les bam­ba­ras par­ta­gent avec les peuls. Elle fait ses ablu­tions pour que son fils et son mari se réconci­lient. C’est un moment très fort, car on devine qu’elle tente l’impos­si­ble. Mais elle doit le faire pour ne pas déses­pé­rer. Le mou­ve­ment des deux cale­bas­ses qui se balan­cent et fina­le­ment s’écrasent l’une contre l’autre, sym­bo­lise l’affron­te­ment iné­luc­ta­ble du fils contre son père.

Martin Scorcese et ... Yeelen

Nous nous sommes ren­contrés à Paris, pour l’inau­gu­ra­tion de la ciné­ma­thè­que fran­çaise. Martin Scorcese, qui ne me connais­sait pas, a lon­gue­ment parlé de Yeelen dans son dis­cours. J’étais sur­pris d’appren­dre que ce film avait été vu par des amé­ri­cains. En fait, il l’avait décou­vert en zap­pant en pleine nuit sur une chaîne cultu­relle et n’en avait pas dormi de la nuit ; « Comment se fait-il qu’il y a un tel film en Afrique et que nous ne le connais­sions pas ? ». J’ai été étonné de décou­vrir sa vision per­son­nelle de Yeelen. On est pro­prié­taire d’un film au moment où on on l’écrit, ensuite, il ne t’appar­tient plus, et si l’autre, il le voit autre­ment, on ne peut pas l’en empê­cher... Pour lui, Yeelen, c’est un wes­tern, pour­quoi pas ?
Dans Yeelen, l’espace a son sens puisqu’on est dans un pays déser­ti­que. J’ai voulu mettre Nianankoro en contact avec la nature, le faire mar­cher sur cette terre qui craque. J’ai voulu qu’on se demande com­ment vivent ces gens-là. C’est le moment où il se forme, où la nature lui donne la force d’aller atta­quer son propre père.

À Moscou, j’ai duré ...

Pour moi, le cinéma, c’était les acteurs amé­ri­cains, comme Gary Cooper.... Quand je suis parti en Union Soviétique pour faire un stage de photo d’abord, puis de pro­jec­tion­niste, je ne savais pas ce qu’était un réa­li­sa­teur. Puis, la curio­sité m’a pris et j’ai voulu aller plus loin. J’ai pris le temps qu’il fal­lait. Car j’ai duré... j’y suis resté 9 ans. À l’Institut Supérieur de Cinéma de Moscou, j’ai décou­vert Potemkine d’Eisenstein. Je n’arri­vais pas à com­pren­dre com­ment il avait pu enchaî­ner les images aussi rapi­de­ment. À ma demande, mon pro­fes­seur m’a confié à une mon­teuse qui m’a initié à son art. Le mon­tage c’est la clé ! À sa table, le réa­li­sa­teur est seul avec ses images. Heureux ou déses­péré.

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J’ai appris la tech­ni­que à Moscou, mais j’étais convaincu que je ne pour­rai pas faire des films à la sovié­ti­que : dif­fé­rence des cultu­res et de ryth­mes. Quoique j’ai trouvé des res­sem­blan­ces entre les sym­bo­li­ques russe et bam­bara. Quand j’ai tourné Baara, mon deuxième film, cer­tains y ont vu l’influence sovié­ti­que : le thème de la classe ouvrière, le mon­tage etc... Pour Finyé, le troi­sième, on en par­lait encore. Mais plus pour Yeelen, puis­que, main­te­nant, on le com­pare à un wes­tern....
J’avoue que le cinéma social m’a beau­coup séduit. Quand tu vas chez les autres, il faut savoir pren­dre tout ce qui est posi­tif, c’est pour­quoi ensuite, je suis allé en France.

Sans projet , pas de cinéma ...

Je n’ai pas aban­donné la partie. En 1995, pour parer à la crise qui s’annon­çait, j’ai créé une orga­ni­sa­tion de for­ma­tion, pro­duc­tion et dis­tri­bu­tion, l’UCECAO. Ça n’a rien changé au niveau de l’État. Au Mali, chacun vit pour aujourd’hui, demain n’existe pas. Personne ne fait de pro­jets, c’est le drame de chez nous. Sans projet, pas de cinéma. Le pro­blème de la culture est sérieu­se­ment posé. Regarde nos chan­teurs ! Des valeurs sures ! Ils doi­vent s’expa­trier pour exis­ter. Quand Salif Keita te parle de ses pro­blè­mes, tu pleu­res avec lui.
Il s’est passé du temps avant que je me remette à tour­ner. Les res­pon­sa­bles poli­ti­ques savon­naient mon tra­vail et ça m’a blessé. Et quand Min Yé a été ter­miné, j’ai eu le sen­ti­ment qu’il était rejeté car il lut­tait contre le pou­voir en place.

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Den Muso

Si tu n’es pas dans le cercle des dis­tri­bu­teurs ...

Quand il y avait des salles de cinéma, j’en ai bien pro­fité avec Den Muso et Baara, mes deux pre­miers films ont été vus dans tout le Mali. La dis­pa­ri­tion des salles a com­mencé au moment de Yeelen, ensuite, on n’a même pas pu dis­tri­buer Waati. Pour Min Yé, on a fait une exploi­ta­tion dans les hôtels, les gens sont venus très nom­breux et joyeux.
Le cinéma afri­cain est consi­déré comme un cinéma d’un autre siècle. Il faut dire que le milieu du cinéma, chez vous, c’est un petit clan. Si tu n’es pas dans le cercle des dis­tri­bu­teurs, tes films ne seront jamais vus, si ce sont eux qui te por­tent, tu seras un génie, Woody Allen en est un exem­ple. À ta mort, on dira : « Ah ! Il était bien ! »
On fait des films pour com­mu­ni­quer avec le grand public mais il y a bar­rage. Quelque part, on ne veut pas que ce public soit informé des réa­li­tés de ce monde. Les films amé­ri­cains, eux, pas­sent par­tout. Je connais des cinéas­tes euro­péens qui ont les mêmes soucis que moi, pas les mêmes pro­blè­mes, les mêmes soucis !

Du bon cinéma pour un bon public ...

Je ne me consi­dère pas comme un modèle, je veux juste faire du bon cinéma pour un bon public. Traitez moi de for­ge­ron plutôt que de griot. Il y a une nou­velle géné­ra­tion qui se pré­pare. Ma propre fille a com­mencé à réa­li­ser des courts métra­ges. Elle a une vision, une sen­si­bi­lité dif­fé­ren­tes des mien­nes, beau­coup plus simple. Ce sont nos enfants qui doi­vent casser ce sys­tème, un jour, on ira voir des films afri­cains, comme on va voir des films indiens ou asia­ti­ques.

Résister

J’ai res­senti un plai­sir énorme à être parmi vous. Le plus impor­tant c’est de conti­nuer à résis­ter. Les temps à venir ne seront pas sim­ples, en résis­tant, vous donnez raison au temps.... D’autres col­lè­gues pour­ront venir vous visi­ter. Quant à moi, je vais essayer de rester for­ge­ron.

Propos recueillis par Michèle Solle

[1] le Devin de N’Golonina S. Cissé. Ce docu­men­taire de 20 minu­tes a été pro­jeté en mai 2012 à Bamako, dans la salle de confé­rence de l’UCECAO. Il s’agit d’entre­tiens menés en 1999, par le réa­li­sa­teur avec un ermite, entiè­re­ment dédié à Dieu, qui vit dans une cabane au bord du Niger. Il reçoit de nom­breux visi­teurs et s’inter­roge sur la société. Très réti­cent au début, il devient pro­lixe et livre sa vision sur l’état du pays : le Mali est un pays béni de Dieu, ce qui expli­que la richesse de son patri­moine natu­rel et cultu­rel. Tout le pro­blème, dit-il, vient de l’égoïsme, la méchan­ceté et le manque de soli­da­rité de deux types de per­son­nes : les riches qui n’accep­tent pas de par­ta­ger et les tenants du pou­voir. Il suf­fi­rait que ces der­niers aient pitié de leurs com­pa­trio­tes pour que le pays s’en sorte ...

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