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Cinémas d’Afrique : Une génération salue, une autre fait son entrée
Publié le : dimanche 8 février 2009


Du 7 au 16 novem­bre 2008, au fes­ti­val d’Amiens - comme à Cannes -, on croise un cinéaste ougan­dais, une cinéaste ira­nienne, on voit des images d’Amérique Latine, d’Afrique ou encore des rétros­pec­ti­ves de films fran­çais ou amé­ri­cains. Le soir, les salles de la maison de la culture ne désem­plis­sent pas. Les habi­tants d’Amiens croi­sent les fes­ti­va­liers dans une ambiance riche et sti­mu­lante. Les débats sui­vant les pro­jec­tions sont l’occa­sion de réflé­chir ensem­ble.

Traditionnellement dédié en par­ti­cu­lier aux ciné­ma­to­gra­phies afri­cai­nes depuis sa créa­tion, le fes­ti­val d’Amiens se veut une vitrine des ciné­ma­to­gra­phies du Sud, un Sud qui ne se contente plus d’être de l’autre côté de la médi­ter­ra­née, mais qui va de l’Asie à l’Amérique Latine.
Afrique noire et Maghreb sont donc tou­jours repré­sen­tés à Amiens, même si les pro­jets se font plus rares, dans un contexte de raré­fac­tion des aides (dis­pa­ri­tion effec­tive du Fonds Images Afrique, res­ser­re­ment des aides venues du Fonds Sud) jusqu’alors por­teu­ses de la ciné­ma­to­gra­phie afri­caine. Les temps sont durs : invi­tée par le fes­ti­val pour pit­cher son projet de long métrage, Le bélier, la réa­li­sa­trice séné­ga­laise Khady Sylla n’a pas obtenu son visa.
Face à ce désen­ga­ge­ment plus ou moins assumé par les res­pon­sa­bles du Ministère des Affaires Etrangères fran­çais, qui par­lent d’ "ouver­ture" et insis­tent sur l’essor des formes de pro­duc­tion indé­pen­dan­tes liées à l’usage de moyens de pro­duc­tion numé­ri­ques (nous en ver­rons quel­ques exem­ples, en par­ti­cu­lier Divizionz d’un col­lec­tif yes thats us ! ougan­dais, avec Donald Mugisha), le Centre National de la Cinématographie maro­cain ren­force quant à lui son influence en termes de pro­duc­tion, post-pro­duc­tion et même sou­tien à l’écriture. Au Fonds d’aide au déve­lop­pe­ment, sur cinq bour­ses (de 7.500 euros) attri­buées à des pro­jets de long métra­ges, outre deux pro­jets situés en Amérique Latine, deux pro­jets sou­te­nus sont ceux de jeunes réa­li­sa­teurs maro­cains, Hassan Legzouli pour Dieu reconnaî­tra les siens et Hicham Falah pour La muta­tion (voir les résul­tats com­plets du fonds d’aide au déve­lop­pe­ment).

En sélec­tion offi­cielle, trois longs métra­ges afri­cains ont concurru sur qua­torze, et deux court-métra­ges, dont l’un, Subira de la Kenyane Ravneet Sippy Chadhah, aidé par l’Unesco, men­tion spé­ciale du jury pour le court-métrage et prix ciné­courts, nous conte le drame de la condi­tion des filles en islam inté­griste. C’est peu, mais cela donne un reflet assez précis des chan­ge­ments struc­tu­rels en cours. On voit d’une part une géné­ra­tion, celle qui a tra­versé les cham­bou­le­ments poli­ti­ques et économiques des années soixante dix, reve­nir sur le tard sur les drames de cette époque. C’est ce que fait brillam­ment Hailé Gérima, cinéaste éthiopien majeur vivant aux Etats Unis dans le bou­le­ver­sant Teza (la rosée). C’est d’ailleurs ce film qui obtient la licorne d’or, grand prix du long métrage pour cette année 2008 (voir en annexe le pal­ma­rès com­plet).

De l’autre côté, on voit émerger une jeune géné­ra­tion de cinéas­tes, ni vrai­ment afri­cains, ni vrai­ment euro­péens, mais nour­ris d’une culture riche, et qui font de la jeu­nesse l’objet de leurs inter­ro­ga­tions, en écho à leur propre expé­rience. Ce sont aussi des jeunes cinéas­tes docu­men­ta­ris­tes, en par­ti­cu­lier des femmes, comme Nadia El Fani en Tunisie avec Ouled Lénine, ou Leila Kilani au Maroc avec Nos lieux inter­dits, ou encore Fabienne Kanor et Emmanuelle Bidou qui s’inté­res­sent aux Antillais "exilés" en métro­pole dans Jambé Dlo, qui inter­ro­gent aujourd’hui la géné­ra­tion des pères sur leur jeu­nesse et leurs enga­ge­ments dans les années soixante - soixante dix et com­men­cent ainsi à tisser, elles aussi, une his­toire de l’Afrique d’après les indé­pen­dan­ces. Sans mili­tan­tisme, mais avec une grande intel­li­gence des événements et des drames qu’ont tra­versé les pères.

Cheick Doukouré et les Africains en exil dans les années soixante dix

© François Girodon

Les pères, ce sont aussi ceux qui ont immi­gré dans les années soixante - soixante-dix et qui ont vécu seuls, en France, par exem­ple, dans des condi­tions dont peu de cinéas­tes ont parlé. Le fes­ti­val d’Amiens rend cette année un hom­mage à Cheikh Doukouré, qui vécut en grande partie en France et fut tour à tour comé­dien, scé­na­riste et cinéaste. Il est cette année, comme Claude Chabrol dg Mark Rydell, lau­réat d’une licorne d’or pour l’ensem­ble de son oeuvre. Son enga­ge­ment dans le cinéma fut impor­tant pour parler de cette pos­ture de l’Africain immi­gré, à une époque où le regrou­pe­ment fami­lial n’exis­tait pas, où le satel­lite ne don­nait pas des images du monde dans le monde, où les seuls jobs que les Africains pou­vaient faire en France étaient... éboueurs. Dans le très joli film réa­lisé par Sarah Maldoror en 1980 pour Antenne 2, Un des­sert pour Constance, avec un trai­te­ment plein d’humour, de poésie et de jazz, Cheikh Doukouré incarne, en com­pa­gnie de son alter ego Sidiki Bakaba, un éboueur afri­cain qui se pas­sionne pour la cui­sine fran­çaise.

Mais il faut aussi redé­cou­vrir le film Bako, l’autre rive, réa­lisé par Jacques Champreux sur un scé­na­rio du Guinéen qui raconte le voyage entre Afrique Noire et France d’un groupe d’immi­grés clan­des­tins. La vio­lence, la dureté et la vio­lence de ce voyage décrit en 1978, n’a hélas pas pris une ride aujourd’hui.

Caroline Pochon
Novembre 2008

Voir le pal­ma­rès et les résul­tats com­plets du 13e Fonds d’aide au déve­lop­pe­ment du scé­na­rio.

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