La chronique de Caroline
Publié le : samedi 7 mars 2009
Nuits sénégalaises à Ouagadougou

Car c’est ainsi et aussi peut-être parce qu’une partie de mon cœur est au Sénégal, à Ouagadougou, au Burkina Faso, j’ai vécu trois nuits séné­ga­lai­ses - non pas avec des saï-saï en vadrouille, mais à tra­vers trois films.

L’un, « l’absence » de Mama Keita, urbain et hale­tant, où le drame fami­lial rejoint l’ambiance série b. moite et alcoo­li­sée dans les bars, les clan­dos, les ruel­les, les taxis pour­ris de Dakar by night. Il me montre que le film noir peut bien aussi être film d’auteur. Clin d’œil ou hom­mage à Jean-Pierre Melville ?

L’autre, noc­turne aussi, est celui où Ibrahima Mbaye, - omni­pré­sent, tou­jours noir, voyou, sombre – revient au vil­lage pour y mettre le feu, ou les feux. Les scènes de nuit sont belles, vibran­tes. Elles contras­tent avec la lumière pure des scènes de jour. Et puis, mon coup de cœur va pour la nuit, la folle nuit que passe « Ramata », le film de Alain-Léandre Baker, filmé entre les fau­bourgs de Dakar et les beaux quar­tiers des Almadies, l’héroïne du film éponyme, sur une musi­que envoû­tante et sen­suel­lis­sime de Wasis Diop. Montée en puis­sance, véri­ta­ble enlè­ve­ment, rapt - la bour­geoise se laisse empor­ter par le voyou, bien plus jeune qu’elle. Je vois cette scène de nuit, la route qui défile et je me demande jusqu’où va m’emme­ner ce désir que le cinéaste par­vient à faire naître également en moi.

Ibrahima Mbaye était un voyou peu amène et un peu mono­li­thi­que dans « Les feux de Mansaré », il est ici un homme sen­suel, silen­cieux, dési­rant et dési­ra­ble, trou­blant. La mise en scène « actor’s studio » d’Alain-Léandre Baker lui res­ti­tue sans un mot de trop les relents de l’alcool, la las­si­tude, l’audace. La cavale noc­turne de Ramata et la lente dépres­sion endeuillée qui s’ensuit émeuvent d’autant plus que cette superbe créa­ture féline, pres­que irréelle à force d’être belle, est incar­née par une femme, Katoucha Niane, le célè­bre top model, dont on connait le destin tra­gi­que, dans la vraie vie cette fois. Elle a été retrou­vée morte dans la Seine, un mois après la fin du tour­nage de ce film. Cela n’en donne que plus de poids aux der­niers ins­tants de sa pas­sion de femme et à la fin tra­gi­que de ce poème filmé. Dans un fes­ti­val afri­cain où lors­que l’on parle des femmes, c’est pour vanter leur beauté ou déplo­rer – ou glo­ri­fier – le fait qu’elle por­tent le monde, n’ont pas accès aux droits etc. (toutes choses très impor­tan­tes à sou­li­gner par ailleurs), il est culotté et sou­la­geant qu’on me parle du désir d’une femme qui se damne pour avoir dégusté un plai­sir sexuel jusqu’alors inconnu. C’est un point de vue plus fémi­niste qu’il n’y parait, auda­cieux incontes­ta­ble­ment. Cela fait plai­sir de voir qu’au Sénégal, le goût des femmes peut pro­duire de belles œuvres, qu’un bon cas­ting est pos­si­ble, qu’une musi­que endia­blante de sabar ou une gui­tare sèche et une voix rauque peu­vent porter un propos de film d’auteur. Donner un sen­ti­ment de liberté que ne renie­rait sans doute pas Djibril Diop Mambety. Le cinéma séné­ga­lais est donc vivant et bien vivant, la nuit séné­ga­laise a vibré à Ouagadougou. Il y a ce quel­que chose…

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