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La fleur que vous m’aviez volée
Publié le : vendredi 29 août 2014
Femmes Entièrement Femmes de Philippe Baqué et Dani Kouyaté

Foix Résistances 2014

On en connaît qui n’ont pu entrer dans la salle. Et pour­tant nous sommes en France, et les fes­ti­va­liers de Foix n’ont, en géné­ral, pas froid aux yeux. L’exci­sion fait peur. Comme une chape de plomb défi­ni­ti­ve­ment jetée sur le monde.
Philippe Baqué, celui par qui le scan­dale pour­rait arri­ver, s’est emparé d’un sujet révo­lu­tion­naire et le pré­sente par le petit bout de la lor­gnette, à plat pour­rait-on dire : en France, un uro­lo­gue a décou­vert le geste opé­ra­toire, simple qui plus est, per­met­tant de res­tau­rer le cli­to­ris des femmes exci­sées ; il a déjà entre­pris des recons­truc­tions et l’opé­ra­tion est rem­bour­sée par la sécu­rité sociale... Une nou­velle extra­or­di­naire qu’il nous déli­vre sans effets de manche, sous forme d’enquête docu­men­tée : témoi­gna­ges des patien­tes, des méde­cins, repor­ta­ges à l’hôpi­tal de Ouagadougou, inter­views variées, conver­sa­tions ami­ca­les, et confes­sions gla­nées au fil de ses recher­ches, y com­pris sur les forums du net. Avec, en fili­grane, l’annonce d’une révo­lu­tion : un jour, des mil­lions de femmes muti­lées pour­raient décou­vrir le plai­sir. A vous d’en tirer les consé­quen­ces....

En s’adres­sant aux femmes, les réa­li­sa­teurs pren­nent un parti pris jour­na­lis­ti­que : des faits, des expli­ca­tions don­nées par les pre­miers témoins, patien­tes, pro­ches, méde­cins etc... Ils ont refusé d’envi­sa­ger les retom­bées poli­ti­ques de cette décou­verte, qui, si elle était suivie d’effet, ferait explo­ser une grande partie du monde, celle où le pou­voir mas­cu­lin règne en maître, intro­nisé par la reli­gion.
« Femmes, mes sœurs, voilà qu’une lueur vient de poin­dre à tra­vers l’épaisse muraille, levez-vous, grou­pez-vous, battez-vous... » C’est un film qui joue sur l’éveil des cons­cien­ces...

Aux femmes seules dans le noir, par­lant de leur igno­rance, leurs peurs, espoirs, crain­tes, souf­fran­ces, sur fond d’images sépia de scène d’exci­sion, vont suc­cé­der les pion­niè­res, Awan, Fatou et les autres, elles qui ont osé, ont eu la chance, le cou­rage, l’oppor­tu­nité, l’argent et l’entre­gent de se faire opérer, qui aujourd’hui chan­tent leur joie d’être des femmes à part entière et, qui, telles des conver­ties par­tant en croi­sade, brû­lent de faire des adep­tes.

Entre-temps, à l’hôpi­tal de Ouagadougou, seul endroit en Afrique à pra­ti­quer cette opé­ra­tion, on aura écouté le doc­teur Foldes, inven­teur de la méthode, expli­quer que le cli­to­ris est en réa­lité un organe inté­rieur long de 12cms qui peut être res­tauré sim­ple­ment, et qu’étrangement, jamais per­sonne ne s’en était avisé avant lui. Puis, on verra le doc­teur Mazdou, son pre­mier dis­ci­ple et néan­moins adver­saire, suivre ses patien­tes avant et après l’opé­ra­tion avec la bonne humeur que confère un pou­voir sans par­tage.
Grâce à la caméra sub­jec­tive on aura pris la place de l’opérée, regards des sta­giai­res bra­qués entre nos jambes, com­men­tai­res à l’appui : « C’est de la sculp­ture, on peut même recons­ti­tuer les peti­tes lèvres... »
On aura écouté les femmes raconter com­ment elles furent exci­sées, par traî­trise, avec la com­pli­cité des grands mères. On aura appris que, les exci­sions se per­pé­trant de nos jours dès la nais­sance à la mater­nité, sécu­rité oblige, nombre de femmes arri­vent à l’âge adulte sans savoir qu’elles en sont vic­ti­mes.
On aura entendu parler de l’hon­neur des femmes, de celui des hommes qui n’auraient jamais pris d’épouse non exci­sée et qui, aujourd’hui au Burkina Faso, ne veu­lent que des femmes « entiè­res ». Question de mode ?

On aura vu de ces grands mères gar­dien­nes des tra­di­tions s’inter­ro­ger sur ces chan­ge­ments, de futu­res opé­rées, trem­bler plus de la peur de trans­gres­ser les tabous immé­mo­riaux, que de l’inter­ven­tion elle-même, un mari accom­pa­gner sa femme à la consul­ta­tion....
On aura suivi celles qui souf­frent des suites nor­ma­les de l’opé­ra­tion, celles qui ont peur de souf­frir, celles qui ont décou­vert le plai­sir, celles qui en rêvent …
Sans comp­ter que le prix de cet acte chi­rur­gi­cal, jugé rai­son­na­ble par la faculté, res­tera un obs­ta­cle infran­chis­sa­ble pour la plu­part et que seule une déci­sion poli­ti­que cou­ra­geuse pour­rait retour­ner la situa­tion. En atten­dant, on aura la preuve que cer­tains busards n’hési­tent pas à agran­dir leur empire, et on suivra le dis­cours exalté de la rae­lienne de ser­vice louant le futur hôpi­tal cons­truit par la secte à Ouaga, et des­tiné, pour le plus grand bon­heur de tous, à cette seule opé­ra­tion.

Comment ne pas rêver, comme une des blo­gueu­ses, que cette opé­ra­tion soit un jour reconnue comme un droit uni­ver­sel ?
Comment s’étonner des dif­fi­cultés ren­contrées par les réa­li­sa­teurs ? Si le projet avait été porté par une femme, com­ment auraient réagi les bailleurs de fond ? Et si un jour, David se fati­guait de lancer seul des défis aux Goliath ?
Il se peut que quel­ques ques­tions déran­gean­tes vous accom­pa­gnent après le mot FIN .

Michèle Solle

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