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Rencontre avec Alassane Diago : Les larmes de l’émigration
Publié le : dimanche 31 octobre 2010
Histoire de Samba

Fin de pro­jec­tion du docu­men­taire Les Larmes de l’émigration au cinéma 4ème Art. Un jeune homme timide arrive dans la lumière, face aux spec­ta­teurs émus. Silence. Alassane Diago, 25ans, peul du Sénégal, res­pire un grand coup et se lance. « Je n’ai jamais connu mon père, jamais eu l’occa­sion d’appe­ler - Papa - j’ai voulu faire un film pour savoir qui je suis et parler de la dou­leur de ma mère et de ma famille. » La voix est douce, mais une déter­mi­na­tion tran­quille perce dans le propos.

Rencontre

Je suis né au Sénégal, au vil­lage d’ Agnam Lidoubé, à 15 kilo­mè­tres de la fron­tière Mauritanienne. J’ai une sœur plus âgée, que l’on voit dans le film. J’avais 2 ans quand mon père, Idrissa, est parti au Gabon pour y tra­vailler et faire vivre la famille. Nous n’avons jamais eu de ses nou­vel­les. Ma mère a dû nous élever seule, elle n’avait aucun revenu, nous étions dans la misère. Nous avions nos grands parents pour nous nour­rir de temps en temps. Le pre­mier qui nous a aidés, c’est Samba, un ami de mon père. Lui aussi a émigré, vers le nord, à Paris. Il avait son épouse et deux filles au vil­lage. Il a assumé la charge de quatre enfants, les siens et ceux de son ami Idrissa. Chez moi, les vieux inter­di­saient de fré­quen­ter l’école des blancs, où on per­dait son iden­tité, disaient-ils. C’est grâce à Samba que je suis allé à l’école, et au col­lège à Dakar. Pour moi, il est l’émigré exem­plaire.

Le cinéma m’atti­rait. Samba m’a mis en contact avec une réa­li­sa­trice de courts métra­ges et de docu­men­tai­res pari­sienne, Chantal Richard. Encore une chance ! Elle m’a beau­coup inter­rogé, aidé, orienté et offert les cours de Média Centre, une école privée de Dakar où j’ai appris les rudi­ments de tour­nage. A la sortie, je n’ai pas voulu m’orien­ter vers la télé comme mes com­pa­gnons. J’avais un désir fou de filmer et de voir ce que j’avais filmé. J’ai com­mencé l’écriture de mon projet de film. Puis, sur conseil de Chantal, je l’ai envoyé à Africadoc, en 2007. A ce moment là, le direc­teur de mon école m’a signalé que Samba Félix Ndiaye cher­chait un sta­giaire. Il m’a reçu. Après m’avoir demandé si j’étais prêt à me sacri­fier pour faire du cinéma, il m’a choisi … A partir de là, il m’a consi­déré comme son fils adop­tif. Il était très occupé mais m’a confié les clés de son bureau et de sa vidéo­thè­que pour que je visionne tous les films que je vou­lais : Rouch et les autres. J’avais du mal à déco­der Godard mais j’ai adoré Flaherty… Samba Félix Ndiaye m’a ras­suré : les grands réa­li­sa­teurs n’ont pas tous fait une école de cinéma. Il m’a conseillé de pren­dre mon temps, pour appren­dre, pour réflé­chir, pour filmer. Il n’aimait pas les vidéas­tes. Je l’assis­tais sur des spots télés, scripts. Quand je lui ai dit que j’avais envoyé mon projet à Africadoc, il a été sur­pris. En 2008, mon projet a été sélec­tionné, je suis parti en rési­dence d’écriture à St Louis du Sénégal. J’étais resté 6 mois avec Samba Félix Ndiaye, comme un fils avec son père, mais je devais voler de mes pro­pres ailes…

Avec Les Larmes de l’émigration, Alassane a déjà rem­porté le prix du docu­men­taire à Tarifa et le prix du public du docu­men­taire au FIFF de Namur en 2010. Sa mère est le per­son­nage cen­tral du film. Il la suit, l’écoute, la ques­tionne. De longs plans fixes, une bande son très pré­sente, bruits de la vie à l’exté­rieur, la mos­quée, les ani­maux. Importance des scènes qui se dérou­lent en temps réel, émotion tan­gi­ble de la mère inter­ro­gée…Longs silen­ces pen­dant les­quels le vent gonfle les rideaux de la porte….

Le tour­nage a duré trois semai­nes. J’ai tout axé sur ma mère, rien sur mon père. Que j’ai laissé dans l’abs­trac­tion puisqu’il est absent. Ma mère, j’ai voulu la mon­trer dans l’attente et la prière. Pas dans le tra­vail, tout n’a pas besoin d’être expli­qué. De même pour sa chan­son à la fin, je ne l’ai pas tra­duite. La chan­son existe en tant que telle. C’est mon point de vue. J’en vou­lais à mon père de nous avoir aban­don­nés, mais, aussi à ma mère de nous avoir fait vivre cet aban­don sans rien y chan­ger. J’avais besoin de le lui dire, de com­pren­dre ses rai­sons. Pour ce faire j’ai trans­gressé un tabou : dans ma culture, les enfants ne deman­dent pas de comp­tes à leurs parents. Mais ma mère l’a com­pris. Après un début dif­fi­cile, elle s’est laissé guider en confiance et main­te­nant, je sais qu’elle est libé­rée. Et fière de son fils.
La sœur repro­duit la même situa­tion, avec des nuan­ces : son mari, parti au Congo, lui envoie quel­ques nou­vel­les et, les mœurs évoluant, on peut penser qu’elle n’atten­dra pas toute sa vie pour rem­pla­cer le mari défaillant.
Prochain film, en tour­nage dans quel­ques semai­nes, et tou­jours avec Africadoc, (merci Jean-Marie Barbe, vous auriez mérité de vous appe­ler Samba vous aussi…), tou­jours à Agnam Lidoubé, sur la com­mu­nauté des femmes cette fois. Il agran­dit le cercle. Comment elles s’orga­ni­sent pour vivre sans hommes…

Les Larmes de l’émigration ren­voie à celui du cata­lan Oriol Canals, les Ombres (Sombras). D’un côté les femmes qui atten­dent sans nou­vel­les, de l’autre, les hommes tombés au champ d’hon­neur des illu­sions per­dues et qui pré­fè­rent dis­pa­raî­tre…Pas de hasard, c’est le même pro­duc­teur : Philippe Bouychou de Corto Pacific.
Ainsi le petit garçon aban­donné dans la grande Afrique a trouvé des pères, des Samba qui l’ont conduit au port . « Mais moi aussi, je m’appelle Samba » se confie-t-il en sou­riant. Bon vent donc, Alassane Samba Diago !

Propos recueillis par Michèle Solle

Lire aussi : L’Afrique à Lussas 2010
Fiche du film Les larmes de l’émigration

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