En attendant le bonheur
Publié le : mardi 18 mars 2003

Quatre films magh­re­bins ont par­ti­cipé à la com­pé­ti­tion offi­cielle des longs métra­ges de fic­tion. La Tunisie était repré­sen­tée par deux films, Fatma de Khaled Ghorbal et Bedwin Hacker de Nadia El Fani. Le Maroc comp­tait également deux, Jugement d’une femme de Hassan Benjelloun, Et après... de Muhamed Ismael.

A l’engoue­ment qu’aurait pu sus­ci­ter le qua­tor­zième Etalon rem­porté à la dix-sep­tième édition par le cinéaste maro­cain Nabil Ayouch, réa­li­sa­teur d’Ali Zoua, il faut ajou­ter l’effet des pré­cé­dents. En 1973 son com­pa­triote S. Ben Barka avec Les mille et une mains et en 1985 l’Algérien Brahim Tsaki avec Histoire d’une ren­contre ont reçu les hon­neurs de l’Etalon. Voici des argu­ments pour dis­sua­der ceux qui per­sis­tent à penser que l’Etalon soit réservé aux réa­li­sa­teurs sub­sa­ha­riens. Mais la remar­qua­ble pré­sence des ciné­mas d’Afrique du Nord au cours des six der­niè­res années au Fespaco résulte autant de la matu­rité des struc­tu­res natio­na­les que des légi­ti­mes ambi­tions de cer­tains artis­tes à faire connaî­tre leurs pro­duc­tions sur toutes les vitri­nes. Le Fespaco n’est pas seu­le­ment un fes­ti­val de proxi­mité plus géo­gra­phi­que, il cons­ti­tue sans nul doute la place d’échanges économiques et cultu­rel­les la plus impor­tante pour le cinéma conti­nen­tal.

Toute remar­qua­ble également fut la pré­sence séné­ga­laise avec trois films de bonne fac­ture : Le Prix du pardon Mansour de Sora Wade, L’Afrance d’Alain Gomis et Madame Brouette de Moussa Sène Absa. Le pays d’Ousmane Sembène compte non seu­le­ment parmi les pion­niers du cinéma afri­cain, mais encore pos­sède-t-il de nom­breux artis­tes des plus inven­tifs, des per­son­na­li­tés des plus enga­gées du sep­tième art du conti­nent. Pourtant, le Sénégal n’a pas encore conquis le Grand Prix. La pré­sence d’une nou­velle géné­ra­tion de créa­teurs, loin de relé­guer aux oubliet­tes leurs illus­tres pré­dé­ces­seurs, s’ins­cri­vent dans une tra­di­tion fil­mi­que aujourd’hui consa­crée avec laquelle Moussa Sène Absa joue le rôle de char­nière.

Les deux films du Burkina ont marqué plutôt la ren­contre de deux géné­ra­tions. Par le retour de Daniel Kollo Sanou avec Tasuma, le feu (2002) et par la cons­tance d’un incontour­na­ble Pierre Yaméogo que confirme Moi et mon Blanc (2002).
Prix de l’ACCT au Fespaco 1979 avec Beogo Naba, un de ses nom­breux courts métra­ges, le nom de Kolla Sanou reste dans les anna­les du cinéma afri­cain comme un des arti­sans du cinéma bur­ki­nabé. On lui devait déjà deux longs métra­ges, Paweogo (1982) et Jigi (1991). Quant à celui que l’on consi­dère comme l’enfant ter­ri­ble du cinéma bur­ki­nabé, de Laafi (1990) à Silmandé (1998), en pas­sant par Wendemi (1993), il enjambe les bar­riè­res de clas­ses, de races, de sexes, de castes et de tem­ples. Son der­nier film prouve qu’il demeure égal à lui-même dans l’art de la sub­ver­sion. A défaut d’offrir à la terre natale de la prin­cesse Yennenga, après Tilaï en 1991 d’Idrissa Ouédraogo, et Buud Yam Gaston Kaboré en 1997, un troi­sième Etalon, il se console d’être le réa­li­sa­teur le plus doté de la 18 édition du Fespaco. Parmi les nom­breu­ses récom­pen­ses qu’il a engran­gées, on retien­dra le prix RFI du public et le prix de la ville de Turin d’un mon­tant de 50000 euros, soit 30 000­francs CFA.

Le Mali, seul pays ayant rem­porté trois fois le Grand Prix du Fespaco, a pré­senté un seul film en com­pé­ti­tion. Ce qui n’est pas mal. Kabala de Assane Kouyaté entre dans l’arène avec autant de pro­mes­ses que ses pré­dé­ces­seurs lui trans­met­tent d’ambi­tion que ses aînés. En dépit de ses redon­dan­ces et de ses contra­dic­tions, Waati demeu­rera un grand film afri­cain sans consa­crer le rêve d’un troi­sième tro­phée à Souleymane Cissé, l’unique réa­li­sa­teur à s’être permis de dou­bler le grand triom­phe du cinéma afri­cain, avec Baara (Le tra­vail, 1979) et Finye, (Le vent 1983) . Autant Battu (2000) appa­raî­tra comme une des meilleu­res réus­si­tes de trans­po­si­tion d’un roman afri­cain à l’écran, autant la Genèse(1998) illus­trera pen­dant long­temps l’excep­tion d’uni­ver­sa­lité et d’enra­ci­ne­ment, à la fois récit bibli­que et allé­go­rie contem­po­raine. Mais Guimba, l’Etalon 1995, conser­vera une place par­ti­cu­lière dans la fil­mo­gra­phie du minis­tre de la Culture, Cheick Oumar Sissoko.

Le cinéma mau­ri­ta­nien, est resté long­temps dominé par la sta­ture quasi-soli­taire de Med Hondo, Etalon 1987 avec Sarraounia, adapté du roman de son ami Abdoulaye Mamani, écrivain nigé­rien. Hermakonono (En atten­dant le bon­heur), dix-sep­tième Etalon de Yennenga ne révèle pas Abderrahmane Sissako au grand public, mais confirme peut-être une nou­velle ère, celle d’une seconde soli­tude ou d’une toute autre dyna­mi­que. L’ori­gi­na­lité du regard pros­pec­tif sur l’an 2000 vu depuis le vil­lage où vit son père dans La vie sur terre (1998), la fraî­cheur nar­ra­tive de Sabriya (1997) où l’irrup­tion de l’amour menace la fra­ter­nité cou­vait déjà ce parfum de l’exil qui s’épanouit dans le bon­heur de l’ancien étudiant de l’Institut de cinéma de Moscou, tra­vaillant en France avec les tripes grouillant de sons, de visa­ges et d’images d’Afrique.

La Guinée avec Cheick dou­kouré, meilleure inter­pré­ta­tion mas­cu­line, pour son film Paris selon Moussa. Flora Gomez de la Guinée Bissau, par la comé­die musi­cale Nha fala, nous rap­pelle Les yeux bleus de Yonta. Idrissou Mora Kpai du Bénin avec Seguiri-Ki la reine- mère, ajoute sa voix filiale au plai­doyer de la condi­tion fémi­nine, un des thèmes les plus pré­sents dans la com­pé­ti­tion des longs métra­ges.

Parmi les absents à la com­pé­ti­tion, on note la Côte d’Ivoire, réci­pien­daire de l’Etalon en en 1981 avec Djéli de Fadika Kramo Lanciné et avec Au nom du Christ de Roger Gnoa Mbala en 1993. Le Niger, pre­mier réci­pien­daire de l’Etalon avec Le wazzou Polygame d’Oumarou Ganda en 1973, est depuis plus d’une décen­nie déconnec­tée de la com­pé­ti­tion. Heritage of Afrika de Kwah Ansah 1989 du Ghana, seul lau­réat anglo­phone de l’Etalon, porte à dix tro­phées sur seize pour l’Afrique de l’Ouest. Elle enre­gis­tre au titre de la par­ti­ci­pa­tion dix films sur seize.

La pré­sence de l’Afrique cen­trale se mani­feste par Abouna de Mahamat Saleh Haroun du Tchad. Ce n’est peut-être qu’une ques­tion de saison. L’Etalon a récom­pensé Muna Moto du Cameroun en 1976, puis Pièces d’iden­ti­tés de Mwenze Dieudonné Gangura de la RDC en 1999. En atten­dant le tour du Gabon, les pays de l’Afrique aus­trale, dont l’Afrique du Sud, pré­sente avec Promised Land de Jason Xenopoulos, et le Zimbabwe, se réveillent len­te­ment mais sûre­ment.

Jean-Baptiste Dossou-Yovo
5 mars 2003

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