Aux dernières Rencontres du Film Court de Madagascar, Rianando Ludovic Randriamanantsoa a remporté le Zébu d’Or de la meilleure fiction pour son court-métrage Le Glas. Ce prix lui offrait une formation en école de cinéma à Genève ainsi qu’une invitation au festival de Winterthur en Suisse. Puisqu’il étudiait déjà dans une école marocaine (ESAV), Ludovic a offert sa formation à Manohiray Randriamananjo, lauréat de la Mention Spéciale. Ils se sont retrouvés tous les deux à Winterthur.
Crédit photo Kurzfilmtage
Il est rare de voir des lauréats partager leur prix avec leurs concurrents. Comment expliquez vous ce choix ?
Rianando Ludovic Randriamanantsoa : C’est la moindre des choses. Je pense que notre génération de cinéastes malgaches a besoin de solidarité. Ceux qui veulent faire du cinéma ont besoin de motivation pour participer aux Rencontres du Film Court et ne plus avoir peur de franchir le pas. Comme j’ai déjà bénéficié d’une formation [à l’École Supérieure des Arts Visuels de Marrakech] et que c’est ce qui manque à Madagascar, je me suis dit que c’était une bonne occasion pour nous.
Manohiray Randriamananjo : J’ai été très content d’obtenir ce prix. Comme Ludovic, je suis là pour, quoi qu’il se passe, faire avancer le cinéma malgache. C’est un atout de plus pour moi de fréquenter une école de cinéma et cela a changé ma vie, ma vision et ma façon de faire du cinéma.
Que ce soit en France, en Suisse ou au Maroc, quelle vision ont les gens de Madagascar ?
M.R. : C’est une surprise pour eux car les gens imaginent une île avec des lémuriens et des autochtones. Ils sont surpris de voir que l’on fait quand même du cinéma.
R.L.R. : J’avais fait un film malgache produit au Maroc et dans le cadre d’un festival, le film a été considéré comme marocain. Alors je m’interroge sur l’identité d’une œuvre. De nous voir ici à l’étranger, cela donne vraiment beaucoup d’espoir pour les jeunes malgaches. Sortir du pays et ouvrir ses horizons est une expérience très importante.
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Quel a été votre programme lors du festival de Winterthur ?
R.L.R. : Nous sommes surtout allé voir les projections de films africains et la compétition internationale. Je cherchais l’imaginaire dans les films africains car nous sommes souvent confrontés à un cinéma engagé, politique et on oublie cette part d’imaginaire africain. Les films africains ici sont diversifiés.
M.R. : Mon objectif était de voir les films africains pour situer Madagascar par rapport à la qualité et la quantité de ce qui se fait parce que j’ai l’habitude de voir des films européens. Je vais dans les salles pour voir comment réagissent les gens. C’est très important, surtout pour nous qui faisons des films, de tenir compte de ce que les films provoquent chez les spectateurs. J’ai par exemple la sensation que le cinéma malgache est différent. Nous sommes plus dans le rêve, nous sommes plus fins au niveau de l’écriture et de l’esthétique et ça, c’est une découverte.
Après avoir vu autant de films, quel bilan tirez-vous du cinéma malgache ?
M.R. : Juste à première vue, si sur 10 films africains il y a 2 films malgaches, on identifie immédiatement les films malgaches alors que les films africains, on ne sait pas de quel pays ils sont car il y a un style qui s’est généralisé en Afrique. Même si les malgaches ont un côté engagé, nos films se lâchent plus, ils sont tournés vers le rêve et l’imagination.
R.L.R. : J’ai vu un film documentaire que Manohiray a tourné et j’ai pu isoler une séquence que j’aime bien. Il y a un vrai moment documentaire de sincérité où le personnage est vraiment touchant. Mais en même temps Manohiray a joué avec le cadre. Et je me suis reconnu là-dedans car moi malgache, si quelqu’un me donne de la sincérité, je ne pourrais pas le regarder en face, regarder ses yeux. Dans les autres films africains que j’ai vu, la caméra reste figée. C’est le personnage qui donne tout.
Quel a été votre coup de cœur du festival ?
M.R. et R.L.R. : Mwansa the Great [ de Rungano Nyoni, Mention spéciale du jury] !
Cette sélection correspond-t-elle à l’idée que vous vous faisiez du court-métrage africain ?
M.R. : Nous appelons les films que l’on a vu des films « Mamadou » : des films qui parlent beaucoup et que l’on ne comprend pas à la fin. Les réalisateurs investissent beaucoup dans le matériel alors qu’à Madagascar, nous tournons avec rien mais nous travaillons sur le contenu. Un autre aspect que j’ai remarqué est que les gens chantent toujours à la fin ou dans les moments graves, c’est un style Bollywood.
R.L.R. : Quand j’étais à Madagascar, j’ai vu La petite vendeuse de soleil de Djibril Diop Mambéty qui m’a beaucoup plu. Pour moi c’est le film africain par excellence dans le sens où cela aborde le social avec une vraie narration. Ce que je plains dans le cinéma africain, c’est qu’il n’y a pas de type de héros comme on en trouve dans les films occidentaux, ces acteurs qui intéressent les producteurs. Ce que j’ai aimé dans Mwansa the Great c’est qu’il y a une très bonne direction d’acteur. Je trouve que les femmes africaines dirigent mieux les enfants que les hommes. C’est une piste à creuser : parler de choses graves tout en faisant rire.
Propos recueillis par Claire Diao
12 novembre 2011
Clap Noir
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