Une série documentaire 3x52’ de Juan Gélas
Sur France 5 à partir du 5 février 22h00 dans la case du siècle.
Une fresque en trois volets intitulée Noirs de France va être programmée sur France 5. Après Comme un juif en France, de l’affaire Dreyfus à nos jours (2007), Musulmans de France (2010), produit également par La compagnie des phares et balise, France Télévision entreprend de faire le récit de l’histoire des communautés en France, à l’attention du grand public.. Il va s’agir de société, de mœurs, d’histoires, mais aussi de représentation politique, d’enjeux politiques au sein des communautés et de leur impact dans la vie politique française. Et c’est passionnant.
Trois parties pour parler du vingtième siècle
La première partie retrace le temps des pionniers, de 1889 à 1940. On y découvre, au milieu d’extraordinaires archives, le visage des premiers hommes politiques noirs de la République française, Blaise Ndiaye, Lamine Gueye, Hégésippe Légitimus et la place étonnamment plus valorisée qu’aujourd’hui des Noirs en politique à l’hémicycle... On y voit les poilus venus d’Afrique, les fameux « Tirailleurs sénégalais », se battant au front en 14-18, on en comprend mieux, du coup, l’enjeu politique, que ce soit avant ou après la guerre. Pendant ce temps, les Noirs font les modes en France (le jazz et le bal nègre, Joséphine Baker), divertissent et amusent (le clown Chocolat), voire, sont montrés en foire (zoos humains au jardin d’acclimatation lors de l’exposition universelle de 1931). La seconde guerre mondiale met un terme à ces temps pionniers, relativement joyeux. Même si le commentaire reste un peu trop sérieux dans cette première partie, en revanche magnifiquement archivée, on apprend beaucoup de choses.
La deuxième partie, plus problématisée, plus dure et paradoxalement, plus drôle, est la plus réussie. Les auteurs l’ont baptisée Le temps des migrations, de 1940 à 1974. Le chanteur Manu Dibango y rappelle non sans ironie que De Gaulle, c’était certes Londres, mais c’était surtout Brazzaville, d’où est partie la division Leclerc. Les indépendances sont bien traitées, avec la dérision qu’il fallait. Des poètes de la négritude, on ne voit que Senghor, Césaire et, plus tard, Fanon, mais c’est déjà très bien. Les grands moments sont montrés. Congrès des écrivains noirs de la Sorbonne de 1956, où l’on voit James Baldwin prenant des notes. Puis, une belle part est faite aux Antilles et le cas du Bumidom de triste mémoire est analysé sans concession. Aux immigrés des beaux quartiers de la période précédente succèdent, à l’image, les travailleurs immigrés, mal logés. Un ouvrier malien raconte le foyer, accompagné à l’image par des archives des années soixante-dix impressionnantes.
Comme dans tout travail à volonté historique, le recul manque un peu pour analyser avec justesse la partie contemporaine. La troisième partie du film, Le temps des passions, de 1975 à nos jours, tente de retracer les luttes (Sos racisme, Saint Bernard, la loi Taubira...). On nous montre,- un peu plus journalistiquement -, que des membres de la minorité invisible, pauvre en représentants politiques, sont arrivés à une visibilité : Yannick Noah, Lilian Thuram, Andrey Pulvaar, Joey Starr. On ne nous parle pas de Dieudonné, ni de Rama Yade. On nous parle en revanche du Cran, insinuant la nécessité d’une représentation politique des Noirs en France. La question aurait pu être mieux discutée dans le film. Cette partie est intéressante dans la parole qu’elle donne à des jeunes : un rappeur d’origine réunionnaise et une jeune militante associative, d’origine africaine. Cependant, la question de la représentation n’est pas posée avec autant d’acuité que lors des deux premiers épisodes. Noirs de gauche, Noirs de droite, frontières et enjeux ne sont pas assez reposés, la conclusion reste un peu académique et plus journalistique que ne l’était le reste de la fresque. Malgré cela, une très belle somme de travail. L’historien Pascal Blanchard, spécialiste du fait colonial (co-auteur, avec Eric Deroo, du trop fameux documentaire Zoos humains), a donné au film un contenu historique irréprochable.
Une histoire officielle des Noirs de France ?
Certes, pour un public africain ou caribéen, ou encore, pour un familier des films de Sembène Ousmane, Samba Felix Ndiaye, Thierry Michel, Jean-Marie Teno, Euzane Palcy, Abdelatif Kechiche, ces images ne font rien découvrir de vraiment nouveau. Ou alors, une superbe archive inédite, jubilation intime de l’amateur. Mais ce film est important tout de même : c’est comme si une Histoire, écrite jusqu’alors par bribes, film après film, celle que l’on (re)découvre au Fespaco et dans les festivals qui, nombreux dans le monde, consacrent à l’Afrique et au monde noir (de Ouagadougou à Amiens, de Tarifa à Montréal), entrait tout à coup dans le manuel scolaire ! La voilà rangée, organisée, structurée, en parties et sous-parties, bien classée, bien intégrée. Alors bien sûr, certains peuvent sentir que leur mémoire a été confisquée et récupérée. Que la parole « noire » a – une fois de plus ? – été manipulée. Ce film est un nouveau chapitre qui s’invite au Mallet Isaac ou au Berstein et Milza. Le choix communautaire est assumé à France Télévision et c’est sans doute un signe des temps, ici (- ici, où on a noyé des Algériens, comme le rappelait avec cruelle ironie Yasmina Adi, dont le film sort peu avant en salle). Noirs de France, Africains et Caribéens confondus font l’objet d’un récit à part entière. Il s’agit non pas d’une histoire des Noirs dans le monde, mais en France, le point de vue est bien clair, la couleur annoncée.
Juan Gélas, le réalisateur, est Blanc. Mais tous les intervenants sont Noirs, et le récit évite le commentaire du « Blanc sur Noir », même si le montage garde la main, créant le principal effet de discours, bien sûr. Avec une voix off souvent très présente et directive. Certes, la parole banale et ordinaire est assez peu présente. Le film privilégie des intervenants « glam », déjà connus, dont la notoriété serait en quelque sorte un soutien à un sujet n’assumant pas sa fragilité, comme si le fait de parler des Noirs demandait à ce que le récit soit épaulé par la célébrité. Mais la politologue Françoise Vergès parle très bien de l’esclavage et de ses séquelles, la députée Christiane Taubira est la meilleure porte-parole d’un combat qui fédère, le chanteur Manu Dibango est drôle, Soprano est jeune, intelligent et pas énervé, Pap Ndiaye est un jeune historien africain brillant, Yandé Christiane Diop a la légimité de sa maison d’édition, Présence africaine, Harlem Désir a compté sur l’échiquier politique. En faisant un effort pour se mettre à la page, la télévision publique, qui parle de « représenter la diversité », renoue avec sa tradition la plus classique, en livrant un grand film dossier. Est-ce un mal ? Non. Il y a fort à parier que beaucoup de spectateurs découvriront ce film avec intérêt et s’en passionneront.
Caroline Pochon
9 novembre 2011
Noirs de France, 3X52’
Le temps des pionniers (1889-1939 / volet 1)
Le temps des migrations (1940-1974 / volet 2)
Le temps des passions (1975-2011 / volet 3).
Réalisation : Juan Gélas
Co-auteurs : Juan Gélas et Pascal Blanchard
Production / distribution : La Compagnie des Phares et Balises
Contacts : info chez phares-balises.fr, www.phares-balises.fr
Clap Noir
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