Maïga fait son cinéma
Publié le : samedi 7 mars 2009


Djingaré Maïga, membre du jury UEMOA au Fespaco 2009, pré­sen­tait son der­nier film « La 4eme nuit noire » au Méliès.
Rencontré lors de la post pro­duc­tion en novem­bre der­nier à Paris, Maïga est le seul cinéaste nigé­rien à réa­li­ser des longs métrage de fic­tions.








Avez-vous été aidé par votre pays pour un de vos films ?

Non jamais. La seule fois que j’ai été aidé, c’est de la poche d’un minis­tre. Il m’a aidé a récu­pé­rer mes rushs de mon labo­ra­toire qui me mena­çait de les mettre de côté si je ne payais pas tout de suite. Ça fai­sait 4 ans que j’avais tourné. Le direc­teur de la télé nigé­rienne m’a conseillé d’aller voir Le 1er minis­tre Hama Amadou. Au pou­voir depuis 8 ans, il n’a jamais rien fait pour la culture, rien pour le cinéma, rien pour les sports, rien pour la jeu­nesse, il est 1er minis­tre pour rien du tout. Je lui ai envoyé une lettre lui fai­sant part de mes soucis avec le labo, je n’ai rien eu. Ensuite, j’ai été voir le conseiller en com­mu­ni­ca­tion du Président de la répu­bli­que, Daouda Diallo qui me dit d’aller voir mon minis­tère car le Président n’a pas d’argent pour le cinéma ! Voyez, on tourne en rond.
Finalement, j’ai eu des aides du PNUD, de la coo­pé­ra­tion fran­çaise, du centre cultu­rel amé­ri­cain qui m’ont permis d’avoir ma copie de tra­vail. La télé­vi­sion nigé­rienne m’a mis a dis­po­si­tion sa table de mon­tage 16 dont elle ne se ser­vait plus depuis long­temps. 6 ans après mon tour­nage, j’ai fais mon mon­tage chez moi mais j’ai eu plein de pro­blè­mes ! Un matin chez moi, je décou­vre que les rushes que j’avais sélec­tion­nés pour mon mon­tage défi­ni­tif avaient dis­paru ; 6 bobi­nes c’est du sabo­tage !
J’ai donc recom­mencé un mon­tage mais avec les rushes que je n’avais pas sélec­tion­nés. Les images ne sont pas très jolies mais cela m’a permis de faire mon film ! Après, je suis venu finir mon film içi à Paris grâce à l’aide d’amis et de CFI. Je ne touche plus de salaire depuis 1995 et ce sont mes films qui me font vivre, moi et famille !

Vous ne regret­tez pas d’avoir quitté la NIGELEC* ?
Pas du tout. Je suis très content de l’avoir quitté. Sinon je n’aurais pas pu faire du cinéma. J’ai fait 6 films quand même.

Où puisez-vous cette force ?
C’est la chance et la per­sé­vé­rance, c’est tout. Et quand il y a rien, j’attends. Il y a tou­jours un petit truc qui me permet d’avan­cer.
En tous cas je suis content que le 1er minis­tre soit parti car je vais faire un film sur lui, sur la cor­rup­tion.

Pourquoi employez- vous l’adjec­tif « noir » dans tous les titres de vos films ? Est-ce lié à la situa­tion du pays ?
D’abord j’aime le Noir. Mais c’est tout le Niger qui est noir. Il n’y a rien de blanc. Nous sommes dans un pays où les colo­nia­lis­tes n’ont rien laissé mais nous même ne fai­sons pas grande chose pour nous per­met­tre de nous déve­lop­per. La poli­ti­que et la culture doi­vent être com­plé­men­tai­res et nous n’oeu­vrons pas dans ce sens.

Le cinéma était pro­li­fi­que au Niger dans les années 70...
Le Niger n’a jamais été un pays de cinéma. Ça c’est du bruit pour rien, il n’y a pas eu de films au Niger. La coo­pé­ra­tion fran­çaise a aidé des cinéas­tes comme Mustapha Allassane qui a fait 2 films Le retour d’un aven­tu­rier et FVVA, Ganda a fait 3 films, Mustapha Diop en a fait 2, Bakabé avec la télé­vi­sion nigé­rienne en a fait 1 , c’est tout ce qu’on a au Niger.
On dit « Au Fespaco le Niger était là ! » mais il n’y a jamais eu le Niger au Fespaco. Ils n’ont jamais sélec­tionné mes films. Le pire c’était en 2001, Vendredi noir était en sélec­tion offi­cielle, j’ai reçu mon accré­di­ta­tion, j’ai été pris en charge comme tous les sélec­tion­nés en com­pé­ti­tion offi­cielle. En arri­vant à Ouaga, j’ai été étonné de ne pas le voir pro­grammé ; ils ont retiré mon film de la com­pé­ti­tion sans aucune expli­ca­tion ! J’étais mal­heu­reux comme tout. J’ai été méprisé. Des cinéas­tes m’ont confié « Djingaré, nous avons honte ». Je ne sais pas d’où vien­nent tous mes mal­heurs.

Est-ce que votre der­nier film s’ins­crit dans votre thème de pré­di­lec­tion : la cri­ti­que sociale et poli­ti­que ?
Pire que ça, celui-là, je l’ai fait sur un coup d’état. Sur le coup d’état qui s’est passé au Niger contre Baré en 1999. J’ai scé­na­risé l’affaire et je ne dis pas com­ment cela s’est passé. En plus, je n’ai pas d’argent pour orga­ni­ser un coup d’état ! Quand j’ai demandé l’auto­ri­sa­tion de tour­nage au minis­tère de l’Intérieur, il me l’on refu­sée. J’ai été voir les mili­tai­res qui m’ont dit « pas de pro­blè­mes, on peut faire un coup d’état si vous payez ! ». Comme je n’avais pas d’argent, ils m’ont prêté des treillis et j’ai pu tour­ner les scènes avec des habi­tants du quar­tier.
Baré vou­lait ren­trer dans des affai­res de Mafia, comme Blaise Compaoré, tout le monde le sait, je n’invente rien. Compaoré a amené Baré dans ces his­toi­res. On lui a dit « atten­tion, on va te tuer » Il disait que non, avec ses grigri … et il s’est fait tuer. Je pense que c’est une his­toire typi­que­ment nigé­rienne, c’est ce que je raconte dans mon der­nier film.

Vous espé­rez finir le film pour le Fespaco ?
Il y a deux choses qui se pré­sen­tent : la pre­mière chose, c’est qu’il fau­drait que je trouve un peu d’argent pour finir le film en vidéo 16/9 grand format pour le pré­sen­ter au Fespaco. Je n’ai pas les moyens de payer du 35 mm, cela me coû­te­rait 40 000 euros. L’aide que j’ai eu du Fond d’Images d’Afrique est de 25 000 euros, pour l’ins­tant, ils m’ont versé la moitié c’est avec cela que je tra­vaille actuel­le­ment. Je vais aller au Ministère de la Culture de Niamey pour avoir le reste d’argent. Il faut que je me batte. J’espère que le Fespaco va pren­dre mon film cette fois, ils ont éliminé mes films deux fois. Je n’ai pas de chance avec eux. Mais par res­pect pour mon pays, je vais ins­crire mon film sur la liste, si ils me le refu­sent je m’en fous je sais qu’en Europe ils vont l’accep­ter, il pas­sera dans les fes­ti­vals. Mais tout cela est per­son­nel, Baba Hama m’a tor­pillé pen­dant plu­sieurs années.
En novem­bre 2002, dans une confé­rence de presse de l’A.I.F. avec Mr Crépeau où j’étais avec plu­sieurs réa­li­sa­teurs et des jour­na­lis­tes, on lui a posé la ques­tion « pour­quoi vous n’aidez jamais de films nigé­riens ? ». Vous savez ce qu’il a répondu : « Si, nous avons versé 30 mil­lions de francs CFA à Djingaré Maiga pour son film « ven­dredi noir ». Moi j’étais dans la salle, je me suis levé pour contes­ter. Vous ima­gi­nez mes acteurs et mes tech­ni­ciens qui ont tra­vaillé pour des miet­tes qui enten­dent ça, qu’est ce qu’ils vont penser ? Je n’ai rien eu de l’A.I.F. C’était une grande humi­lia­tion de devoir me jus­ti­fier devant tout le monde.

Vous avez com­mencé à tour­ner votre film en 16 mm…
Oui, j’ai tourné en 16 mm, j’ai uti­lisé le reste des rushes, c’est vrai­ment du bri­co­lage ce film. Je tra­vaille chez moi à Niamey. Vous savez une année, un syn­di­ca­liste m’a trouvé une bourse pour une for­ma­tion à Moscou, j’y suis restée 3 mois et je suis rentré. Ce n’est pas pour moi tout çà. J’ai tout appris sur le tas. D’abord avec Moustapha Alassane. Vous savez quand on a envie de quel­que chose, on y arrive, pas besoin d’école pour ça. Si on a envie d’être un cri­mi­nel, il n’y a pas d’école de cri­mi­nels, pour­tant il y a des grands cri­mi­nels. Moi j’aime le cinéma. Vous savez ceux qui m’ont formé au cinéma ce sont Alain Delon, Jean Paul Belmondo, Yves Montant et Sidney Poitier. Quand j’ai vu « La Chaîne » pour la pre­mière fois, j’ai eu envie d’être un homme de cinéma. Quoi que je sois dans le cinéma, acteur, réa­li­sa­teur, pre­neur de son, j’ai eu envie de faire du cinéma. C’était en 1968. Depuis que je suis jeune, j’ai tou­jours voulu faire du cinéma. J’allais ache­ter un maga­zine qui s’appe­lait « Ciné monde », le seul jour­nal de cinéma, il y avait tout même com­ment faire un décou­page, c’est comme çà que j’ai appris à faire du cinéma à l’époque. Très jeune déjà quand j’allais voir des films au cinéma, je me disais « mais tous ces acteurs il y a quelqu’un qui les dirige » et c’est comme çà que j’ai décou­vert ma voca­tion. Mais c’est au bon dieu que je dois mon cou­rage, ma déter­mi­na­tion et ma per­sé­vé­rance et à per­sonne d’autre. Mon école, c’est l’école de la vie.

Avez-vous l’appui du minis­tère de la Culture du Niger ?
Cela fait un an que j’ai déposé mon projet. J’ai ren­contré le minis­tre plu­sieurs fois, à chaque fois il m’a promis que j’allais rece­voir une aide pour finir mon film, cela fait un an et j’attends tou­jours. Alors quand j’ai reçu l’aide du Fond d’Images d’Afrique, je ne sais pas par quel mira­cle, j’étais ravi.

Si le Fespaco accep­tait des films autres que le 35mm, cela ouvri­rait la sélec­tion…
Le pro­blème aussi du Fespaco, c’est qu’il faut des films en 35mm. Si vous n’avez pas un film en 35, vous êtes mal vu. Aujourd’hui en Afrique, qui fait encore des films en 35 ? A part pour les fes­ti­vals, qui pro­jette en 35 en Afrique ? Moi j’ai fait « Vendredi noir » en 35, je l’ai pro­jeté au Fespaco et au fes­ti­val d’Angers où j’ai eu le grand prix en 2001. Depuis c’est fini, on me réclame uni­que­ment des Béta ou des dvd de ce film. A part à Ouagadougou qui pro­jette encore en 35 pour leur fes­ti­val pres­tige, dans les autres pays, il n’y a plus de salles de pro­jec­tion.

Propos recueillis par Benoît Tiprez

*NIGELEC : Société Nigérienne d’électricité

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