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Hama et Bélorgey racontent Sembène
Publié le : mercredi 14 novembre 2007
Table ronde animée par Catherine Ruelle. Amiens 2007

Sembene n’est plus, mais la richesse qu’il a laissé aux ciné­phi­les, cinéas­tes et cher­cheurs est immense. Clap Noir vous pro­pose des hom­ma­ges fait à l’aîné des anciens par ceux qui l’ont connu, vécu et tra­vaillé avec lui.





Catherine Ruelle
Je vou­lais que vous nous rap­pe­liez vos sou­ve­nirs à vous, en tant qu’amou­reux du cinéma mais aussi en tant qu’offi­ciel du Fespaco, à propos de Sembène Ousmane

Baba Hama
Notre pre­mière ren­contre phy­si­que est vrai­ment récente puisqu’elle a eu lieu au Fespaco en 1987. Mais comme tous les jeunes afri­cains, j’ai ren­contré Sembène au secondaire en étudiant ses œuvres lit­té­rai­res. Je dois dire d’ailleurs que jusque dans les années 87, quand Sembène venait à Ouagadougou, c’était de Sembène le lit­té­raire dont il s’agis­sait avant tout. L’auteur de Docker Noir, des Bouts de Bois de Dieu, de Xala… Ses écrits ont beau­coup marqué une jeu­nesse dont j’ai fait partie.

C’est en 1987 que je l’ai donc fina­le­ment ren­contré en tant que jour­na­liste pour la radio, et nos rap­ports se sont ensuite inten­si­fiés à partir de 1996 avec mon arri­vée à la tête du Fespaco. Lorsque mon pré­dé­ces­seur m’a donné quel­ques ins­truc­tions, en par­lant de Sembène il a dit « Le doyen, c’est le doyen, tu sais ce que ça veut dire en Afrique ! ». Mais j’ai eu une chance inouïe, je devais avoir une bonne étoile, je ne sais pas, mais « le tonton » m’a tout de suite adopté. Et je crois que ce n’était pas un hasard car je suis peuhl moi-même, cela a été notre pre­mier lieu. Delgado peut témoi­gner que Sembène m’a tou­jours écrit en com­men­çant par « mon frère ». Je dois confes­ser que je me sen­tais lié à lui de sorte que je ne pou­vais pas passer trente jours sans lui télé­pho­ner au bureau. Quand j’appe­lais il me deman­dait « qu’est ce qu’il y a ? », si je disais que j’appe­lais pour avoir des nou­vel­les il répon­dait « qu’est ce que tu veux ? Ca va ! Si tu n’as rien à faire occupe-toi à autre chose plutôt que de m’appe­ler ! ». Mais tout ça a tou­jours été dit de manière très affec­tive.

Au der­nier Fespaco, c’est vrai, c’était très dif­fi­cile pour nous tous de le voir absent. Lors des der­niers échanges que nous avons eus il m’a dit « Le Fespaco s’ouvre Samedi, mais il y a les élections au Sénégal, je vais d’abord voter et je vien­drai ensuite ». Le mardi sui­vant l’ouver­ture du Fespaco, j’ai reçu un fax annon­çant qu’il ne pour­rait mal­heu­reu­se­ment pas être avec nous cette année. C’est la pre­mière édition du Fespaco qu’il ratait. Nous avons voulu res­pec­ter sa dis­cré­tion et nous avons beau­coup échangé avec Clarence Delgado quant à la meilleure manière de pro­cé­der. On a fini par expli­quer aux jour­na­lis­tes qui nous har­ce­laient de ques­tions qu’il avait besoin d’un peu de repos. Ce fut la fin d’une longue amitié ; quand j’entends la plu­part des gens dire comme c’était quelqu’un de dur, je m’étonne tou­jours car il n’a curieu­se­ment jamais été dur avec moi. Aujourd’hui, c’est un baobab qui tombe, mais je crois que le meilleur hom­mage qu’on puisse rendre à sa mémoire est de tenir encore très haut le flam­beau qu’il nous a montré.

Catherine Ruelle
Sembène a beau­coup été aidé par des fran­çais au cours de son par­cours en cinéma. Quels étaient vos rap­ports avec Sembène, vous a-t-il demandé de l’aide sur ses der­niers films depuis que vous tra­vaillez au M.A.E. ?

François Bélorgey
Mon pre­mier contact avec Sembène s’est pro­duit en 1978 alors que je m’occu­pais du centre cultu­rel fran­çais de St Louis, j’avais à peine 25 ans, je connais­sais la lit­té­ra­ture de Sembène. Nous avions dans les cen­tres cultu­rels des droits sur les films afri­cains qui avaient béné­fi­cié de l’aide du minis­tère de la coo­pé­ra­tion, et entre autres ceux de Sembène : La Noire de…, Borom Sarett, Le mandat et autres. En 1978, je décide de passer des films de Sembène, et je vou­lais l’invi­ter à venir pré­sen­ter lui même sa fil­mo­gra­phie et son oeuvre lit­té­raire. On était en plein dans le débat sur Ceddo, c’était l’époque où Senghor était encore pré­si­dent de la République. Connaissant les rap­ports com­plexes qu’entre­te­nait Sembène avec le pou­voir à la fois en France et au Sénégal – c’était un homme très engagé – nous l’invi­tions à pro­fi­ter de cette tri­bune du centre cultu­rel fran­çais, véri­ta­bles outils de la coo­pé­ra­tion fran­çaise, rele­vant des ambas­sa­des de France. Il pro­fite, sans sur­prise, de cette tri­bune pour vili­pen­der le pou­voir Sénégalais, la France… Bien sûr j’ai été convo­qué par le conseiller cultu­rel après l’inter­ven­tion mus­clée de Sembène !

La seconde anec­dote a eu lieu autour du Camp de Thiaroye, sombre épisode de l’his­toire de France pen­dant la seconde guerre mon­diale, dont Sembène a fait un film en 1988. Evidemment Sembène a connu toutes les dif­fi­cultés pour monter le finan­ce­ment de ce film. Il a eu quel­ques finan­ce­ments de l’Algérie, un peu de l’Italie, mais sur­tout pas de la France, ça va sans dire, la France ayant au contraire essayé de per­tur­ber, si ce n’est d’empê­cher le tour­nage de ce film qui rela­tait un événement dont elle n’est pas très fière. En 1990/91, alors que je dirige le centre cultu­rel fran­çais de Dakar, je demande à Sembène si on peut faire une rétros­pec­tive de son tra­vail. Je le croyais un peu assagi par le temps. Sembène me donne immé­dia­te­ment son accord, à une condi­tion, la dif­fu­sion du Camp de Thiaroye. Aïe !

On a passé le film ; les auto­ri­tés fran­çai­ses com­men­çaient à digé­rer l’événement. Mais j’ai bien failli être viré une deuxième fois ! C’était quelqu’un qui ne fai­sait aucune conces­sion.

Propos recueillis par S. Perrin et B. Tiprez (Clap noir)

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