A l’occasion d’Africamania, notre équipe a rencontré le réalisateur burkinabé Gaston Kaboré. Il donne son appréciation sur le festival du cinéma africain à Paris. L’interview
Africamania à la cinémathèque, qu’est-ce que vous en dites ? Enfin un festival de cinéma africain à Paris, il était temps !
Gaston Kaboré : Il était temps certes, même s’il y a eu des efforts qui ont été fait y compris à cinémathèque. Certains films ont été programmés, il y avait une curiosité de base qui existait, mais là c’est une manifestation plus grande en volume, en durée, en diversité de films présentés. Mon espoir c’est que cela puisse engendrer d’autres manifestations moins panoramiques comme celle-là, mais qu’il y ait toujours en permanence une présence du souffle du cinéma africain à la cinémathèque française.
C’est en quelque sorte une forme de renaissance tardive ?
G.K. : Moi vous savez, je ne veux pas me mettre dans une position de victime. Il y a des choses qui ne se passent pas, c’est regrettable, mais quand ça se passe il faut dire tant mieux. Il faut se poser la question comment aller plus loin, c’est dans cette seconde attitude que je me situe. Il y a sûrement d’autres choses à faire pour donner la place qu’il mérite à ce cinéma de tout un continent, qui du reste a déjà donné des œuvres assez significatives au cinéma mondial. De façons régulières, il y a eu des présences remarquées africaines dans des festivals comme Cannes, Venise ou Locarno. Sans doute la faiblesse de la production que nous avons en général en Afrique ne milite pas en faveur d’une présence continue et intense, mais pour autant, je pense que beaucoup de choses peuvent être faites, notamment en introduisant le cinéma africain dans d’autres circuits comme l’enseignement. Parce que je crois que ces œuvres ont leurs propres singularités qui proviennent d’imaginaire particulier et il est important que dans la culture cinématographique des cinéphiles, il y ait des films de notre continent.
Vous diriez qu’il y a un cinéma africain ou des cinéastes africains ?
G.K. : Il y a des cinéastes africains et il y a des cinémas africains. Mais il y a aussi un cinéma africain. Quand on dit cinéma africain, ce n’est pas pour le ramener à un seul bloc monolithique. Je pense que la diversité des œuvres, les personnalités très diverses d’auteurs, les thématiques qui sont abordées font que c’est Un Cinéma, à l’instar des autres cinématographies continentales ou régionales, offrant une grande palette de choses. Quand on dit le cinéma africain, c’est plus le contexte dans lequel ce cinéma se développe à la fois le contexte économique, historique, sociologique et culturel. Donc ce n’est pas pour désigner des œuvres comme si elles étaient interchangeables, identiques ou répétitives à l’infini ; simplement pour dire qu’il y a un continent où le cinéma est jeune, qui a beaucoup encore à dire et qui essaye de s’exprimer dans un contexte assez difficile sans fondements. Disons que ça conditionne aussi comment ce cinéma émerge, s’exprime, se distribue, se voit à travers le monde.
Comment qualifieriez-vous aujourd’hui le cinéma africain ?
GK : Est-ce que c’est vraiment important de le qualifier. Vous savez ce qui m’a toujours fait peur, se sont les cases. On a voulu créer des tiroirs pour ranger le cinéma africain, cela a conduit à des appellations imbéciles comme « film de village » ou « film calebasse ». C’est un mépris insupportable. De quel cinéma parle t’on comme ça ? Est-ce que pour le cinéma asiatique on parle de « film de rizière » ? Il faut que les gens comprennent que c’est un cinéma qui a sa propre complexité et qu’il ne faut pas chercher une qualification particulière. Le danger, quand les gens le disent en sachant qu’il existe une très grande diversité, ça va, mais comme les médias n’ont pas beaucoup de places pour nos œuvres, ça devient une réduction de la dynamique, de la diversité de ce cinéma là. Et cela provoque parfois une réaction très légitime chez certains cinéastes qui refusent l’appellation de « cinéastes africains », c’est dommage, mais c’est parce qu’ils savent que dans l’esprit de ceux qui utilisent cette expression, c’est une sorte de réduction.
Nous devons nous assumer et si nous sommes convaincus que nos films sont importants en Afrique pour notre mémoire, notre patrimoine, il faut alors que l’on pose les actes qui permettront à ce cinéma de s’inscrire sur son propre sol. C’est important car nos premiers publics, ce sont les africains. C’est pourquoi on devrait là aussi introduire l’enseignement dans nos collèges et nos lycées. C’est une forme artistique qui doit être traitée à l’égal de la littérature, de la poésie ou de la musique. En fait nous souffrons en Afrique du manque de perception de la culture comme un tout.
C’est important qu’on ait une rétrospective du cinéma africain à Paris, mais que serait un cinéma africain ou des cinémas d’Afrique à Paris s’il n’y a pas un rapport privilégié avec son public premier en Afrique. Donc il faut faire les deux simultanément et de front.
Propos recueillis par Myriam N’Guénor et Isabelle Audin (Clap Noir)
Clap Noir
Association Clap Noir
18, rue de Vincennes
93100 Montreuil - France