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Entretien avec Ferid Boughedir
Publié le : mardi 27 mai 2008
Naples, 27 mai 2008

Les propos sui­vants ont été recueillis lors d’un cycle de cinq jours à Naples, consa­cré à la ciné­ma­to­gra­phie tuni­sienne. L’événement orga­nisé par l’Association cultu­relle Dido pré­si­dée par Lucia Valenzi, a vu la par­ti­ci­pa­tion des cinéas­tes tuni­siens Nourid Bouzid, Hichem Ben Ammar, Mohamed Challouf et du met­teur en scène et cri­ti­que ciné­ma­to­gra­phi­que Ferid Boughedir.





Quelle est l’atti­tude géné­rale des cri­ti­ques afri­cains de cinéma envers l’inces­sante pro­duc­tion block­bus­ter des stu­dios Misr en Egypte ?

Le cinéma égyptien est sans doute une indus­trie du diver­tis­se­ment. Nous ne pou­vons rester indif­fé­rents envers une tra­di­tion ciné­ma­to­gra­phi­que né en 1927 et encore capa­ble de diri­ger le regard du public, impo­sant son point de vue moral et visuel sur les spec­ta­teurs des pays ara­bo­pho­nes avec un jeu sou­li­gné et mélo­dra­ma­ti­que. Néanmoins, au milieu de son expan­sion l’indus­trie du Caire a pris aussi une autre direc­tion poé­ti­que déclen­chée par la ten­sion auto­bio­gra­phi­que intro­duite dans les films de Youssef Chahine, Salah Abuh Sayf et bien d’autres met­teurs en scène. Grâce à ces auteurs on peut affir­mer que le cinéma sur le Nil a eu sa révolte esthé­ti­que de la même manière que celle de John Cassavetes à Hollywood.

Une révolte idéo­lo­gi­que en pre­mier lieu donc ?

Nous nous sommes battus bien évidement contre notre “cinéma de papa”. Mais cette lutte a été menée exclu­si­ve­ment sur un plan esthé­ti­que pour la reconnais­sance des autres pro­duc­tions du cinéma arabe mais en met­tant de côté toutes sortes de reven­di­ca­tions natio­na­lis­tes. Une indus­trie lourde du diver­tis­se­ment qui a changé de sur­face au cour des der­niè­res années depuis que les capi­taux wah­ha­bit­tes sont entrés dans l’indus­trie ciné­ma­to­gra­phi­que pour finan­cer les feuille­tons expor­tés au Moyen-Orient : les entrac­tes musi­ca­les sont encore assez lon­gues mais les dan­seu­ses sont main­te­nant plus vêtues ; un nou­veau code pro­duc­tion s’est récem­ment imposé : les acteurs de sexe dif­fé­rent par exem­ple ne peu­vent être sur­pris dans la même cham­bre seu­le­ment à condi­tion de filmer une porte ouverte.

Est-ce que vous pensez que la défaite his­to­ri­que de l’an-Naksah (“la guerre du revers”) en 1967 a secoué les formes tra­di­tion­nel­les du cinéma arabe ?

Mon pre­mier docu­men­taire Camera d’Afrique (1983) était consa­cré au cinéma sub-saha­rien. Mais pen­dant les années quatre-vingts j’ai tra­vaillé aussi à un film entiè­re­ment sur ce sujet, qui est sorti en 1987 avec le titre de “Caméra arabe”. J’ai recueilli les propos et les opi­nions de nom­breux réa­li­sa­teurs arabes. Les sup­por­ters de l’hypo­thèse d’une rup­ture his­to­ri­que et esthé­ti­que sur l’écran, suite à la guerre de six jours sont nom­breux : parmi eux figure aussi le nom de mon com­pa­triote Nouri Bouzid qui a sou­li­gné la néces­sité pour le cinéma arabe de mettre en scène une pause pour réflé­chir à nou­veau sur sa propre iden­tité.

Quelle rela­tion y a t-il entre les fes­ti­vals de cinéma majeurs, comme les Journées Cinématographiques de Carthage et le Fespaco de Ouagadougou au Burkina Faso ?

Il n’y a jamais eu de riva­lité média­ti­que ou cultu­relle. J’ai publié récem­ment une étude qui confirme le carac­tère com­plé­men­taire de ces deux évènements bien­naux : les JCC se dérou­lent dans les années paires tandis que le Fespaco dans les impai­res, ce qui permet aux cinéas­tes de se retrou­ver une fois au nord du Sahara et l’autre au sud. Dès sa pre­mière édition en 1966 le fes­ti­val tuni­sien a ouvert ses portes au cinéma de l’Afrique noire en récom­pen­sant Noire de..., pre­mier long-métrage du grand réa­li­sa­teur séné­ga­lais Sembène Ousmane..

Quelle est l’atti­tude des nou­vel­les géné­ra­tions de réa­li­sa­teurs tuni­siens envers Tahar Cheriaa, fon­da­teur des JCC ?

L’élan pana­fri­cain parti de Tunis s’est répandu aussi rapi­de­ment à Ouagadougou, en 1970 la deuxième édition du Fespaco qui était encore un évènement non-com­pé­ti­tif avait pro­jeté aussi des films algé­riens et tuni­siens. Cheriaa, père cultu­rel du cinéma tuni­sien, et fon­da­teur des Journées Cinématographiques de Carthage a joué lui aussi un rôle impor­tant dans la pro­mo­tion du Fespaco. Sorti de prison à la fin des années Soixante, en arri­vant à Paris, Cheriaa est élu res­pon­sa­ble du ser­vice cinéma de l’Agence de la fran­co­pho­nie, ou il encou­rage l’ins­ti­tu­tion­na­li­sa­tion et l’inter­na­tio­na­li­sa­tion du fes­ti­val pana­fri­cain encore peu connu en Occident.

Quelle est la situa­tion actuelle de l’indus­trie ciné­ma­to­gra­phi­que dans la région du Maghreb ?

Le contexte pro­duc­tif dans les pays d’Afrique du Nord nous offre un cadre diver­si­fié. L’indus­trie du cinéma alge­rien actuel­le­ment est sinis­tré, la Tunisie mani­feste une pro­duc­tion faible mais de bonne qua­lité avec une moyenne de deux-trois long-métra­ges par an, tandis que l’essor indus­triel du cinéma maro­cain est supre­nant. Depuis 1997 le gou­ver­ne­ment de Rabat a adopté un sys­tème de finan­ce­ment à la fran­çaise, avec des impôts directs de 5% sur les reve­nus de la télé­vi­sion. Une pro­duc­tion iné­gale mais vigou­reuse qui atteint une dizaine d’oeu­vres par an. Ce serait un remède effi­cace pour une partie des ciné­mas afri­cains qui seraient dans les condi­tions de trou­ver for­cé­ment une meilleure qua­lité dans la quan­tité.

Le cinéma afri­cain a encore été le grand absent dans toutes les sec­tions de la 61e édition du Festival de Cannes. Quelle est votre opi­nion à ce propos ?

Le bilan pou­vait être encore plus néga­tif si la World Cinéma Foundation de Martin Scorsese n’avait pas pré­senté dans la sec­tion Cannes Classique, une ver­sion res­tau­rée de Touki Bouki (1973), grande oeuvre expé­ri­men­tale du cinéaste séné­ga­lais Djibril Diop Manbety.

Propos rec­cueillis par Giuseppe Sedia

Filmographie de Ferid Boughedir

- 1975 Le pique-nique (moyen-métrage de fic­tion)
- 1983 Caméra d’Afrique (long-métrage docu­men­taire)
- 1985 Caméra de Carthage (court-métrage docu­men­taire)
- 1987 Caméra arabe (moyen-métrage docu­men­taire)
- 1990 Halfaouine, l’enfant des ter­ras­ses (long-métrage de fic­tion)
- 1996 Un été à la Goulette (long-métrage de fic­tion)

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