Sortie française le 8 septembre 2010
Renaud Barret, l’un des deux réalisateurs (avec Florent de La Tullaye) était à Gindou pour accompagner son film. Présenté comme un des plus toniques des Rencontres, sa projection a rempli le grand théâtre de Verdure et recueilli des applaudissements enthousiastes. Sourires et danses accompagnaient la sortie, forte émotion, grande énergie.
De fait, le spectacle du Staff Benda Bilili devenu par la volonté de son chef Ricky et la grâce de la providence le meilleur orchestre du Congo Kinshasa, tient à la fois du miracle et de la leçon de vie.
Une équipe de parias, vivant dans la rue, paraplégiques qui plus est, se réunissent quotidiennement depuis des années, et répètent, sur d’improbables instruments, les morceaux écrits par leur chef Ricky. On les retrouve quelques années plus tard en tournée européenne. Alors success story ? A part qu’il s’agit d’un document filmé sur 6 ans et sans scénario, par des non professionnels, « tombés dans la marmite » et qui, dès le départ ont voulu garder une trace des moments extraordinaires qu’ils partageaient avec leurs compagnons.
Le lendemain, les esprits reprenaient leurs droits, Renaud Barret répondait aux questions posées par Sébastien et le public lors de la tchache de 17h, moment sacré à Gindou.
Extaits :
Genèse de l’ « aventure »
Renaud Barret : Auparavant j’étais dans le graphisme, les logos, la photo. Je suis arrivé il y a 8 ans à Kinshasa, pour faire une reportage sur un camp d’enfants à la frontière du Rwanda... Un soir un copain m’a fait connaître la cité, les quartiers, les musiciens du ghetto. J’ai découvert l’iceberg créatif de Kinshasa. J’ai appelé Florent qui se trouvait en Sibérie pour qu’il me rejoigne. Ma vie a changé d’un coup. On n’a pas réfléchi. J’ai ressenti un sentiment d’urgence, il fallait filmer ces hommes de Benda Bilili, qui avaient tous dépassé la limite d’espérance de vie dans leur pays et qui jouaient sur ce trottoir. Au départ nous n’avions qu’une petite caméra H.D. et aucun de nous n’avait suivi des études de cinéma. Nous nous sommes installés à Kinshasa, les Benda Bilili nous protégeaient et nous ont permis d’entrer dans le quartier sans craindre les voyous.
L’idée du film est venue assez tard. On peut y voir des supercheries, moi, je sais qu’il n’y en a pas. Au début, c’était plutôt une démarche de producteurs de musique. Il n’y a rien là-bas en la matière. Les premières années nous avons assumé financièrement les dépenses du groupe, puis, à bout de ressources, nous avons trouvé un producteur au bout de 3, 4 ans.
Ce film correspond à 6 ans de tournage et de compagnonnage avec eux. Nous avons 600 heures de rushes et le montage a été très dur. Il y aura pas mal de bonus dans le DVD.
Photo Mahé Costes
Comment se passait le tournage ?
R.B. : Rien de prémédité, agir d’abord, réfléchir ensuite. Il s’agissait au début d’une captation d’images, de témoigner de cette énergie vitale d’artistes doués qui n’avaient aucune représentation. Vu le marasme de l’industrie du disque, l’image était obligatoire. L’idée de les produire nous est venue spontanément. Nous étions de complets autodidactes, doutant de nous, dans une démarche simple. C’est l’européen qui tient la caméra et relate la réalité de la société africaine. Ils nous ont fait confiance
Pourtant dans la première scène de rue, on voit les sujets de loin mais on les entend bien, vous avez donc eu recours à un artifice…
R.B. : Il n’y a pas eu de mise en scène mais juste des artifices techniques induits par la difficulté de filmer dans la rue. Nous avons utilisé un micro émetteur. C’est très compliqué de filmer à Kinshasa ; Par exemple, les militaires ne sont pas payés et rackettent, ils nous ont mis en prison pour nous extorquer des dollars une dizaine de fois. L’utilisation du micro Tram HF nous donnait la possibilité de prendre du son et de partir très vite, sinon, c’était la razzia. Un mode semi-espion. Par ailleurs, ce procédé donne des discussions très libérées.
Je suis interpelé par la scène du match de foot joué par des handicapés. C’est un repoussoir magnifique, je ne peux que m’interroger sur la raison qui vous a fait vous intéresser aux Benda Bilili
R.B. : C’est la musique qui nous a accrochés, ni la rue, ni le handicap. Nous avons choisi les meilleurs musiciens. C’est l’idée que le pouvoir de la musique peut changer la vie. On a été séduits par ces gens qui se sont créé un rêve et vont jusqu’au bout.
On ne veut pas évacuer l’image du handicap. Un jour, un musicien m’a dit : « on va te montrer qu’on n’est pas des manchots » et m’a emmené au match de foot, je l’ai filmé. Ces joueurs sont des forces de la nature, ce match en dit long sur la puissance physique des handicapés. Pour les spectateurs, c’est un divertissement, au bout de 3 minutes on a oublié qu’ils sont différents.
Vous avez fait ce film avec bonne conscience, c’est votre histoire à vous. Si je compare avec Bamako le film d’Abderrahmane Sissako que nous avons vu hier, je vois que dans Bamako il n’y a pas de sous titrage, même quand les gens ne parlent pas le français, alors que vous avez sous titré même les paroles françaises. Et en plus, il y a une voix off qui est gênante.
R.B. : Pour la voix off, je suis d’accord, c’est un crève cœur collectif. Au montage, un distributeur nous a dit : qui êtes vous ? qui sont ces gens ? ça manquait d’explications . Nous avons même imaginé d’intercaler des cartons. Nous n’avions pas un plan où nous paraissions. Nous ne nous étions jamais filmés. Nous étions sélectionnés pour Cannes, nous avons du faire un choix très douloureux.
Pour les sous titres, il ne faut y voir que l’intention d’être compris de tous et pas une trace de colonialisme. Les Benda Bilili sont mieux placés que nous pour parler des problèmes de l’Afrique. C’est très clair. La colonisation est finie, l’homme noir est en face de ses responsabilités. Ils ont un morceau avec des paroles très fortes : Homme noir, lève toi, réveille toi ! Cette chanson remet les choses à leur juste place par rapport aux responsabilités de chacun.
Il y a autour de ce pays un tas de puissances occidentales qui continuent à voler les diamants, l’or etc… à travers des deals foireux, tout le monde a intérêt à ce que ça se passe mal, mais le problème de base vient du gouvernant bantou, de son tribalisme et sa façon séculaire d’envisager le pouvoir, qui n’est pas héritée de la colonisation. Et je sais que ces paroles ne plaisent pas à tout le monde.
Parlez nous des Benda Bilili
R.B. : En 1970, les handicapés s’étaient réunis et ont créé un syndicat. En 1980 le gouvernement leur a accordé le droit de faire du trafic des deux côtés du fleuve, de Brazza à Kinshasa, sans payer de taxes. Ce qui généra une caste de gens qui avaient le droit de trafiquer, clopes, whisky, essence, de façon toujours un peu louche. En même temps, ils ont développé une forme de solidarité de genre syndicaliste. Quand le pays s’est effondré, ils avaient déjà cette faculté d’être unis. Il n’y a aucune service public de sécurité sociale, ni d’éducation, les gens fragiles sont obligés de se regrouper.
Il existe un vrai syndicat de handicapés à Kinshasa, qui s’appelle la Plateforme et regroupe les 60000 paraplégiques de la ville autour de sa caisse noire. Face à la crise et ses difficultés, ils s’en sortent mieux que les valides, et comme ils n’y pas de soins, seuls les plus solides survivent, une sorte de sélection darwinienne.
Les Benda Bilili, qui ont tous dépassé 50, 60 ans sont donc très très forts pour avoir « duré » jusqu’ici !! C’est d’ailleurs le titre de leur album. Un exemple de ce qu’ils subissent : deux jours avant de quitter le pays pour aller jouer aux Eurockéennes à Belfort, ils n’avaient toujours pas leur visa…
Et Roger, le jeune musicien ?
R.B. : Ce garçon a l’oreille absolue. Il est originaire du Congo sud et devait mendier pour aider sa mère seule avec 7 enfants. Il a inventé son instrument, une boîte de lait munie d’une seule corde en copiant sur un autre qu’il a vu dans son village joué par des vieux : une sorte de tonneau avec une corde. Il a appris tout seul.
Dès qu’il a pu jouer avec les Benda Bilili, il a eu la tête hors de l’eau, les yeux dans les étoiles …
Aujourd’hui 6 ans plus tard, il est passé à la guitare à 6 cordes, c’est le guitariste du groupe. Il est en train de créer un académie pour les enfants des rues et leur apprend son instrument.
Les projets du groupe ?
R.B. : Ils sont donc en tournée européenne et accompagnent la sortie du film. Nous avons créé à Kinshasa un studio d’enregistrement, et ils sont plein de projets avec d’autres groupes.
Petit à petit, les fils non handicapés remplacent leur père dans le groupe, on se dirige vers une nouvelle mouture des BB. Ils enregistreront un deuxième album en 2011. Un autre film est en préparation pour suivre leur prochaine tournée au Japon.
Propos recueillis par Michèle Solle
Août 2010
Clap Noir
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