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Enjeux et perspectives des écoles de cinéma africaines
Publié le : jeudi 3 mars 2011
Fespaco 2011




Vu de l’exté­rieur, le conti­nent afri­cain peut paraî­tre dépourvu de for­ma­tions en matière de cinéma et d’audio­vi­suel. De la VGIK de Moscou à l’IDHEC de Paris, la majo­rité des réa­li­sa­teurs reconnus sont passé par la voie des écoles occi­den­ta­les. Mais la ques­tion de la relève s’est ensuite posée et plu­sieurs ini­tia­ti­ves ont permis la créa­tion d’écoles de cinéma et de l’audio­vi­suel en Afrique. Quatre d’entre elles se réu­nis­saient hier à l’Institut de l’Image et du Son de Ouagadougou (ISIS) pour faire connais­sance et cibler leurs besoins : l’École Supérieure des Arts Visuels de Marrakech (Maroc), l’Institut Supérieur des Métiers de l’Audiovisuel de Cotonou (Bénin), l’Institut de Formation aux Techniques de l’Information et de la Communication de Niamey (Niger) et l’Institut de l’Image et du Son de Ouagadougou (Burkina Faso). Elles étaient accom­pa­gnées de l’Institut National Supérieur des Arts du Spectacle (INSAS) et de l’Institut des Arts de Diffusion (IAD) belges, par­te­nai­res de l’ISIS, de l’ISMA et de l’ISMAS (Algérie) à tra­vers des for­ma­tions d’ensei­gnants et des échanges d’étudiants par le biais de réa­li­sa­tion de docu­men­tai­res.

A l’instar de l’IFTIC nigé­rien créé en 1979, l’ensem­ble des écoles pré­sen­tes ont été inau­gu­rées en 2006. Soit cin­quante ans après l’éclosion de ciné­mas afri­cains. « Au Maroc il n’y a pas eu d’écoles pen­dant long­temps, témoi­gne Vincent Milelli, direc­teur de l’ESAV de Marrakech. Une géné­ra­tion de réa­li­sa­teurs s’est formée en Europe mais il n’y a pas eu de réflexion sur la relève. Résultat : il y a un vide entre deux géné­ra­tions de cinéas­tes. » Pour cette école qui a reçu 200 étudiants (dont 24 afri­cains non maro­cains) depuis son ouver­ture, l’enjeu actuel est de pal­lier aux dif­fi­cultés de finan­ce­ment des études. « Nous sommes dans une situa­tion de crise depuis 2010, expli­que Vincent Milelli. Jusqu’en 2010, nous finan­cions à 100% les étudiants bour­siers mais, vic­ti­mes de notre succès, nous avons de plus en plus d’élèves. A l’heure actuelle, nous n’avons pas versé les bour­ses de tout le monde et sommes à décou­vert. » En tant qu’école privée créée en Société Anonyme, l’ESAV pos­sède un capi­tal fondé à 80% sur les finan­ce­ments de la Fondation suisse Susanna Biedermann et à 20% par les apports de l’Université Cadi Ayyad de Marrakech. Cependant, même avec des frais de sco­la­rité très élevés pour les reve­nus d’un Africain moyen (3 279 785 FCFA par an soit 5000€), l’école n’a pas assez d’argent pour cou­vrir les frais péda­go­gi­ques et de finan­ce­ment. Alors, au final : « C’est le dépar­te­ment Design Graphique qui finance le dépar­te­ment Cinéma ».

Cette situa­tion l’ISIS bur­ki­nabè la connaît bien. Établissement public sou­tenu par l’État, l’Institut doit jus­ti­fier d’une capa­cité d’auto-finan­ce­ment et pos­sède un méca­nisme de ges­tion pres­que privé. Les frais de sco­la­rité des 52 étudiants formés (dont une ving­taine de bur­ki­nabè) entre 4 pro­mo­tions s’élèvent entre 655 957 FCFA (1000€) et 983 936 FCFA (1500€) pour les natio­naux en pre­mière et deuxième année et entre 983 936 FCFA et 1 180 723 FCFA (entre 1500€ et 1800€) pour les étudiants étrangers. Grâce au sou­tient de l’asso­cia­tion belge Africalia, une aide est appor­tée pour le finan­ce­ment des frais de sco­la­rité des élèves de 2e et 3e année. Ainsi l’école peut aider à 70% les élèves bour­siers. « Même s’il ne leur reste que 30% à payer, les étudiants n’arri­vent sou­vent pas à com­plé­ter cette somme. Nous sommes donc obligé de rompre notre contrat avec eux et de nous en sépa­rer, regrette Cyprien Ilboudo, res­pon­sa­ble de for­ma­tion au sein de l’Institut. Les étudiants étrangers sont quant à eux sou­vent bour­siers dans leur propre pays avec l’aide de la Coopération Française ou de l’Union Économique et Monétaire d’Afrique de l’Ouest (UEMOA). » Une aide qu’octroie aussi le gou­ver­ne­ment bur­ki­nabè à tra­vers une bourse du mérite décer­née à trois étudiants jusqu’à la fin de leurs études.

Pour la struc­ture privée d’ensei­gne­ment supé­rieur béni­noise ISMA, la démar­che est tout autre. Afin de pal­lier aux frais de sco­la­ri­tés qui s’élèvent de 575 000 F CFA (877 €) en DUT à 900 000 F CFA (1372€) en Master Professionnel, l’Institut a mis en place une struc­ture de pro­duc­tion au sein de l’école qui rap­porte un peu plus d’argent. Pour les 275 étudiants en for­ma­tion, cette société est l’occa­sion de pra­ti­quer dans des condi­tions pro­fes­sion­nel­les. Leurs soucis se situent ainsi davan­tage du côté du loge­ment (absence de rési­dence étudiante) et du maté­riel (qui n’est jamais suf­fi­sant).

Pour l’Institut public nigé­rien IFTIC qui a formé 1694 étudiants en 33 ans, le centre de for­ma­tion et de com­mu­ni­ca­tion permet à la fois le ren­for­ce­ment, le per­fec­tion­ne­ment et le recy­clage des pro­fes­sion­nels. En effet, à l’issue de leurs études - dont le coût s’élève entre 270 000FCFA (400€) et 500 000FCFA (762€) en pre­mier cycle et Master - 90% des étudiants sont embau­chés par les médias. Pour ren­trer dans ses frais, l’école répond à des appels à pro­jets pour que les étudiants réa­li­sent des docu­men­tai­res et sol­li­cite des ONG ou des entre­pri­ses publi­ques et pri­vées pour obte­nir du maté­riel. « Il faut être vigi­lant à ce que la société de pro­duc­tion n’inter­fère pas avec la for­ma­tion des étudiants, sou­li­gne Laurent Gross, direc­teur de l’Institut National Supérieur des Arts du Spectacle de Bruxelles fondé en 1962 et qui a vu passer en son sein des réa­li­sa­teurs tels que Nouri Bouzid (Tunisie) ou Djo Tunda Wa Munga (RDC). « A l’IFTIC, nous avons suf­fi­sam­ment de maté­riel pour la for­ma­tion et pour la pro­duc­tion, expli­que Mounkaïla Ingoila, Secrétaire Général de l’IFTIC. Afin que le maté­riel sor­tant ne soit pas abîmé, nous posons nos condi­tions : ce sont des tech­ni­ciens de l’IFTIC mis à dis­po­si­tion sur les pro­jets qui doi­vent l’uti­li­ser. »

Cette solu­tion pour faire entrer de l’argent dans les cais­ses des écoles a aussi été rete­nue par l’ISMA : « Lorsque le réa­li­sa­teur béni­nois Sylvestre Amoussou a vu la qua­lité de notre maté­riel il a décidé de nous le louer pour son film qui est en com­pé­ti­tion offi­cielle [Un pas en avant, les des­sous de la cor­rup­tion, 2010] plutôt que d’en faire venir de l’étranger, témoi­gne Christophe Avodagbe, chef de ser­vice Information et Évaluation. » Contribuer humai­ne­ment ou tech­ni­que­ment à des tour­na­ges pro­fes­sion­nels est impor­tant, comme en témoi­gne Pierre Roamba, direc­teur du Studio-Ecole de l’ISIS bur­ki­nabè : « Nous avons un cahier des char­ges et du maté­riel pour appuyer la loca­tion. Notre voca­tion est d’accom­pa­gner les anciens et les nou­veaux qui se for­ment. Nous avons une obli­ga­tion de résul­tats tout en déve­lop­pant un envi­ron­ne­ment favo­ra­ble avec les pro­fes­sion­nels bur­ki­nabè. L’ISIS a ainsi par­ti­cipé en maté­riel ou en pro­fes­sion­nels à tous les films bur­ki­nabè sélec­tion­nés cette année en com­pé­ti­tion offi­cielle à l’excep­tion de Notre étrangère de Sarah Bouyain. »

Créer des struc­tu­res pro­fes­sion­nel­les au sein des écoles est une solu­tion déli­cate. Pour Vincent Milelli, la ques­tion est de savoir si les écoles ne vont pas, à terme, concur­ren­cer les étudiants sur le marché du tra­vail. « Il ne fau­drait pas qu’il y ait un effet per­vers où l’école se sub­sti­tue­rait à la pos­si­bi­lité de faire émerger des socié­tés, argu­mente-t-il. » Témoignant de l’expé­rience de l’INAFEC, seule école de cinéma d’Afrique de l’Ouest ayant existé entre 1976 et 1987, Pierre Roamba expli­que : « Après l’INAFEC, cer­tains ont conti­nué dans le cinéma, d’autres sont deve­nus épiciers ! ». Sur le ter­rain, deux enjeux impor­tants : les pro­fes­sion­nels en place, sou­vent formés sur le tas, ne veu­lent pas être démis de leurs fonc­tions par des jeunes diplô­més qui sor­tent de trois ans d’études. Et le milieu pro­fes­sion­nel doit être ana­lysé afin de cibler les besoins de per­fec­tion­ne­ment et les sec­teurs dému­nis qui néces­si­tent d’être pal­liés.

Financer les études des élèves et accom­pa­gner les étudiants sont les deux pers­pec­ti­ves majeu­res déga­gées lors de cette ren­contre entre direc­teurs d’écoles de cinéma. En réponse à ces besoins col­lec­tifs, deux pro­po­si­tions ont été émises.

Premièrement, fédé­rer les écoles de cinéma en réseau afin de mener une cam­pa­gne de levée de fonds des­ti­née à l’ensem­ble des écoles. Ce regrou­pe­ment per­met­tra de répon­dre aux appels à pro­jets nom­breux qui exis­tent et dont les écoles n’enten­dent pas tou­jours parler. Proposition a été faite de se rap­pro­cher du Centre International de Liaison des Écoles de Cinéma et de Télévision (CILECT) fondé en 1955 et qui regroupe à ce jour 148 ins­ti­tu­tions issues de 57 pays. En son sein, la CILECT Africal Regional Association (CARA) pré­si­dée par l’AFDA sud-afri­caine est pour l’ins­tant majo­ri­tai­re­ment com­po­sée d’écoles anglo­pho­nes : la NAFTI du Ghana, la WITS sud-afri­caine, le CFPA du Cameroun et la NTA TV College du Nigéria. En s’inté­grant à un réseau déjà cons­ti­tué dont les cri­tè­res sont préé­ta­blis, les écoles de cinéma afri­cai­nes pour­raient béné­fi­cier d’un label reconnu, donc d’une reconnais­sance inter­na­tio­nale.

Deuxièmement, mener une étude sur les besoins dans le sec­teur ciné­ma­to­gra­phi­que. Persuadées de jouer un rôle impor­tant dans la réflexion sur la struc­tu­ra­tion de l’indus­trie ciné­ma­to­gra­phi­que, les écoles sou­hai­tent être inté­grées dans les fonds de finan­ce­ment pana­fri­cains au même titre que la pro­duc­tion, la dis­tri­bu­tion et l’exploi­ta­tion. Ainsi, une étude menée par des per­son­nes exté­rieu­res per­met­trait de mieux accom­pa­gner les étudiants diplô­més afin qu’ils ne soient ni chô­meurs, ni obli­gés de tra­vailler dans un autre domaine que le cinéma pour gagner leur vie.

Claire Diao

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