Voyage en Fespacie
Publié le : vendredi 11 mars 2011
Fespaco 2011




Pas de Festival sans bilan, pas de bilan sans fes­ti­val. Qui croyait à cette édition 2011, tant les cri­ti­ques sur le pré­cé­dent « fes­pa­couac » avaient fusé ? Pour être hon­nête pas grand monde, refroidi par l’orga­ni­sa­tion catas­tro­phi­que de l’édition 2009. Rien à dire, badges, saco­ches, pro­gram­mes, tout était dis­tri­bué en temps et en heure, même pour les retar­da­tai­res… La céré­mo­nie d’ouver­ture punchy et colo­rée a brillam­ment lancé la 22e édition et ce sont les nuits musi­ca­les, nou­vel­le­ment ins­tal­lées au siège du Fespaco, qui ont rythmé Ouaga by night toute la semaine. Certes, tout n’était pas au point (le tapis rouge tou­jours sans public, des annu­la­tions de pro­jec­tions…), mais saluons l’effort de l’équipe d’orga­ni­sa­tion.

Malheureusement, au fur et à mesure de la semaine, quel­ques nuages se sont amon­ce­lés : des cinéas­tes mis hors com­pé­ti­tion pour diver­ses rai­sons ; citons Yousri Nasrallah pour Raconte Shéerazade raconte, Dosunmu Andrew Waheed pour son film Restless City et Faith Isiakpere pour Foreign demons. La concur­rence entre l’argen­ti­que et le numé­ri­que en com­pé­ti­tion a fait des dégâts. Ainsi, le public a pu voir Raconte, Shéerazade en pro­jec­tion vidéo numé­ri­que alors qu’il aurait dû être en com­pé­ti­tion 35 mm ! Soit dit en pas­sant, per­sonne ne s’en était aperçu sauf lors du pal­ma­rès où ce très bon film était tota­le­ment absent ! L’exem­ple même d’invrai­sem­blance propre à la Fespacie. La réa­lité du ter­rain a rat­trapé la belle image que nous avait peau­finé le comité natio­nal d’orga­ni­sa­tion.

L’importance de la communication

Bien com­mu­ni­quer est très impor­tant. La piqûre de rappel que nous admi­nis­tre le Fespaco tous les deux ans est révé­la­trice des mesu­res prises – ou non – par le fes­ti­val pour ren­for­cer sa visi­bi­lité et sa cré­di­bi­lité.
D’abord, il est indé­nia­ble que l’équipe a réformé ses tech­ni­ques de com­mu­ni­ca­tion : nou­veau cata­lo­gue, nou­veau site web offi­ciel en ligne, mieux fourni et plus convi­vial, de nom­breux ser­vi­ces d’accueil postés à l’entrée des salles et des sites …. Même les séan­ces étaient ani­mées par des pré­sen­ta­tri­ces bilin­gues déclen­chant, par leur pra­ti­que de la langue de Shakespeare, une jovia­lité cer­taine chez les spec­ta­teurs. Ultra chic ! Par contre, peu de succès du centre de presse trans­féré in extré­mis de l’hôtel Azalai Indépendance au centre Liptako Gourma.

L’arbre cache la forêt. On aurait aimé être informé au centre de presse de la dis­qua­li­fi­ca­tion des 3 longs métra­ges en com­pé­ti­tion, ou l’absence de prix du public RFI, prix très impor­tant pour la car­rière du film (voté par les fes­ti­va­liers), plutôt que d’appren­dre tout cela à la remise des prix …. On aurait aimé savoir que Moussa Touré n’était pas pré­sent pour pré­si­der le jury docu­men­taire ; bref, avoir eu connais­sance de tout ce qui touche de près les pro­fes­sion­nels et leurs films en com­pé­ti­tions. Ainsi, cer­tains cinéas­tes n’ont pas été aver­tis d’un chan­ge­ment de pro­gramme ; le comité natio­nal d’orga­ni­sa­tion doit pren­dre la mesure de ces pré­ju­di­ces, c’est une prio­rité majeure de pro­fes­sion­na­li­sa­tion du Fespaco.

Malgré les salles bon­dées, il n’y avait pas de public devant le tapis rouge lors des pre­miè­res, pour­quoi ? Simplement parce que les oua­ga­lais n’étaient pas infor­més. Pourtant, les équipes de films aime­raient bien rece­voir les hon­neurs du public avant d’entrer en salle.

Mieux com­mu­ni­quer, c’est aussi faire appel à tous les sup­ports de com­mu­ni­ca­tion. Nous avons pu voir quel­ques affi­ches de films à l’entrée des salles, mais pas assez. Le fes­ti­va­lier lit tout, cher­che l’infor­ma­tion qui déter­mi­nera son choix. Voir un carton avec le titre du film écrit au mar­queur n’est pas convain­cant. Mais des grands tableaux de pro­gram­mes étaient dres­sés aux entrées de chaque cinéma, met­tant fin à toutes inter­ro­ga­tions.
L’affi­chage électronique n’est pas uti­lisé, il permet d’infor­mer à chaud et le cas échéant, de pal­lier aux chan­ge­ments de pro­gramme. On a pour­tant vu de grands pan­neaux publi­ci­tai­res vidéo, mais privés. Une piste qui pour­rait être faci­le­ment exploi­tée.

Les réseaux mobi­les (sms) et sociaux type face­book ont par­ti­cipé acti­ve­ment à la com­mu­ni­ca­tion et for­ment une média­ti­sa­tion dyna­mi­que du fes­ti­val. Une séance annu­lée et c’est tout Ouaga qui est infor­mée par le réseau gsm (comme l’annu­la­tion de la pro­jec­tion de Restless city, seul film nigé­rian en com­pé­ti­tion offi­cielle). Facebook quant à lui a orienté les afi­cio­na­dos dans les rendez-vous et le débat, les points de vue n’ont pas manqué lors de cette édition.
Favoriser les ren­contres de la presse avec les cinéas­tes permet de mieux média­ti­ser le film ; peu de cinéas­tes se sont dépla­cés lors des pro­jec­tions de presse du matin. Avoir un entre­tien en fin de séance permet de vendre un film. Trop de médias repren­nent les mêmes propos tenus par le réa­li­sa­teur ce qui dis­tille le débat cri­ti­que. Pourquoi ne pas pro­gram­mer les débats-forums à l’issue des pro­jec­tions et non en même temps dans un autre endroit ?

L’importance de la programmation

Cette année, 111 films étaient pré­sen­tés en com­pé­ti­tion, était-ce pour autant syno­nyme de qua­lité ? Où se situe le mar­queur ? Sommes-nous dans une pro­gram­ma­tion de films d’auteurs ou un mélange hété­ro­clite des genres ?
Indéniablement dans la 2e caté­go­rie. Non seu­le­ment nous avons des ciné­mas très clas­si­ques dans leur écriture comme Da Monzon et Le poids du ser­ment, très poli­ti­que avec Un pas en avant, En atten­dant le vote ou encore Raconte Shéhérazade, étonnamment d’actua­lité, mais aussi des ciné­mas nou­veaux, sou­vent des 1ers longs métra­ges bous­cu­lant la hié­rar­chie. Ainsi, on a pu voir Notre étrangère, film bur­ki­nabè bri­sant le tabou du métis­sage, Le der­nier vol du fla­mant rose, Mozambique, inté­res­sante adap­ta­tion d’un texte du célè­bre écrivain Mia Couto – pas facile en VO por­tu­gaise sous-titrée anglais -, A Small town called Descent un film poli­cier sud-afri­cain très vio­lent ou encore la comé­die musi­cale algé­roise Essaha. Enfin Pégase, 1er long métrage du réa­li­sa­teur maro­cain, véri­ta­ble opus psy­cho­lo­gi­que et poé­ti­que sur la condi­tion des femmes.

Le numé­ri­que s’ins­talle peu à peu dans les gros­ses pro­duc­tions et c’est grâce à lui que la qua­lité aug­mente dans cette cuvée. Néanmoins, faire un film en numé­ri­que néces­site plus de rigueur au tour­nage. Tout comme la photo, qui n’a pas mul­ti­plié les prises de vues sachant que l’on peut les voir et les effa­cer sur le champ ! Cela donne beau­coup de films peu maî­tri­sés. On res­sent les limi­tes de cette tech­no­lo­gie dans le scé­na­rio et la direc­tion d’acteurs. Trop de films pêchent par le jeu des comé­diens et la réa­li­sa­tion. Dans l’ensem­ble, ce sont sur­tout les films popu­lai­res qui ont tiré leur épingle du jeu. Les fes­ti­va­liers ont pré­féré se diver­tir avec en tête du box-office le seul film ivoi­rien en com­pé­ti­tion Le mec idéal. Suivent de près Un pas en avant d’Amoussou, En atten­dant le vote de Hébié et Julie et Roméo de Diallo, en com­pé­ti­tion vidéo. Tous des films de qua­lité moyenne, mais qui indé­nia­ble­ment, s’adres­sent à leur public. Le cinéma touche le cœur et l’ima­gi­naire d’un public très large en quête d’his­toi­res plus ou moins vraies, du moment que l’his­toire leur parle. Les films ins­crits dans des formes ciné­ma­to­gra­phi­ques plus tra­di­tion­nel­les, sous forme de tra­gé­die grec­que ne cor­res­pon­dent plus à l’attente du public qui les plé­bis­ci­tait encore il y a quel­ques années.

Alors faut-il primer le cinéma d’auteur, reflet d’un cinéma intel­lec­tuel aux formes artis­ti­ques excep­tion­nel­les ? Ou un film de qua­lité au succès popu­laire incontes­ta­ble ? Cela nous ramène aux Oscars ou aux Césars ? Un block­bus­ter amé­ri­cain est oscars­si­sa­ble tandis qu’en France, un film comme les Chtis qui explosa le record d’entrées a été snobé par le jury des Césars !

Le pal­ma­rès reflète la diver­sité des ciné­mas d’Afrique ; intel­li­gem­ment ,le jury longs métra­ges, en jouant sur les deux tableaux, a tran­ché pour des œuvres ori­gi­na­les ; l’étalon d’Or au 1er long métrage de Mohamed Mouftakir Pégase, l’Argent à Mahamat-Saleh Haroun Un homme qui crie et le Bronze à Owell Brown Le mec idéal, un vent conti­nen­tal sur ce pal­ma­rès …

Certains prix par contre, n’ont tou­jours pas d’expli­ca­tion logi­que ; ils tien­nent plus du rat­tra­page fami­lial que du pro­fes­sion­na­lisme des jurys. On se demande où se trouve la per­for­mance d’acteur de Sylvestre Amoussou, com­paré à celle d’Abdelhadi Touhrache, excel­lent dans La mos­quée ; où est l’ori­gi­na­lité des bandes-son de Wasis Diop, qui se res­sem­blent toutes ? La ten­dance à se congra­tu­ler entre Africains et pro­fes­sion­nels (même la presse est de la partie) ins­tal­lés dans ce tour­billon cultu­rel, anes­thé­sie quel­que peu tout sens cri­ti­que et pro­fes­sion­nel. Ainsi, on a vu par l’éclectisme de cette pro­gram­ma­tion et du pal­ma­rès, les lignes bouger, mais pas assez pour per­met­tre à cet oasis cultu­rel de sortir de l’ombre.

Le cinéma afri­cain reste engagé, poli­ti­que, contem­pla­tif, popu­laire et de qua­lité indé­nia­ble. Espérons sur­tout que les films de cette cuvée 2011 cir­cu­le­ront en salles ou en plein air, peu importe, mais qu’ils soient visi­bles.
L’atout majeur du Fespaco est qu’il reste la pre­mière vitrine mon­diale des ciné­mas d’Afrique, qu’il évolue sans cesse et cette année, c’est plutôt parti dans le bon sens !

Benoit Tiprez

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