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Questions à Robbin Shuffield
Publié le : vendredi 7 septembre 2007

réa­li­sa­teur du docu­men­taire Thomas Sankara, l’homme intè­gre




Dans ce docu­men­taire, avant tout un film d’archi­ves, on voit le mythe Sankara s’expri­mer, on l’entend parler, rire et pro­non­cer ses dis­cours mémo­ra­bles avec une verve incroya­ble sur l’indé­pen­dance ali­men­taire, l’impé­ria­lisme, le néo-colo­nia­lisme mais aussi l’égalité entre hommes et femmes, l’accès de tous à l’éducation, la fin des pri­vi­lè­ges... C’est très émouvant.

Président du Burkina Faso de 1983 à 1987, il est arrivé au pou­voir à l’âge de 34 ans en tenue de capi­taine mili­taire, colt au cein­tu­ron et livre de Marx en main, avec un humour rava­geur et de gran­des ambi­tions.

Le film est cons­truit selon une nar­ra­tion his­to­ri­que, avec une voix off tra­di­tion­nelle : on suit d’abord la pro­gres­sion de l’état de grâce, de la fusion entre Sankara et le peuple Burkinabé auquel il redonne en peu de temps une dignité. Dans la deuxième partie du film, les rela­tions entre la France et le Burkina sont clai­re­ment établies. Un des extraits montre Sankara à côté de Mitterrand lors d’un congrès afri­cain à La Baule. Entre deux hommes de gauche, on sent toute la dif­fé­rence. Sankara dérange. Il est condamné. C’est son bras droit, son ami, Blaise Compaoré, qui pas­sera à l’acte pour assas­si­ner un homme que beau­coup sou­hai­taient voir dis­pa­raî­tre, y com­pris en France, comme le sug­gère le film, aucune preuve n’ayant été mise en évidence. Un entre­tien avec celui qui est encore aujourd’hui le chef d’Etat du Burkina montre dans son regard la lueur du crime.

C’est jus­te­ment le main­tien au pou­voir de Blaise Compaoré qui a dû rendre la fabri­ca­tion et ensuite la dif­fu­sion de ce film dif­fi­cile en Afrique

J’ai tenu à mon­trer le film au Fespaco en 2007. En pirate, car la sélec­tion offi­cielle n’a jamais donné de réponse (!), mais on ose. Ils l’auraient pris, j’aurais applau­dit des quatre mains du singe que je suis pour le culot ! La pro­jec­tion a donc eu lieu au Centre de Presse Robert Zongo, le off du off ! La salle était comble. Malheureusement, je n’étais pas là. Ironie du sort, le Fespaco s’est appro­prié le film dans sa gazette. Aujourd’hui, au Burkina Faso, la ten­sion semble se relâ­cher un peu, Blaise Compaoré a fait face à l’affaire Zongo en 1998-99. Signe qui ne trompe pas, les témoins ont fina­le­ment accepté de témoi­gner à visage décou­vert. Mais il reste dif­fi­cile d’y pro­po­ser le film.

Ensuite, le film a été montré dans une quin­zaine de fes­ti­vals, notam­ment à Bangui où il a déchaîné une tem­pête. La Centrafrique est l’un des der­niers bas­tions d’irré­duc­ti­ble gau­lois en Afrique, c’est une véri­ta­ble carte pos­tale de la poli­ti­que fran­çaise en Afrique. On croit voir une mul­ti­tude de sosies de Foccard ! Le Ministre de la Culture a été limogé à cause du film et le res­pon­sa­ble de l’Alliance Française s’est retrouvé sur la sel­lette.

Une dif­fu­sion sur Arte est prévue à la ren­trée, d’autres chaî­nes l’ont acheté, comme la chaîne par­le­men­taire, qui veut pro­po­ser un débat. Le Japon a aussi acheté le film, ce qui me laisse espé­rer que l’Afrique n’inté­resse pas que la com­mu­nauté afri­caine !

Pourquoi ce film ?

Je voyage beau­coup en Afrique notam­ment comme Journaliste Reporter Image. Sankara est un mythe. Surtout, il a pro­posé des solu­tions afri­cai­nes aux pro­blè­mes qui se posent à l’Afrique. C’était l’occa­sion de parler de ce qui est pour moi le prin­ci­pal pro­blème en Afrique, la poli­ti­que.

Pour l’anec­dote : en 1999, un ami afri­cain me montre chez lui un por­trait de Sankara. C’est une icône dans toute l’Afrique. Il me parle des mar­chés au mas­cu­lin, du sport de masse, de tous ses thèmes et m’expli­que qu’il a été assas­siné par l’actuel pré­si­dent du Burkina. C’est là que je décide d’en savoir plus.

Je suis resté long­temps en Côte d’Ivoire. Etrangement, tout le monde s’y reven­di­que de Sankara. Gbagbo se reven­di­que de Sankara, mais les rebel­les du Nord aussi...

Les archi­ves

Quand j’ai eu accès aux archi­ves de Sankara à l’INA, quand j’ai enfin décou­vert son visage, j’en ai eu les larmes aux yeux. J’ai eu du mal à trou­ver des archi­ves en Afrique. Celles que j’ai uti­li­sées pro­vien­nent essen­tiel­le­ment de l’INA et de Suisse.

J’ai inter­viewé beau­coup de témoins mais je n’en ai gardé que quel­ques uns. Je ne vou­lais sur­tout pas faire un film d’ana­lys­tes. Je n’ai gardé que des témoins qui avaient vécu direc­te­ment l’expé­rience ou connu per­son­nel­le­ment Sankara.

On sent une fas­ci­na­tion pour Sankara dans le film

Si je n’avais pas aimé Sankara, je n’aurais pas fait ce film. Sankara n’était ni dog­ma­ti­que, ni rigide. C’est un des rares chefs d’Etat intè­gre. Un per­son­nage mes­sia­ni­que même s’il refu­sait le culte de la per­son­na­lité. Pour moi, il vaut plus qu’un Ché, qu’un Fidel. Il n’a le sang que de sept per­son­nes sur les mains, lorsqu’il a réprimé une ten­ta­tive de coup d’Etat en 1983. Il le regret­tait publi­que­ment.

Il était d’une grande ouver­ture d’esprit. Catholique à la base, il avait lu le Coran et ne met­tait pas en avant une reli­gion par­ti­cu­lière.

Il a eu des liens avec Kadhafi, mais ces liens se sont relâ­chés. En fait, il essayait de pren­dre le meilleur de par­tout. Le cas­trisme mais pas uni­que­ment.

Pour autant, j’ai une appro­che de jour­na­liste. J’essaie d’être neutre. Ce n’est pas un film mili­tant. Je ne suis pas san­ka­riste. Le film est un mes­sage à tous les chefs d’Etat : une inté­grité exem­plaire.

Propos recueillis par Caroline Pochon (Clap Noir)

Thomas Sankara, l’homme intè­gre de Robin Shuffield
Documentaire (France), 86 min, 2006
Distributeur : Zom Production International
Contact : Zorn Production International
51 bd de Belfort F59000 Lille Zorn Production International
tel : 00 33 3 20 88 01 02 Fax : 00 33 3 20 88 01 03
mail : zorn chez zorn­pro­duc­tion.com

Plus d’infor­ma­tions sur : http://www.tho­mas­san­kara.net/arti­cle.php3?id_arti­cle=0160

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