À Gindou plus qu’ailleurs, un train peut en cacher un autre. C’est le grand cinéaste d’animation Jean-François Laguionie qui avait les honneurs cette année, et ses films firent les délices d’un public particulièrement rajeuni pour l’occasion. Tout habitué à ce festival à la campagne arrive convaincu que ses journées et ses nuits seront jalonnées de surprises. La plupart découvertes dans l’éclectique catégorie Vagabondages Cinématographiques. Et ce fut le cas, encore cette année .
Sans annonce particulière, on y découvrit cinq films, quatre documentaires et un film d’animation en prise directe avec l’Afrique .
Trois d’entre eux parlaient de l’exil, Partir de David Martin et Mathieu Robin Des Figues en Avril de Nadir Dendoune, Rencontrer mon Père d’Alassane Diago.
Les deux autres témoignaient de l’histoire en mouvement, actuelle et burkinabè pour Les Enfants de la Révolte d’Emilien Bernard plus ancienne et sud africaine dans Le Procès contre Mandela et les Autres de Nicolas Champeaux et Gilles Porte.
Géographie et histoire des liens croisés entre nos deux continents .
Partir de David Martin et Mathieu Robin
Les chemins qu’empruntent une œuvre pour nous parvenir sont révélateurs du sujet même quelle traite. Trois mineurs non accompagnés arrivent dans un centre d’accueil pour migrants dans les Cévennes, leur enseignante de français les aide à mettre des mots sur leur parcours. Le scénario de Partir est lauréat du concours "Le Goût des Autres" organisé par Gindou Cinéma, le père de l’enseignante, dessinateur pour un journal satyrique accepte d’illustrer le récit, Le-Lokal Production à Toulouse se lance dans l’aventure. Et voici le malien Ibrahima Drame et l’ivoirien Aboubakar Keita (le troisième est parti vivre sa vie ailleurs) qui présentent leur film devant des centaines de personnes à Gindou, France.
L’histoire d’un jeune garçon noir qui quitte son village de brousse direction le nord attiré par la photo d’une belle française blonde. Treize minutes où tout est dit, les frontières, la solitude, les coups, les passeurs, les bateaux, le racisme, les rencontres. Jusqu’à l’arrivée en France entre deux policiers et la découverte du visage tant désiré collé sur les panneaux électoraux . Une petite merveille de simplicité et d’intelligence. Félicitations à toute l’équipe
Exils d’ici et d’ailleurs
Des Figues en Avril de Nadir Dendoune, et Rencontrer mon père d’Alassane Diago , deux documentaires, deux visions de l’exil et de ses conséquences sur la famille. Si Des Figues en Avril de Nadir Dendoune, est un ode d’amour à sa mère, quittant sa Kabylie natale pour rejoindre son mari, ouvrier en France, où elle a élevé leurs neuf enfants, Rencontrer mon père, d’ Alassane Diago, est une aride quête de reconnaissance auprès d’un père, qui, parti il y a presque 30 ans gagner sa vie au Gabon n’a jamais donné signe de vie à sa famille sénégalaise. Avec comme invitée vedette, la caméra. Un triangle constitué par le réalisateur, sa caméra et le personnage étudié.
Des Figues en Avril de Nadir Dendoune
Et même si Nadir interrogé sur le film d’Alassane déclare qu’« on n’a pas le droit de se servir de sa caméra pour régler ses comptes », il ne fait pas autre chose, en creux du tendre portrait maternel que de régler les siens envers son pays, la France, et au plafond de verre qu’elle continue d’opposer aux siens.
Plafond qu’il n’a eu de cesse de crever puisque, journaliste pigiste, il est parti s’expatrier en Australie, a effectué un tour du monde à vélo, a servi de bouclier humain pendant la guerre en Irak, s’est imposé par la ruse dans une expédition au sommet de l’Everest, (Un Tocard sur le Toit du Monde, Lattes) . La quarantaine venue, il revient sur ses racines, sa famille, sa mère, son pivot . Cette femme qui n’a pas eu le droit d’apprendre à lire, mais a élevé parfaitement neuf citoyens français, il lui rend , s’il en était besoin, sa dignité. Il l’a suit dans sa cuisine, l’interroge doucement, l’écoute, la regarde vivre maintenant que le père n’est plus là, pensionnaire d’une maison de retraite où elle se rend chaque jour. On garde son sourire, ses yeux malicieux , ses gestes soignés et la pudeur de cette montagnarde de Kabylie, qui, du haut de son balcon du 9eme regarde le monde s’agiter en écoutant Slimane Azem, son compatriote, chanter « l’exil m’a fait tourner la tête jusqu’à me faire oublier la route ».
Rencontrer mon père d’Alassane Diago
C’est exactement les paroles qu’Alassane voudrait entendre de la bouche de son père et qui ne viendront jamais, malgré les demandes, prières, interrogations muettes de ce trentenaire, orphelin de fait, élevé par une mère abandonnée et sans ressources. Geste fou que celui de refaire le voyage du père, quittant le Sénégal pour chercher du travail au Gabon, retrouver ce dernier, demeurer près de lui de son épouse gabonaise et de leurs cinq enfants, vaincre un tabou en mendiant des excuses, des regrets, cherchant la confusion où il ne trouvera qu’arrogance blessée. Pour son troisième long métrage après Les Larmes de l’Émigration (qui retrace la vie de sa mère) et La vie n’est pas Immobile(celle des femmes de son village), films largement récompensés, Alassane Diago, révélé par les résidences d’écriture d’Africadoc , attaque son sujet de front et dans l’ordre.
D’abord la mère, au Sénégal, ses mains défaisant les nœuds d’un tapis, invoquant Dieu et le marabout, vaincue par 30 ans d’attente d’un mari parti « dans un pays non musulman où il ne fait pas bon vivre. » Puis le père, peul occupé à nourrir quatre chèvres, tout ce qui reste de son troupeau, peu aimable et buté.
Humilié d’avoir découvert le premier film de son fils à la télévision, comme tout le village, il refuse de parler en présence de la caméra , joue à l’infini avec deux téléphones portables, muets comme lui, en parlant de son amour pour ses bêtes. « Je me dois de les aimer ». Et nous ? « C’est la volonté divine, si je peux faire quelque chose, je le fais, c’est pareil pour vous là-bas ».
Avec pour témoins, ses sœurs, ses frères, la maman gabonaise, qui l’accueillent avec une simplicité affectueuse. Scènes de rues, de famille, de pluies alternent avec le huis clos. Un père immobile , le monde autour. Et au moment du départ, le chemin de croix s’éclaire, le père se redresse, vêtu de son plus beau basin, retrouve sa superbe. « Ce que tu as fait est grandiose, c’est à toi qu’on devrait demander pardon , aller à la rencontre de ton père, c’est terrible, j’ai eu peur pour toi ». Une question reste en suspens : que se sont ils dit hors caméra ? Fin de l’exercice.
Les Enfants de la Révolte d’Emilien Bernard
Lieu de l’action : le campus universitaire Joseph Ki Zerbo à Ouagadougou, Burkina Faso. Temps de l’action : en 2015, les semaines autour des premières élections libres organisées par le régime de transition suite à la chute de Blaise Compaoré en octobre 2014. Personnages : Madeleine, étudiante en droit, Serge étudiant en littérature . Zoomer sur les étudiants, les discours enflammés du garçon, les hésitations de la fille. On ne verra pas la rue, on n’entendra pas les membres du Balai Citoyen qui firent le grand ménage le 31 octobre 2014, c’est le choix du réalisateur, Emilien Berbard familier du Burkina. Qu’attendre de la future élite du pays ? Comment voient-ils l’avenir ?
Et, de fait, en suivant Serge, vedette assumée du Cadre, un lieu de débat quotidien dont il est le fondateur, en l’écoutant proclamer les slogans sankaristes, remuer ses auditeurs, organiser des tables rondes, lui, l’activiste panafricain, le sentiment de leur impuissance nous gagne . L’université, monde clos, sans relais médiatique. Hors sol. Alors, comment se battre ? Les candidats à la présidentielle sont nombreux, on sent que tout est joué d’avance. Sauver la face, faire de grands gestes, donner des mots d’ordre et puis penser à sa maîtrise. « A quoi sert un étudiant ? »
Pour Madeleine, c’est différent, son père au village, travaille dur pour qu’elle atteigne un jour son rêve, devenir magistrate, pourquoi pas procureur du Faso ou ambassadrice ? Logée dans une cité peu confortable mais qui lui confère un statut de privilégiée, elle garde un pied au village où elle retrouve sa famille, le travail de la terre, ses amies. « Si tu n’étais pas étudiante, tu serais mère toi aussi ». Ecouter Serge, suivre les mots d’ordre, manifester, adopter un look de battante, conseiller ses parents, oui elle va le faire.
Jusqu’aux résultats qui donnent gagnant un proche de longue date de l’ancien président déchu , Roch Marc Christian Kaboré. A quoi ça sert ? « Avant j’écoutais Tiken Jah ou Alpha Blondy, mais ça me rendait trop révolutionnaire, maintenant j’écoute des musiques romantiques »
Elle a décidé de laisser tomber la politique, « les gens ne font que des règlements de compte, j’aurais préféré la dictature, au moins on sait où on va » et elle retrouve ses tresses et ses études.
L’heure est venue d’écrire la nouvelle constitution, mais Serge refuse catégoriquement la nouvelle élite. « Les étudiants doivent faire réfléchir le peuple ». Un espoir pour rien ?
Le Procès contre Mandela et les Autres de Nicolas Champeaux et Gilles Porte
Dans les années 1963/64, en Afrique du Sud, eut lieu un procès historique. Neuf hommes qui étaient sur le banc des accusés risquaient la peine de mort. Parmi eux Nelson Mandela, Ses compagnons l’avaient choisi comme tête de file car il était un brillant avocat, à l’encontre de Walter Sisulu, véritable éminence grise de l’ANC (African National Congress), issu des townships.
D’où le nom : le Procès contre Mandela et les Autres. Pour s’opposer au procureur ouvertement raciste ils décidèrent de transformer leur procès en tribune contre l’Apartheid. Comme pour tous les procès, les images étaient interdites mais un enregistrement des 256 heures fut effectué sur un support d’époque, bande plus tard numérisée.
Fascinés par cette écoute, les réalisateurs, apprenant qu’il restait trois survivants du procès ainsi que deux des avocats, se précipitèrent pour les interviewer. Ils les replongent au cœur d’un moment historique, qu’ils font revivre avec enthousiasme. Un documentaire sera construit autour des interviews, des images d’archives et dessins, avec pour seule préoccupation de sauver de l’oubli ce témoignage sensationnel.
Les discours des prévenus et particulièrement de Mandela volontairement dirigés moins pour leur défense particulière qu’en faveur de la propagation de leurs idées, seront l’occasion de faire connaître la lutte de ceux qui, jusque là vivaient dans la clandestinité .
Cinq décennies plus tard, nous retrouvons Winnie Mandela et son cri « Amandla » « le pouvoir au peuple », et tous ceux qui mirent leur vie au service d’un engagement collectif.
Michèle Solle
Clap Noir
Association Clap Noir
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