Quatre films maghrebins ont participé à la compétition officielle des longs métrages de fiction. La Tunisie était représentée par deux films, Fatma de Khaled Ghorbal et Bedwin Hacker de Nadia El Fani. Le Maroc comptait également deux, Jugement d’une femme de Hassan Benjelloun, Et après... de Muhamed Ismael.
A l’engouement qu’aurait pu susciter le quatorzième Etalon remporté à la dix-septième édition par le cinéaste marocain Nabil Ayouch, réalisateur d’Ali Zoua, il faut ajouter l’effet des précédents. En 1973 son compatriote S. Ben Barka avec Les mille et une mains et en 1985 l’Algérien Brahim Tsaki avec Histoire d’une rencontre ont reçu les honneurs de l’Etalon. Voici des arguments pour dissuader ceux qui persistent à penser que l’Etalon soit réservé aux réalisateurs subsahariens. Mais la remarquable présence des cinémas d’Afrique du Nord au cours des six dernières années au Fespaco résulte autant de la maturité des structures nationales que des légitimes ambitions de certains artistes à faire connaître leurs productions sur toutes les vitrines. Le Fespaco n’est pas seulement un festival de proximité plus géographique, il constitue sans nul doute la place d’échanges économiques et culturelles la plus importante pour le cinéma continental.
Toute remarquable également fut la présence sénégalaise avec trois films de bonne facture : Le Prix du pardon Mansour de Sora Wade, L’Afrance d’Alain Gomis et Madame Brouette de Moussa Sène Absa. Le pays d’Ousmane Sembène compte non seulement parmi les pionniers du cinéma africain, mais encore possède-t-il de nombreux artistes des plus inventifs, des personnalités des plus engagées du septième art du continent. Pourtant, le Sénégal n’a pas encore conquis le Grand Prix. La présence d’une nouvelle génération de créateurs, loin de reléguer aux oubliettes leurs illustres prédécesseurs, s’inscrivent dans une tradition filmique aujourd’hui consacrée avec laquelle Moussa Sène Absa joue le rôle de charnière.
Les deux films du Burkina ont marqué plutôt la rencontre de deux générations. Par le retour de Daniel Kollo Sanou avec Tasuma, le feu (2002) et par la constance d’un incontournable Pierre Yaméogo que confirme Moi et mon Blanc (2002).
Prix de l’ACCT au Fespaco 1979 avec Beogo Naba, un de ses nombreux courts métrages, le nom de Kolla Sanou reste dans les annales du cinéma africain comme un des artisans du cinéma burkinabé. On lui devait déjà deux longs métrages, Paweogo (1982) et Jigi (1991). Quant à celui que l’on considère comme l’enfant terrible du cinéma burkinabé, de Laafi (1990) à Silmandé (1998), en passant par Wendemi (1993), il enjambe les barrières de classes, de races, de sexes, de castes et de temples. Son dernier film prouve qu’il demeure égal à lui-même dans l’art de la subversion. A défaut d’offrir à la terre natale de la princesse Yennenga, après Tilaï en 1991 d’Idrissa Ouédraogo, et Buud Yam Gaston Kaboré en 1997, un troisième Etalon, il se console d’être le réalisateur le plus doté de la 18 édition du Fespaco. Parmi les nombreuses récompenses qu’il a engrangées, on retiendra le prix RFI du public et le prix de la ville de Turin d’un montant de 50000 euros, soit 30 000francs CFA.
Le Mali, seul pays ayant remporté trois fois le Grand Prix du Fespaco, a présenté un seul film en compétition. Ce qui n’est pas mal. Kabala de Assane Kouyaté entre dans l’arène avec autant de promesses que ses prédécesseurs lui transmettent d’ambition que ses aînés. En dépit de ses redondances et de ses contradictions, Waati demeurera un grand film africain sans consacrer le rêve d’un troisième trophée à Souleymane Cissé, l’unique réalisateur à s’être permis de doubler le grand triomphe du cinéma africain, avec Baara (Le travail, 1979) et Finye, (Le vent 1983) . Autant Battu (2000) apparaîtra comme une des meilleures réussites de transposition d’un roman africain à l’écran, autant la Genèse(1998) illustrera pendant longtemps l’exception d’universalité et d’enracinement, à la fois récit biblique et allégorie contemporaine. Mais Guimba, l’Etalon 1995, conservera une place particulière dans la filmographie du ministre de la Culture, Cheick Oumar Sissoko.
Le cinéma mauritanien, est resté longtemps dominé par la stature quasi-solitaire de Med Hondo, Etalon 1987 avec Sarraounia, adapté du roman de son ami Abdoulaye Mamani, écrivain nigérien. Hermakonono (En attendant le bonheur), dix-septième Etalon de Yennenga ne révèle pas Abderrahmane Sissako au grand public, mais confirme peut-être une nouvelle ère, celle d’une seconde solitude ou d’une toute autre dynamique. L’originalité du regard prospectif sur l’an 2000 vu depuis le village où vit son père dans La vie sur terre (1998), la fraîcheur narrative de Sabriya (1997) où l’irruption de l’amour menace la fraternité couvait déjà ce parfum de l’exil qui s’épanouit dans le bonheur de l’ancien étudiant de l’Institut de cinéma de Moscou, travaillant en France avec les tripes grouillant de sons, de visages et d’images d’Afrique.
La Guinée avec Cheick doukouré, meilleure interprétation masculine, pour son film Paris selon Moussa. Flora Gomez de la Guinée Bissau, par la comédie musicale Nha fala, nous rappelle Les yeux bleus de Yonta. Idrissou Mora Kpai du Bénin avec Seguiri-Ki la reine- mère, ajoute sa voix filiale au plaidoyer de la condition féminine, un des thèmes les plus présents dans la compétition des longs métrages.
Parmi les absents à la compétition, on note la Côte d’Ivoire, récipiendaire de l’Etalon en en 1981 avec Djéli de Fadika Kramo Lanciné et avec Au nom du Christ de Roger Gnoa Mbala en 1993. Le Niger, premier récipiendaire de l’Etalon avec Le wazzou Polygame d’Oumarou Ganda en 1973, est depuis plus d’une décennie déconnectée de la compétition. Heritage of Afrika de Kwah Ansah 1989 du Ghana, seul lauréat anglophone de l’Etalon, porte à dix trophées sur seize pour l’Afrique de l’Ouest. Elle enregistre au titre de la participation dix films sur seize.
La présence de l’Afrique centrale se manifeste par Abouna de Mahamat Saleh Haroun du Tchad. Ce n’est peut-être qu’une question de saison. L’Etalon a récompensé Muna Moto du Cameroun en 1976, puis Pièces d’identités de Mwenze Dieudonné Gangura de la RDC en 1999. En attendant le tour du Gabon, les pays de l’Afrique australe, dont l’Afrique du Sud, présente avec Promised Land de Jason Xenopoulos, et le Zimbabwe, se réveillent lentement mais sûrement.
Jean-Baptiste Dossou-Yovo
5 mars 2003
Clap Noir
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