Djingaré Maïga, membre du jury UEMOA au Fespaco 2009, présentait son dernier film « La 4eme nuit noire » au Méliès.
Rencontré lors de la post production en novembre dernier à Paris, Maïga est le seul cinéaste nigérien à réaliser des longs métrage de fictions.
Avez-vous été aidé par votre pays pour un de vos films ?
Non jamais. La seule fois que j’ai été aidé, c’est de la poche d’un ministre. Il m’a aidé a récupérer mes rushs de mon laboratoire qui me menaçait de les mettre de côté si je ne payais pas tout de suite. Ça faisait 4 ans que j’avais tourné. Le directeur de la télé nigérienne m’a conseillé d’aller voir Le 1er ministre Hama Amadou. Au pouvoir depuis 8 ans, il n’a jamais rien fait pour la culture, rien pour le cinéma, rien pour les sports, rien pour la jeunesse, il est 1er ministre pour rien du tout. Je lui ai envoyé une lettre lui faisant part de mes soucis avec le labo, je n’ai rien eu. Ensuite, j’ai été voir le conseiller en communication du Président de la république, Daouda Diallo qui me dit d’aller voir mon ministère car le Président n’a pas d’argent pour le cinéma ! Voyez, on tourne en rond.
Finalement, j’ai eu des aides du PNUD, de la coopération française, du centre culturel américain qui m’ont permis d’avoir ma copie de travail. La télévision nigérienne m’a mis a disposition sa table de montage 16 dont elle ne se servait plus depuis longtemps. 6 ans après mon tournage, j’ai fais mon montage chez moi mais j’ai eu plein de problèmes ! Un matin chez moi, je découvre que les rushes que j’avais sélectionnés pour mon montage définitif avaient disparu ; 6 bobines c’est du sabotage !
J’ai donc recommencé un montage mais avec les rushes que je n’avais pas sélectionnés. Les images ne sont pas très jolies mais cela m’a permis de faire mon film ! Après, je suis venu finir mon film içi à Paris grâce à l’aide d’amis et de CFI. Je ne touche plus de salaire depuis 1995 et ce sont mes films qui me font vivre, moi et famille !
Vous ne regrettez pas d’avoir quitté la NIGELEC* ?
Pas du tout. Je suis très content de l’avoir quitté. Sinon je n’aurais pas pu faire du cinéma. J’ai fait 6 films quand même.
Où puisez-vous cette force ?
C’est la chance et la persévérance, c’est tout. Et quand il y a rien, j’attends. Il y a toujours un petit truc qui me permet d’avancer.
En tous cas je suis content que le 1er ministre soit parti car je vais faire un film sur lui, sur la corruption.
Pourquoi employez- vous l’adjectif « noir » dans tous les titres de vos films ? Est-ce lié à la situation du pays ?
D’abord j’aime le Noir. Mais c’est tout le Niger qui est noir. Il n’y a rien de blanc. Nous sommes dans un pays où les colonialistes n’ont rien laissé mais nous même ne faisons pas grande chose pour nous permettre de nous développer. La politique et la culture doivent être complémentaires et nous n’oeuvrons pas dans ce sens.
Le cinéma était prolifique au Niger dans les années 70...
Le Niger n’a jamais été un pays de cinéma. Ça c’est du bruit pour rien, il n’y a pas eu de films au Niger. La coopération française a aidé des cinéastes comme Mustapha Allassane qui a fait 2 films Le retour d’un aventurier et FVVA, Ganda a fait 3 films, Mustapha Diop en a fait 2, Bakabé avec la télévision nigérienne en a fait 1 , c’est tout ce qu’on a au Niger.
On dit « Au Fespaco le Niger était là ! » mais il n’y a jamais eu le Niger au Fespaco. Ils n’ont jamais sélectionné mes films. Le pire c’était en 2001, Vendredi noir était en sélection officielle, j’ai reçu mon accréditation, j’ai été pris en charge comme tous les sélectionnés en compétition officielle. En arrivant à Ouaga, j’ai été étonné de ne pas le voir programmé ; ils ont retiré mon film de la compétition sans aucune explication ! J’étais malheureux comme tout. J’ai été méprisé. Des cinéastes m’ont confié « Djingaré, nous avons honte ». Je ne sais pas d’où viennent tous mes malheurs.
Est-ce que votre dernier film s’inscrit dans votre thème de prédilection : la critique sociale et politique ?
Pire que ça, celui-là, je l’ai fait sur un coup d’état. Sur le coup d’état qui s’est passé au Niger contre Baré en 1999. J’ai scénarisé l’affaire et je ne dis pas comment cela s’est passé. En plus, je n’ai pas d’argent pour organiser un coup d’état ! Quand j’ai demandé l’autorisation de tournage au ministère de l’Intérieur, il me l’on refusée. J’ai été voir les militaires qui m’ont dit « pas de problèmes, on peut faire un coup d’état si vous payez ! ». Comme je n’avais pas d’argent, ils m’ont prêté des treillis et j’ai pu tourner les scènes avec des habitants du quartier.
Baré voulait rentrer dans des affaires de Mafia, comme Blaise Compaoré, tout le monde le sait, je n’invente rien. Compaoré a amené Baré dans ces histoires. On lui a dit « attention, on va te tuer » Il disait que non, avec ses grigri … et il s’est fait tuer. Je pense que c’est une histoire typiquement nigérienne, c’est ce que je raconte dans mon dernier film.
Vous espérez finir le film pour le Fespaco ?
Il y a deux choses qui se présentent : la première chose, c’est qu’il faudrait que je trouve un peu d’argent pour finir le film en vidéo 16/9 grand format pour le présenter au Fespaco. Je n’ai pas les moyens de payer du 35 mm, cela me coûterait 40 000 euros. L’aide que j’ai eu du Fond d’Images d’Afrique est de 25 000 euros, pour l’instant, ils m’ont versé la moitié c’est avec cela que je travaille actuellement. Je vais aller au Ministère de la Culture de Niamey pour avoir le reste d’argent. Il faut que je me batte. J’espère que le Fespaco va prendre mon film cette fois, ils ont éliminé mes films deux fois. Je n’ai pas de chance avec eux. Mais par respect pour mon pays, je vais inscrire mon film sur la liste, si ils me le refusent je m’en fous je sais qu’en Europe ils vont l’accepter, il passera dans les festivals. Mais tout cela est personnel, Baba Hama m’a torpillé pendant plusieurs années.
En novembre 2002, dans une conférence de presse de l’A.I.F. avec Mr Crépeau où j’étais avec plusieurs réalisateurs et des journalistes, on lui a posé la question « pourquoi vous n’aidez jamais de films nigériens ? ». Vous savez ce qu’il a répondu : « Si, nous avons versé 30 millions de francs CFA à Djingaré Maiga pour son film « vendredi noir ». Moi j’étais dans la salle, je me suis levé pour contester. Vous imaginez mes acteurs et mes techniciens qui ont travaillé pour des miettes qui entendent ça, qu’est ce qu’ils vont penser ? Je n’ai rien eu de l’A.I.F. C’était une grande humiliation de devoir me justifier devant tout le monde.
Vous avez commencé à tourner votre film en 16 mm…
Oui, j’ai tourné en 16 mm, j’ai utilisé le reste des rushes, c’est vraiment du bricolage ce film. Je travaille chez moi à Niamey. Vous savez une année, un syndicaliste m’a trouvé une bourse pour une formation à Moscou, j’y suis restée 3 mois et je suis rentré. Ce n’est pas pour moi tout çà. J’ai tout appris sur le tas. D’abord avec Moustapha Alassane. Vous savez quand on a envie de quelque chose, on y arrive, pas besoin d’école pour ça. Si on a envie d’être un criminel, il n’y a pas d’école de criminels, pourtant il y a des grands criminels. Moi j’aime le cinéma. Vous savez ceux qui m’ont formé au cinéma ce sont Alain Delon, Jean Paul Belmondo, Yves Montant et Sidney Poitier. Quand j’ai vu « La Chaîne » pour la première fois, j’ai eu envie d’être un homme de cinéma. Quoi que je sois dans le cinéma, acteur, réalisateur, preneur de son, j’ai eu envie de faire du cinéma. C’était en 1968. Depuis que je suis jeune, j’ai toujours voulu faire du cinéma. J’allais acheter un magazine qui s’appelait « Ciné monde », le seul journal de cinéma, il y avait tout même comment faire un découpage, c’est comme çà que j’ai appris à faire du cinéma à l’époque. Très jeune déjà quand j’allais voir des films au cinéma, je me disais « mais tous ces acteurs il y a quelqu’un qui les dirige » et c’est comme çà que j’ai découvert ma vocation. Mais c’est au bon dieu que je dois mon courage, ma détermination et ma persévérance et à personne d’autre. Mon école, c’est l’école de la vie.
Avez-vous l’appui du ministère de la Culture du Niger ?
Cela fait un an que j’ai déposé mon projet. J’ai rencontré le ministre plusieurs fois, à chaque fois il m’a promis que j’allais recevoir une aide pour finir mon film, cela fait un an et j’attends toujours. Alors quand j’ai reçu l’aide du Fond d’Images d’Afrique, je ne sais pas par quel miracle, j’étais ravi.
Si le Fespaco acceptait des films autres que le 35mm, cela ouvrirait la sélection…
Le problème aussi du Fespaco, c’est qu’il faut des films en 35mm. Si vous n’avez pas un film en 35, vous êtes mal vu. Aujourd’hui en Afrique, qui fait encore des films en 35 ? A part pour les festivals, qui projette en 35 en Afrique ? Moi j’ai fait « Vendredi noir » en 35, je l’ai projeté au Fespaco et au festival d’Angers où j’ai eu le grand prix en 2001. Depuis c’est fini, on me réclame uniquement des Béta ou des dvd de ce film. A part à Ouagadougou qui projette encore en 35 pour leur festival prestige, dans les autres pays, il n’y a plus de salles de projection.
Propos recueillis par Benoît Tiprez
*NIGELEC : Société Nigérienne d’électricité
Clap Noir
Association Clap Noir
18, rue de Vincennes
93100 Montreuil - France