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Interview de M. Ouedraogo, responsable du Fespaco
Publié le : lundi 16 février 2009
Ouagadougou, novembre 2008




Pourquoi avoir choisi Dakar pour lancer les confé­ren­ces inter­na­tio­na­les ?

Le prin­cipe retenu de faire le lan­ce­ment de la cam­pa­gne inter­na­tio­nale du Fespaco à Dakar relève de notre volonté de confir­mer et d’impo­ser le Festival comme une mani­fes­ta­tion conti­nen­tale. Le choix de Dakar aussi pour rendre hom­mage à Sembène Ousmane qui comme vous le savez a beau­coup œuvré pour le cinéma afri­cain. Mais aussi, il a adopté le Fespaco et en a fait son affaire per­son­nelle. Nous pen­sons qu’il serait bon que le Fespaco lui rendre un hom­mage non seu­le­ment en reconnais­sance mais pour mar­quez la dimen­sion de l’homme qui a donné toute sa vie au Fespaco.

On fait aussi état de dif­fi­cultés que vous éprouvez pour réunir le budget d’orga­ni­sa­tion pré­vi­sion­nelle pour le Fespaco ?

Comme toute mani­fes­ta­tion cultu­relle en Afrique, il y a effec­ti­ve­ment des dif­fi­cultés. Mais je peux vous assu­rer aujourd’hui à cette étape que les dif­fi­cultés sont tota­le­ment réso­lues. Il y a la mobi­li­sa­tion des finan­ce­ments publics et la mobi­li­sa­tion des finan­ce­ments privés. Nous avons recou­vré à 100% la contri­bu­tion de l’Etat bur­ki­nabè. Et cer­tai­ne­ment que nous allons aussi recou­vrer à 100% la contri­bu­tion d’autres ins­ti­tu­tions. Nous recher­chons plus de moyens pour faire un Fespaco comme on en rêve et comme on le veut.

Qu’est-ce qui peut expli­quer qu’après qua­rante ans d’exis­tence, le Fespaco soit encore à bal­bu­tier dans la mobi­li­sa­tion des res­sour­ces ?

Ce qui est propre au Fespaco est propre à l’Afrique. L’Afrique conti­nue aussi de bal­bu­tier et voilà tout notre pro­blème. La démo­cra­tie afri­caine bal­bu­tie, la culture afri­caine aussi bal­bu­tie. Quels inté­rêts l’Afrique donne à sa culture, accorde à sa culture ? Ce sont ces ques­tions fon­da­men­ta­les qu’il faut se poser. Nous devons de plus en plus tra­vailler avec le sec­teur privé parce que le sec­teur public a ses limi­tes et que même dans les bud­gets des Etats pris indi­vi­duel­le­ment, la culture ne béné­fi­cie pas des meilleurs parts de budget. Nous devons donc tra­vailler à trou­ver des finan­ce­ments inno­vants, et c’est ce tra­vail que nous menons actuel­le­ment en nous ouvrant vers le sec­teur privé. Il faut aussi que nous ayons des démar­ches vers les déci­deurs poli­ti­ques, vers les déci­deurs économiques pour que de plus en plus on prenne en consi­dé­ra­tion la culture afri­caine et par­ti­cu­liè­re­ment le cinéma afri­cain qui peut beau­coup appor­ter à notre iden­tité cultu­relle.

Vous avez initié un docu­ment cadre dénommé « Fespaco vision 21 » qui résume ce que vous avez comme vision pour le Fespaco. Qu’est-ce qu’il y a comme idée force dans ce docu­ment ?

Vision 21 veut rele­ver le défi qui s’impose au cinéma afri­cain pour le 21ème siècle. Il faut qu’il y ait une réflexion col­lec­tive pour que le Fespaco soit tou­jours la dyna­mi­que, la loco­mo­tive du cinéma afri­cain. Travailler à péren­ni­ser le Fespaco, à lui donner des habits neufs en fonc­tion des nou­vel­les réa­li­tés tech­no­lo­gi­ques. Travailler à faire du Fespaco, une ins­ti­tu­tion forte, à lui donner une image inter­na­tio­nale parce que sur la scène inter­na­tio­nale, la culture afri­caine est en com­pé­ti­tion avec les autres cultu­res, le cinéma afri­cain est en com­pé­ti­tion avec les autres ciné­mas. Le Fespaco doit être une vitrine forte pour toute l’Afrique.

Vous parlez de ren­for­cer le carac­tère « bien­nale » du Fespaco. Pourtant un de vos pré­dé­ces­seurs à la tête de cette ins­ti­tu­tion rêvait d’un Fespaco annuel. Est-ce qu’une idée que l’ins­ti­tu­tion a défi­ni­ti­ve­ment aban­don­née ?

Moi, je fais du Fespaco au quo­ti­dien. Il ne faut pas seu­le­ment voir la bien­nale parce que l’essence du Fespaco, c’est de tra­vailler à faire la pro­mo­tion au quo­ti­dien du cinéma afri­cain. Aujourd’hui, notre rêve, c’est de tra­vailler à ce que toutes les télé­vi­sions afri­cai­nes puis­sent avoir des pro­gram­mes de cinéma afri­cain réa­li­sés par des afri­cains. Je sou­hai­te­rais aujourd’hui que dans toutes les salles de cinéma en Afrique, on puisse avoir des images afri­cai­nes. Notre ambi­tion est donc d’œuvrer à ce que la pro­mo­tion du cinéma afri­cain se fasse au quo­ti­dien. Maintenant quant à la bien­nale ou au Fespaco annuel, nous reve­nons à ce qui a été dit pré­cé­dem­ment à savoir la mobi­li­sa­tion des res­sour­ces. Et dans ces condi­tions, il nous sera dif­fi­cile de passer à un Fespaco annuel. Il nous faut d’abord arri­ver à une forme de struc­tu­ra­tion du finan­ce­ment du Fespaco avec des par­te­nai­res cré­di­bles qui peu­vent nous accom­pa­gner sur dix ans, vingt ans. Mais, déjà nous pen­sons que la bien­nale est déjà un grand rendez-vous qu’il faut tra­vailler à ren­for­cer, à cré­di­bi­li­ser avec une orga­ni­sa­tion par­faite. Pour nous, l’ambi­tion est de faire du Fespaco au quo­ti­dien. Pour le fes­ti­val en lui-même, le pro­blème n’est pas de le faire annuel­le­ment ou tous les deux ans mais bien de mieux l’orga­ni­ser.

Le Fespaco donne l’impres­sion de sta­gner depuis quel­ques éditions. Avez-vous iden­ti­fiez les pro­blè­mes qui minent cette fête du cinéma Africain ?

En réa­lité, le Fespaco ne vivait pas une situa­tion de sta­gna­tion. Mais, il avait plutôt besoin d’un nou­veau souf­fle. Nous consi­dé­rons que ce qui a été fait glo­ba­le­ment par le Fespaco pen­dant qua­rante ans est assez for­mi­da­ble. Mais, il existe aujourd’hui une nou­velle dyna­mi­que qui s’impose à nous : lui donner une visi­bi­lité de plus en plus forte. Les gens avaient ten­dance à confon­dre l’ins­ti­tu­tion et la bien­nale. On ne par­lait du Fespaco que pen­dant la bien­nale. Nous nous pen­sons que le Fespaco en tant qu’ins­ti­tu­tion du cinéma afri­cain doit avoir une vie per­ma­nente, une vie orga­ni­sée avec une forte visi­bi­lité. Notre ambi­tion est donc d’accroî­tre la dimen­sion du Fespaco. Nous sommes donc dans la conti­nuité de ce qui a déjà été fait. Les pro­po­si­tions faites dans « vision 21 » sont par­fois tirées des expé­rien­ces de nos pré­dé­ces­seurs, ce sont aussi des idées qu’ils ont défen­dues et que nous repre­nons à notre compte pour les faire pro­gres­ser. Notre ambi­tion, c’est de faire avan­cer le Fespaco sans rup­ture, dans la conti­nuité mais avec des inno­va­tions.

Entre autres inno­va­tions, vous pro­met­tez un défilé des vedet­tes afri­cai­nes comme au Festival de Cannes. Où en êtes-vous dans sa mise en oeuvre ?

Je dis que le Fespaco doit aussi être le rendez-vous des étoiles afri­cai­nes. Je pense à des vedet­tes telles que Didier Drogba, Samuel Eto’o, Jean Amadou Tigana,…C’est donc un devoir pour nous de faire en sorte que le Fespaco soit aussi un trem­plin pour eux. Quand vous avez un grand écrivain comme Thierno Monenembo qui vient de rem­por­ter le prix « Renaudot », je pense qu’il est de notre devoir de le faire décou­vrir par l’Afrique. Ce sont des afri­cains qui se sont faits dans la dia­spora mais qui appar­tien­nent à l’Afrique. Le Fespaco en tant que creu­set de l’excel­lence doit donner une vitrine à tous ceux qui défen­dent les cou­leurs afri­cai­nes dans le monde. Le Fespaco doit être un trem­plin pour les stars afri­cai­nes qu’ont retrou­vent dans la culture, le cinéma, le sport. Pour cette année 2009, nous allons appro­cher cer­tai­nes stars pour les faire venir.

On parle aussi de la venue de stars afri­cai­nes de la dia­spora amé­ri­cai­nes notam­ment Denzel Washington pour le pro­chain Fespaco. Vous confir­mez ?

Ce sont des ambi­tions que nous avons. Beaucoup sont déjà venus au Fespaco. Je pense qu’il faut pour­sui­vre, il faut décou­vrir. Nous sommes actuel­le­ment sur la piste de Sidney Poitier qui est aujourd’hui une grande réfé­rence du cinéma afri­cain, qui est aujourd’hui l’icône, l’image du noir dans le cinéma amé­ri­cain. C’est une expé­rience, une car­rure du cinéma inter­na­tio­nal. Nous sommes sur de bonnes pistes. On peut tous les ras­sem­bler cette année, comme on pourra peut-être les ras­sem­bler en 2011. Ce qui est fon­da­men­tal, c’est qu’ils sachent que quel­que part, il y’a une volonté de les asso­cier à la fête du cinéma afri­cain.

Les quel­ques 45 000 fes­ti­va­liers que vous atten­dez peu­vent s’atten­dre à quoi comme inno­va­tion ?

Ils doi­vent s’atten­dre à avoir un peu plus de vedet­tes afri­cai­nes, à un accueil avec plus de proxi­mité pour les inté­grer dans la dyna­mi­que. Ils doi­vent s’atten­dre à ce qu’il y ait plus d’acti­vi­tés récréa­ti­ves parce qu’après les pro­jec­tions de films, il y avait des dif­fi­cultés à trou­ver une place forte du Fespaco à Ouagadougou, nous sommes en train de tra­vailler à créer cet espace où l’ensem­ble des fes­ti­va­liers pourra se retrou­ver de minuit jusqu’à 3h du matin. Il ne faut pas qu’après les pro­jec­tions, il y ait une dif­fi­culté à se mou­voir à Ouagadougou, à trou­ver un espace où l’on peut s’expri­mer. Nous pré­voyons de peti­tes inno­va­tions. Nous disons à tous les amou­reux du cinéma afri­cain, à tous ceux qui veu­lent venir à Ouagadougou, qu’ils feront le cons­tat que des inno­va­tions peu­vent être faites. Et que les sug­ges­tions des uns et des autres peu­vent être prises en compte pour rec­ti­fier le tir car en matière d’orga­ni­sa­tion rien n’est figé, tout est évolutif.

Pourquoi avoir choisi de bais­ser le nombre de films en com­pé­ti­tion ?

Ce n’est pas une volonté de dimi­nuer le nombre de films en com­pé­ti­tion. C’est plutôt une volonté d’être dans les réa­li­tés du temps. De plus en plus, les fes­ti­vals dimi­nuent le nombre de films en com­pé­ti­tion. Quand vous deman­dez à des per­son­nes com­pé­ten­tes de juger 20 films en 5 jours, je pense que vous leur deman­dez quel­que chose de dif­fi­cile. Il est de notre devoir de res­ser­rer un peu la sélec­tion pour qu’elle soit une sélec­tion qui se mérite, je ne dis pas que ceux qui étaient là ne le méri­taient pas. Nous allons res­ser­rer la sélec­tion en limi­tant le nombre de films à 15. Mais notre sou­hait, c’est de passer à un Fespaco à 10 jours qui nous per­met­tra de repas­ser à 20 films en com­pé­ti­tion offi­cielle parce qu’on gagnera trois jours sup­plé­men­tai­res pour la com­pé­ti­tion. Mais pour le moment, nous vou­lons per­met­tre au jury d’avoir un tra­vail pro­fes­sion­nel. En 5 jours de com­pé­ti­tion, cela fait bien 3 films à vision­ner par jours. Ce qui n’est déjà pas facile.

Cinéma afri­cains, tou­risme et patri­moi­nes afri­cains, tel est le thème du pro­chain Fespaco pour­quoi le choix d’un tel thème pour le 21ème Fespaco ?

Nous avons choisi ce thème parce que la pro­duc­tion ciné­ma­to­gra­phi­que en Afrique est à créer, aujourd’hui aussi l’indus­trie tou­ris­ti­que en Afrique est en ges­ta­tion. Ce sont là, deux indus­tries qui peu­vent se donner la main pour voir ensem­ble qu’elles sont les liens pos­si­bles à établir. Une autre vision qu’on peut avoir du thème, et qui à mon sens est le plus impor­tant, ce sont les patri­moi­nes afri­cains et le cinéma. Parce qu’à ce niveau, c’est de faire com­pren­dre aux uns et aux autres que l’Afrique à son ima­gi­naire et que dans le patri­moine afri­cain, le cinéma afri­cain peut tirer les énergies et les res­sour­ces néces­sai­res pour se valo­ri­ser au plan inter­na­tio­nal. On n’a cer­tai­ne­ment pas besoin en Afrique de copier les pro­duc­tions hol­ly­woo­dien­nes avec par­fois des thèmes qui n’ont rien à voir avec les préoc­cu­pa­tions de l’Afrique. Dans les patri­moi­nes afri­cains, il y a la néces­sité de res­sor­tir toutes les res­sour­ces néces­sai­res pour valo­ri­ser ce patri­moine à tra­vers notre cinéma. C’est une ques­tion iden­ti­taire pour faire connaî­tre notre patri­moine à l’exté­rieur mais aussi pour s’ouvrir au monde.

Quel bilan peut-on établir de qua­rante (40) années de Fespaco ?

Le grand bilan du Fespaco en qua­rante ans, c’est d’avoir ins­crit la bien­nale du cinéma afri­cain dans le calen­drier mon­dial de la culture. Ça, c’est un bilan que per­sonne ne peut contes­ter. Je pense que ce bilan éclabousse tous les autres bilans qu’on peut faire. Aujourd’hui, un peu par­tout, chacun ins­crit le Fespaco dans son agenda. Réussir cette prouesse de faire ins­crire une mani­fes­ta­tion afri­caine dans un calen­drier aussi impor­tant où les cultu­res se bat­tent, je crois que c’est quel­que chose de très impor­tant. Je crois qu’on ne pourra rien faire de plus impor­tant que ce qui a été fait. On ne pourra que ren­for­cer ce qui a déjà été fait.

Propos recueillis par Souleymane SOUDRE

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