Au Festival Résistances de Foix début juillet 2014, dans le cadre de la thématique Main Basse sur le Corps , Philippe Baqué est venu présenter Femmes, entièrement femmes, documentaire coréalisé avec Dani Kouyaté. Le même jour, était programmé Itchombi de Gentille Assih.
Il n’y a pas de hasard. En 2009, Gentille Assih, sous couvert de plaidoyer pour l’asepsie dans l’exercice d’une pratique ancestrale, dévoilait les rites de la circoncision d’une ethnie du Togo.
Philippe Baqué, en 2013, enquête en France et au Burkina Faso, sur la restauration du clitoris des femmes victimes d’excision : un urologue français a découvert le geste opératoire qui change leur vie.
Deux films documentaires qui défient le ténébreux monde des tabous. C’est ainsi que l’Afrique s’invitait en Ariège.
Philippe Baqué, est attentif, disponible, modeste, eu égard à son itinéraire de journaliste-écrivain-réalisateur, et, pour ainsi dire, taiseux. A Foix, parallèlement à ses interventions publiques , il avait déjà choisi les projections et débats qu’il voulait suivre, alors, se raconter … C’est le monde qui l’intéresse !
A la question « Comment en êtes vous arrivé à la réalisation ? », il répond « j’ai commencé par une école de journalisme, à Bordeaux. Non, je ne pensais pas à la réalisation, les choses se sont enchaînées, de fil en aiguille ».
Pas de plan de carrière donc, mais une envie de comprendre la société et d’y participer. Dès l’enfance, il souffre d’entendre son père, gros exploitant forestier en A.E.F., parler mal des ouvriers africains, du haut de son statut de colon. Ressenti qui, plus tard, le poussera inexorablement vers ce continent, et, certainement, orientera ses rencontres.
Sa bio parle pour lui. Premiers articles à Sud-Ouest pour collaborer plus tard au Monde Diplomatique, Politis et autres publications engagées. On le trouve en 86 à Ouagadougou. Lié à la famille Kouyaté, il est premier assistant sur Keita, l’Héritage du Griot de Dany Kouyaté, avec qui il a déjà réalisé un court métrage, Tobere Kossam (Poussière de Lait ) entre Sahel et Limousin en 91, et c’est Sotigui le Magnifique qui en compose la musique.
Et, effectivement tout s’enchaîne : avec Arlette Girardot il va coréaliser en 1996, Touaregs, voix de l’exil, Carnets d’expulsions, de St Bernard à Bamako ou Kayes (1997), Melilla, l’Europe au pied du mur (1998), Eldorado de plastique en 2001 (où on retrouve ceux qui ont réussi la traversée désormais ouvriers dans les serres d’Andalousie...), puis en 1997 Le Beurre et l’argent du beurre, dans lequel il dénonce l’industrie du commerce équitable et l’exploitation des femmes burkinabè productrices du beurre de karité.
Parallèlement, en 99, il publie Un nouvel Or Noir, ou le Pillage des Objets d’art en Afrique. Il s’attaque au trafic juteux qui attire vers le Nord les richesses artistiques du Sud, mouvement de captation établi depuis des siècles dans d’autres domaines.
On l’imagine à l’écoute, voire à l’affût des coups tordus à combattre, les uns après les autres. D’avoir tourné en Andalousie lui fait découvrir la lutte des paysans pour s’approprier les terres confisquées par de puissantes familles. Par ailleurs, il démonte l’engrenage fétide du bio business...
Et aujourd’hui son dernier film, Femmes entièrement femmes sorti en 2014 après 6 ans d’une difficile gestation. Une bombe à retardement sous forme d’enquête studieuse. Quoi de moins surprenant ?
C.N. : Comment avez vous l’idée de cette thématique : l’opération de restauration du clitoris ?
P.B. : Comme toujours par des rencontres. J’étais à Ouagadougou , quand une amie écrivaine a su que le docteur Foldes pratiquait ce genre d’opération pour la première fois en Afrique. J’ai alors rencontré le docteur Mazdou, son homologue qui m’a orienté vers des femmes qu’il avait opérées et celles-ci, à ma grande surprise m’ont démontré une grande confiance. A partir de là, je ne pouvais que continuer.
Vous donnez aussi la parole à des inconnues, à celles qui n’ont pas encore franchi le pas ...
Sur les forums, les femmes font part de leurs interrogations, craintes, posent des questions...Sans cette parole, le film eut été incomplet, il fallait donner vie à ces échanges anonymes, ce sont des comédiennes qui les incarnent.
En définitive, on pourrait dire que votre film fait œuvre de divulgation. Avec une grande sensibilité, vous apportez la bonne nouvelle : désormais, l’excision n’est plus une mutilation sans retour. Et vous le prouvez, témoignages à l’appui. Mais comment expliquez vous que ce soit deux hommes qui s’en chargent ?
Pourquoi pas ? Le sort de millions de femmes dans le monde ne
peut être à la charge de leur seule communauté. En tout cas ce ne fut
pas simple. Ce sujet touche à toutes sortes de tabous religieux,
sociétaux, politiques, économiques...La réalisation s’est déroulée sur
6 ans au milieu de difficultés de tous ordres, deux producteurs se
sont succédés. Heureusement nous étions deux, sans Dani Kouyaté, je ne
sais si j’en serais arrivé à bout.
Comment votre projet initial a-t-il évolué ?
D’une certaine façon, il a gagné en cohérence. Le dispositif des comédiennes seules dans le noir devant leur ordinateur, relayant les mots des femmes des forums, que nous avons imaginé, en a facilité la progression. Nous avons effectué une construction par paliers, entremêlant les témoignages et les scènes filmées à l’hôpital et ces moments de solitude.
Quel avenir pour votre film ?
Il a été programmé sur TV5 Monde en mars 2014 et donc vu en Afrique. A ce jour, j’espère qu’il sera sélectionné dans de nombreux festivals et acheté par des chaînes de télévision. Nous avons organisé des séances publiques et nous espérons que les associations intéressées en feront autant.
Propos recueillis par M. Solle
Foix Résistances 2014
Clap Noir
Association Clap Noir
18, rue de Vincennes
93100 Montreuil - France