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Lussas 2007 - Les états généraux du film documentaire
Publié le : mercredi 14 février 2007
Pour Clap Noir, le compte-rendu de Caroline Pochon

Une jeune géné­ra­tion de cinéas­tes

A quoi s’inté­res­sent les jeunes cinéas­tes afri­cains, dont beau­coup sont des femmes, que l’on décou­vre aujourd’hui ? Aux femmes, dont la condi­tion est dépeinte sous dif­fé­ren­tes facet­tes, qu’il s’agisse de Ra, la répa­ra­trice, de Mamadou Cissé, qui dépeint avec sim­pli­cité dans son quo­ti­dien une femme dans un métier d’homme, ou encore du très effi­cace Sénégalaises et Islam d’Angèle Diabang Brenner, qui donne la parole à quel­ques femmes, cha­cune défen­dant une vision et une pra­ti­que de l’islam, cha­cune argu­men­tant avec intel­li­gence et convic­tion, même celles qui pour­rait paraî­tre la plus endoc­tri­née par un islam inté­griste. Le plus beau por­trait de femme de cette sélec­tion vient d’un film (court-métrage) fra­gile, pres­que mala­droit par moments, mais habité par un désir, une conni­vence, un charme. C’est Oumy et moi, d’Adams Sie, un dia­lo­gue amou­reux entre un jeune homme cinéaste et une jeune fille albi­nos, belle et intel­li­gente. Un Rohmer en Afrique, sous l’ombrelle qui pro­tège la peau d’Oumy du soleil, tout en devi­sant sur l’exclu­sion et la dif­fé­rence. Citons aussi le bref hom­mage à Senghor de Gora Seck, Senghor, je me sou­viens, ou encore l’hom­mage très "AfricaDoc" qu’Aïcha Thiam rend à son père dans un court-métrage appelé Papa. Y a-t-il un style AfricaDoc ? Peut-être. Ce n’est pas la pre­mière fois que l’on uti­lise une voix off sur des images de bord de mer (voir le court-métrage de Sohna Amar, Pourquoi, vu à Lussas en 2005). Le dis­pos­tif fonc­tionne mais le film est peut-être un peu court. Une pro­messe à suivre.

Oumy et moi, d'Adams Sie

Et des coups de coeur

J’ai gravé en tête les images du film d’Emmanuelle Demoris, Mafrouza-coeur. Avec elle, j’ai vécu au coeur du ghetto d’Alexandrie, à Mafrouza, en entrant dans les mai­sons, à parler de tout, de rien, d’amour, de divor­ces, de réconci­lia­tions, à chan­ter, à rire, à pleu­rer. Je suis entrée dans ces visa­ges filmés avec désir et atten­tion. C’est un film lent, qui prend son temps, le temps de l’Afrique, jus­te­ment. Filmé avec un cadre simple et inti­miste, il porte les contras­tes des mai­sons où la lumière, très forte, tombe à l’obli­que. Et puis, il y a cette scène d’antho­lo­gie, qui dure qua­rante minu­tes, où l’on voit une vieille femme entre­pren­dre de cons­truire un four au milieu d’une décharge. Pendant qu’elle cons­truit, les mains dans la boue, la vie conti­nue autour d’elle. Et parce que l’on s’ins­talle dans cette durée, que l’on est proche du temps réel, c’est un moment extra­or­di­naire. Emmanuelle Demoris a filmé pen­dant plu­sieurs années, elle s’est tota­le­ment impli­quée dans cette expé­rience, cette ren­contre avec les gens d’un quar­tier. Deux films sont pré­sen­tés à Lussas et elle parle de cons­truire le récit en cinq par­ties. Quoi qu’il en soit, un épisode isolé est déjà une belle expé­rience ciné­ma­to­gra­phi­que.

J’ai aussi en tête la folie meur­trière du mili­taire inter­viewé par Oswalde Lewat dans son beau film Une affaire de nègres. La réa­li­sa­trice came­rou­naise a mené une enquête cou­ra­geuse sur une affaire de droits de l’Homme. En 2001, après la créa­tion d’esca­drons de la mort à Douala, plus d’un mil­lier de jeunes sont arrê­tés et exé­cu­tés sans som­ma­tion. Evidemment, comme il ne s’agit que d’une "affaire de nègres", l’opi­nion inter­na­tio­nale n’a pas bougé, tandis que les parents des vic­ti­mes se ter­raient dans le silence. Seul, un avocat est en lutte. Le film retrace son combat, vient à la ren­contre des vic­ti­mes, s’inter­roge sur la mémoire, l’oubli impos­si­ble et pour finir, sur la démo­cra­tie et les droits de l’Homme au Cameroun. Ce qui vaut une inter­dic­tion de séjour à durée indé­ter­mi­née dans son pays pour la réa­li­sa­trice. Dans la scène qui me reste en tête, elle a réussi à entraî­ner l’un des bour­reaux sur les lieux du crime où il affirme fiè­re­ment et impu­né­ment avoir mas­sa­cré au moins 400 per­son­nes et là, avec un sou­rire gogue­nard, il rejoue la scène. Une scène hal­lu­ci­nante. Et dans le regard insis­tant, qui ne cille pas, de cette puis­sante réa­li­sa­trice, une déter­mi­na­tion, une rage qui emporte le film.

C’est un tra­vail qui fait un pen­dant afri­cain au tra­vail de mémoire effec­tué par Rithy Panh dans "S21". Même si le mas­sa­cre est de moin­dre ampleur, il ren­voie aux mêmes ques­tions sur la jus­tice et la nature humaine et n’est pas sans évoquer d’autres vio­len­ces qui sévis­sent ailleurs en Afrique. On pense au Congo, au Darfour, au Rwanda, bien sûr. Et on se dit que la réa­li­sa­trice a bien fait d’avoir l’audace d’appe­ler son film "une affaire de nègres", car elle nous ren­voie ainsi plus direc­te­ment à nos repré­sen­ta­tions, Européens ou Africains. Et même si c’est encore une affaire de nègres, Oswalde Lewat a su la rendre uni­ver­selle, au point de nous donner envie d’entrer dans son combat pour la jus­tice. Le film est promis, entre autres, à une sortie en salle.

Enfin, dans le regis­tre films "Sur l’Afrique", c’est à dire réa­li­sés par des Européens en Afrique, il faut signa­ler le film expé­ri­men­tal Maïsama m’a dit, de la Française Isabelle Thomas. Ce court-métrage marie l’hom­mage à un véri­ta­ble artiste, pein­tre des rues dont l’oeuvre, très ori­gi­nale, est donnée à voir de manière juste et élégante par la réa­li­sa­trice, à un trai­te­ment nar­ra­tif plus radi­cal et plus exi­geant que la plu­part de ceux de la sélec­tion. Un son très dépouillé, une voix off poé­ti­que, des images en super 8 qui rejoi­gnent des images au pré­sent. C’est un bel objet fil­mi­que, qui a sa place dans une sélec­tion Afrique comme dans une pro­gram­ma­tion d’art contem­po­rain.

Peut-on faire un bilan de cette pro­gram­ma­tion ? Il y a beau­coup de belles choses, y com­pris un hom­mage rendu à René Vautier, le réa­li­sa­tion d’Afrique 50, pre­mier pam­phlet anti­co­lo­nial.

Les films ont montré des femmes. Ce sont de beaux por­traits, comme Ra, la répa­ra­trice, Oumy et moi ou encore Maïmouna, la vie devant moi, de Fabiola Maldonado, qui montre une jeune femme bur­ki­na­bée en lutte contre l’exci­sion. C’est peut-être le moment de citer The mother’s house, de François Verster qui dresse avec une belle élégance le por­trait de trois géné­ra­tions de femmes dans un ghetto en Afrique du Sud. L’esthé­ti­que forte du film porte le regard vers des visa­ges très bien filmés, de très près, en longue focale. C’est un por­trait tra­gi­que de la misère, du ghetto. Beau mais pas très opti­miste.

Les femmes afri­cai­nes sont donc à l’écran et der­rière la caméra, avec des femmes comme Oswalde Lewat ou plus jeune mais pro­met­teuse, Angèle Diabang Brener. On les voit plei­nes d’humour et d’énergie, loin des cli­chés de la femme afri­caine oppri­mée. Dans pous­siè­res de femmes, Lucie Thierry nous montre des femmes au tra­vail et fières d’être balayeu­ses.

Comme le dit Jean-Marie Barbe, il y a encore beau­coup de films pro­po­sés "sur l’Afrique" et pas assez de films afri­cains sur son bureau de pro­gram­ma­teur. En outre, je m’inter­roge sur le deve­nir de ces films mon­trés à Lussas. Pour quel­ques uns, comme Une affaire de nègres, promis à un bel avenir, d’autres res­te­ront pro­ba­ble­ment dans le cir­cuit des fes­ti­vals. Quant aux films "made in Africa", le récit d’Aïcha Thiam est édifiant : "à la télé­vi­sion séné­ga­laise, ils n’ont pas voulu me l’ache­ter. Ils vou­laient que je leur donne. Tu parles, je ne leur ai pas donné."

Mais j’écoutais une femme de la région venue voir les films parler avec émerveillement des films et ajou­ter : "En matière d’Afrique, je suis curieuse de décou­vrir, quel que soit, au fond, la manière dont le sujet est traité. Je suis en Afrique". De fait, la salle était pleine.

Caroline Pochon (Clap Noir)

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