Ouarzazate, Maroc. Un coin de désert touché par le cinéma. Des studios y sont installés, des productions internationales s’y réalisent. Les habitants l’ont intégré. Une activité comme une autre, entre Zagora et Ouarzazate : un jour tu tournes, un autre tu cultives tes légumes. Du beurre dans les épinards d’un monde qui vivote un peu moins mal.
Première scène : des paysans montent sur un camion. Ils vont assister à la projection de leur dernier film. Tous figurants. Le film, c’est : « En attendant Pasolini » que Daoud Aoulad-Syad vient de terminer.
Justement, il y a un plaignant : Moha, qui avait loué son terrain pour le tournage. Au dernier tour de manivelle, les décors ont été détruits, mais pas la mosquée. Qui se trouve sur son meilleur champ, celui sur lequel il cultivait ses légumes. « De quoi je vais vivre maintenant ? »
Car la mosquée, construite pour les besoins du film, qui n’est même pas tournée vers la Mecque, a servi de lieu de prières. Au début, pour quelques uns et finalement, pour tous. De fausse, elle est devenue vraie. Plus question de la détruire. Et à qui demander justice ? D’autant que la situation se complique : le faux imam du film s’est autoproclamé imam, lui-même, obligeant le vrai à se réfugier dans le cimetière où ses fidèles le visitent.
Fait réel, traité dans La Mosquée, par le même réalisateur, en effet miroir. Savoureuse comédie sur les apparences, fine analyse des glissements entre fiction et réalité.
Moha, (Abdelhadi Touhrache, excellent), sûr de son droit, part en croisade pour récupérer son bien, « parce qu’on ne peut faire confiance à ces gens de cinéma… » Il franchit les échelons de la hiérarchie religieuse, et civile pour se retrouver floué, noyé sous de pieux discours : « Pour détruire une mosquée, il faut en construire une autre », « le cinéma était un prétexte, c’est Dieu qui voulait la mosquée là ! », « c’est une affaire difficile, il faut aller à Rabat demander l’autorisation de démolir ».
Ambiance de comédie populaire : pendant que son mari poursuit sa quête, sa femme n’a qu’une idée en tête : fixer la date de la circoncision de leur fils. Prétexte à des dialogues de sourds du plus haut comique.
Péripéties, alliances, bons mots : « la djellaba ne fait pas l’imam… ». Un candidat aux futures élections, parachuté de Marrakech, fait campagne. Moha, en désespoir de cause va voir un médecin qui veut l’envoyer chez le psy … « mais je n’ai que Dieu ! » Pauvre Moha, jusqu’au vrai imam gagné par les sirènes de la télé qui le trahit.
On est loin de la terre ! Ce foutu cinéma a tout changé et vous fait prendre des vessies pour des lanternes, et des décors pour des lieux de culte. Et ces religieux opportunistes et ces politiques condescendants, et ces sages dévoyés… Autant en rire et s’en servir. Ce que Moha tentera de faire…
Sélectionné au festival de San Sébastien, le film a obtenu le Tanit de bronze aux JCC 2010, ainsi que le prix accordé par la chambre nationale des producteurs de films. Rien pour Abdelhadi Tourhache …mais les applaudissements qu’il reçut à Tunis, en allant chercher les prix pour le réalisateur absent, étaient bien réels.
Michèle Solle
Clap Noir
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