Confessions de Mansour Sora Wade
Publié le : jeudi 19 mars 2009
Les feux de Mansaré



La riva­lité fra­ter­nelle, entre deux amis d’enfance, était déjà un thème pré­sent dans Le prix du pardon, votre pré­cé­dent film.

J’ai uti­lisé la riva­lité pour parler de quelqu’un qui est à la recher­che du pou­voir. Dans Le prix du pardon, cette riva­lité est dif­fé­rente : celui qui tue son ami était réel­le­ment amou­reux. Mais ici, Mathias agit plutôt par orgueil et pour la recher­che du pou­voir. Au départ, on ne peut pas dire que Mathias soit réel­le­ment amou­reux de Nathalie, même s’il la trouve belle.

Il y a aussi cette dia­lec­ti­que entre tra­di­tion et moder­nité. Le père de Lamine le désa­voue et se range du côté de la tra­di­tion. C’était triste.

Je me dis tou­jours que dans la tra­di­tion, il y a des bonnes et des mau­vai­ses choses. Ce sont les bonnes choses qui m’inté­res­sent. Ce que je vou­lais dire, c’est que l’on ne peut pas, au nom de la tra­di­tion, impo­ser quel­que chose à quelqu’un. L’amour, c’est quel­que chose de libre, je suis pour qu’on laisse les gens s’aimer.

Que signi­fie cet enfant qui filme avec une caméra tout au long du film ?

Dans mes films pré­cé­dents, j’uti­li­sais la voix off pour raconter quel­que chose. Le griot était pré­sent, puisqu’on dit que le griot est le gar­dien de la mémoire. Dans ce film, je me suis dit qu’il était impor­tant de chan­ger la manière de conser­ver la mémoire. Aujourd’hui, les griots envoient leurs enfants à l’école. Les enfants des griots, aujourd’hui, devien­nent méde­cins, ingér­nieurs. La trans­mis­sion telle qu’elle se fai­sait avant, ne se fait plus. Il faut trou­ver une autre manière de conser­ver la mémoire. C’est pour cela que j’ai intro­duit cet enfant qui a une caméra et qui filme tout ce qu’il voit. Ainsi, plus tard, on pourra voir nos pro­pres images. Le griot qui a soixante ans, aujourd’hui... ne peut pas voir ses images. On est obligé de vivre avec notre temps. Nous devons faire des films uni­ver­sels, dans les­quels nous, afri­cains, nous nous retrou­vons, mais dans les­quels il faut aussi que l’Autre se retrouve.

Le film invite à réflé­chir à l’incur­sion d’une moder­nité par­fois dan­ge­reuse face à des tra­di­tions qui ne sont pas tou­jours justes...

C’est un film qui pose ces pro­blè­mes. Il pourra être vu au Sénégal mais aussi ailleurs. C’est une méta­phore de l’Afrique d’aujourd’hui. La recher­che du pou­voir, la cor­rup­tion, le pro­blème du trafic d’armes, le pillage de l’Afrique, tous ces pro­blè­mes sont posés dans Les feux de Mansaré.

Y a-t-il d’autres pro­jets de films en chan­tier ?

Je me suis dit, fran­che­ment, qu’après ce film, je vais arrê­ter de faire des films. Parce que c’est devenu extrè­me­ment dur, aujourd’hui, de trou­ver l’argent pour les films que nous fai­sons, Nous met­tons cinq ans ou six ans pour finir un projet et c’est très dif­fi­cile. Aujourd’hui, on amène ces films au Fespaco. Le Fespaco est un endroit incontour­na­ble pour le cinéma afri­cain, c’est un lieu très impor­tant pour nous, cinéas­tes afri­cains, mais je me rends compte, en plus de cela, depuis que le Fespaco existe, qu’il n’y a pas d’amé­lio­ra­tion sur le plan tech­ni­que. On a beau­coup de mal à finir ces pro­jets et pour venir les pro­je­ter dans les condi­tions dans les­quel­les les films sont pro­je­tés ici, je trouve cela extrè­me­ment dur. Tantôt c’est dans une salle où le son est mau­vais, tantôt dans une salle où l’image est mau­vaise. Au bout de trois pro­jec­tions, on se retrouve avec une copie bou­sillée, rayée ! Je pense que cela ne valo­rise pas notre cinéma. Les gens vien­nent dans les salles, ils ont envie de voir de belles images sur les­quel­les on a passé du temps, à étalonner, à mixer, pour faire un son propre et on se retrouve avec des films pro­je­tés dans des condi­tions pareilles, je trouve cela un peu dom­mage !

Et le numé­ri­que ?

Je n’ai pas envie que l’on nous enferme en disant que la solu­tion pour le cinéma afri­cain est de faire du cinéma en numé­ri­que. Je refuse cela. C’est bien, le numé­ri­que, mais je refuse que l’on nous enferme dans cela. J’ai envie de faire des films en 35 mm, 16 mm, super 16 mm. Je suis d’accord pour faire une post-pro­duc­tion en numé­ri­que mais il ne faut pas que l’on nous enferme dans cela.

C’est une période dif­fi­cile pour la pro­duc­tion...

Aujourd’hui, les sub­ven­tions que l’on nous don­nait pour faire nos films ont dimi­nué de moitié. Le cinéma afri­cain est essen­tiel­le­ment un cinéma sub­ven­tionné. On ne peut pas se retrou­ver avec un gros pro­duc­teur qui va dire : "je vais inves­tir dans le cinéma afri­cain"... ou bien avec un pré-achat d’une chaîne de télé­vi­sion. On est confronté à énormément de dif­fi­cultés. Pourtant, l’Afrique est riche en sujet, riche en tout. En his­toi­res moder­nes, ancien­nes. Il y a tou­jours des sujets. On a les décors, on a le soleil, on a tout pour faire des films magni­fi­ques ! Je pense qu’il est impor­tant aujourd’hui de pou­voir faire des choses qui per­met­tront à des jeunes, dans vingt ans, de revoir leurs pro­pres images.

Et le public ?

Je me pose la ques­tion : pour qui je fais ces films ? Chez nous, toutes les salles de cinéma ont fermé. Au Sénégal, on était le pays, en Afrique de l’Ouest, qui avait le plus grand nombre de salles. On avait 72 salles, au Sénégal. Aujourd’hui, il n’en reste qu’une. Toutes les salles ont été ven­dues et sont aujourd’hui trans­for­mées en cen­tres com­mer­ciaux. On trouve aujourd’hui, au Sénégal, cer­tains jeunes qui, à 20 ans ou 24 ans, ne sont jamais entrés dans une salle de cinéma ! Je trouve cela extrè­me­ment grave. Je vais faire des films qui vont tour­ner dans des fes­ti­vals, comme le Fespaco, mais ce n’est pas le but. Il faut qu’un film soit vu par son public ! Mon public, c’est d’abord l’Afrique, d’abord le Sénégal. Si mon public ne voit pas mes films, je n’ai pas envie de conti­nuer à faire des films de fes­ti­vals, à faire des films qui ne me nour­ris­sent pas. J’ai besoin tout de même de vivre. Jusqu’ici, je me suis bien débrouillé mais les condi­tions actuel­les de pro­duc­tion me font un peu peur. Franchement, en ce qui me concerne, je n’ai plus le cou­rage ni la force de conti­nuer à tra­vailler dans ces condi­tions. Je vais peut-être conti­nuer à tour­ner des trucs, mais cela sera de petits docu­men­tai­res, des peti­tes choses, qui pour­ront cer­tai­ne­ment me faire vivre. Parce que je ne connais que le cinéma, je n’ai pas appris d’autre métier. J’ai été formé à cela.

L’Etat a-t-il son rôle à jouer dans cela ?

Dans nos pays, il n’y a pas de poli­ti­que ciné­ma­to­gra­phi­que qui puisse nous per­met­tre de déve­lop­per des idées. Je ne dis pas que c’est l’Etat qui doit tout faire, mais il faut qu’il y ait une cer­taine volonté qui puisse per­met­tre de déve­lop­per le cinéma, qui fait partie de la culture, la nour­ri­ture de l’esprit. C’est un sec­teur qu’il faut à mon avis déve­lop­per. C’est aussi un sec­teur qui peut rap­por­ter de l’argent. Du temps de Senghor, le Sénégal était était le pre­mier pivot du cinéma afri­cain. Quand on par­lait du cinéma séné­ga­lais, on disait "cinéma afri­cain". Du temps de la pré­si­dence de Senghor, le Sénégal pro­dui­sait des films, au moins deux par an dans les années soixante dix ! L’Etat inves­tis­sait énormément dans le cinéma. Je pense à tous les pre­miers films séné­ga­lais. Ce qui a com­mencé à tuer le cinéma, c’est quand les salles ont été ven­dues.

Propos recueillis par Caroline Pochon

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