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10 ans de Quintessence
Publié le : lundi 23 janvier 2012
Festival Quintessence 2012

Du Bénin on connaît les réalisateurs Sylvestre Amoussou, Sanvi Panou, Claude Balogun ou Idrissou Mora Kpaï. Un peu moins la situation du cinéma dans ce pays. Malgré la fermeture de l’ensemble des salles de cinéma du territoire, un festival initié par le cinéaste Jean Odoutan résiste dans la ville de Ouidah, ancien port d’embarquement des esclaves en partance pour le Brésil et Haïti.
Retour sur cette 10e édition.

Bordée de plages de sable fin et de coco­tiers, la belle ville de Ouidah fêtait du 7 au 11 jan­vier 2012 les 10 ans du fes­ti­val Quintessence. Au micro de RFI, le fon­da­teur Jean Odoutan, par­fois cri­ti­qué tant sa patte est omni­pré­sente (sur les com­mu­ni­qués, les affi­ches, les cartes pos­ta­les et même devant les lieux de pro­jec­tions où les affi­ches de ses films pré­cè­dent celles de ses confrè­res) raconte : « Quand j’ai fait mon pre­mier film Barbecue Pejo, on a voulu le mon­trer à ceux qui avaient par­ti­cipé à Ouidah […] Les gens étaient à peu près 200 et on leur mon­trait le film sur un petit écran de télé­vi­sion. Donc les gens qui étaient très loin, quand ils voyaient quelqu’un à l’écran, ils disaient « Ah, c’est moi ! C’est moi ! ». La vérité c’est que ce n’était pas eux. C’est à partir de ce cons­tat-là que je me suis dit qu’il fau­drait que nous mon­trions des images de chez nous au plus grand nombre, que les gens se voient et qu’on adore nos images telles qu’elles sont. Donc on est passé du petit au grand écran. »

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10 films béni­nois sur 64 en com­pé­ti­tion

Si les pre­miè­res éditions valo­ri­saient en effet les pro­duc­tions loca­les, la 10e édition en est bien éloignée. Seulement une copro­duc­tion béni­noise dans la com­pé­ti­tion long-métrage (Orillas de l’argen­tin Pablo César), 5 courts-métra­ges sur 21 (dont 3 pro­duits par l’Institut Supérieur des Métiers de l’Audiovisuel de Cotonou), 2 sur les 18 docu­men­tai­res en com­pé­ti­tion (la copro­duc­tion cana­dienne Awa O Gbé et Comment l’Afrique finance-t-elle le déve­lop­pe­ment de l’occi­dent), aucun film d’ani­ma­tion sur les 9 sélec­tion­nés et 2 télé­films sur les 7 qui com­po­saient la nou­velle sec­tion « Demain c’est aujourd’hui ».

Selon notre rédac­trice Caroline Pochon, membre du jury long-métrage, l’absence de films afri­cains (22 sur 64, films béni­nois inclus) lui aurait été jus­ti­fiée par la pau­vreté de l’offre et la dif­fi­culté à obte­nir cer­tains films. Interrogé à ce sujet, le réa­li­sa­teur Sylvestre Amoussou basé à Paris s’expli­que : « Un pas en avant a été financé par des gens de Cotonou et une ving­taine de comé­diens - dont l’actrice prin­ci­pale - sont béni­nois. Je me devais donc d’orga­ni­ser quel­que chose au Bénin. Le film sera pro­jeté au Palais des Congrès de Cotonou le 26 jan­vier pro­chain en ma pré­sence. »

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On regret­tera qu’un film comme Indochine sur les traces d’une mère d’Idrissou Mora Kpaï, pré­senté au der­nier Fespaco, ne figure pas dans la sélec­tion et que le court-métrage Le bruit du silence du béni­nois Atisso Médessou, tourné en France et primé dans plu­sieurs fes­ti­vals, ait été placé hors com­pé­ti­tion puis retiré de la liste des films pro­je­tés durant le fes­ti­val.

La plé­thore de films pro­je­tés (entre 20 et 30 par soir dans 5 lieux dif­fé­rents de la ville) inter­roge elle aussi. Aucune grille de pro­jec­tion claire sur les films en et hors com­pé­ti­tion, pas de pro­jec­tion com­mune par caté­go­rie... Réunissant un large public majo­ri­tai­re­ment étudiant, les pro­jec­tions se sont par­fois dérou­lées dans des condi­tions dra­ma­ti­ques – comme celle du film Orillas qui s’est avérée à deux repri­ses sans son malgré la pré­sence déses­pé­rée d’un membre argen­tin de l’équipe ne par­lant pas un mot de fran­çais [1] . Alors que 8 films de la Cinémathèque Afrique et 3 films du Jan Vrijman Fund étaient pro­je­tés hors com­pé­ti­tion, 4 films du par­te­naire hol­lan­dais Hubert Bals Fund figu­raient en com­pé­ti­tion long-métrage, dont le Python royal du fes­ti­val, le très beau film turc Pandora’s Box de Yesim Ustaoglu.

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Tables rondes et master clas­ses

Réunissant des réa­li­sa­teurs de la sous-région (Gaston Kaboré, Cheik Oumar Sissoko, Mama Keïta) et des pro­fes­sion­nels inter­na­tio­naux (Souad Houssein de l’Organisation Internationale de la Francophonie, Véronique Joo’Aisenberg de l’Institut Français, Martina Malacrida du Festival du Film de Locarno et Catherine Ruelle de Radio France International), le fes­ti­val a misé son succès sur ses invi­tés de marque.

Et pour cause, si la majo­rité d’entre eux n’a assisté à aucune pro­jec­tion du fait du pro­gramme qui leur était réservé (invi­ta­tions chez les grands de Ouidah, visite de la ville, soi­rées et récep­tions), la quinte essence de cette 10e édition était indu­bi­ta­ble­ment basée sur la ren­contre. Ainsi les master clas­ses ani­mées entre autres par Mama Keïta (scé­na­rio), Claude Balogun (jeu d’acteur) ou Catherine Ruelle (jour­na­lisme cultu­rel) ont mobi­lisé avec succès près de 15 élèves moti­vés.

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Deux tables rondes gérées par une équipe dyna­mi­que et dévouée du fes­ti­val ont donné lieu à de riches échanges entre pro­fes­sion­nels inter­na­tio­naux et locaux notam­ment en ce qui concerne les besoins locaux de struc­tu­ra­tion d’une indus­trie. Ainsi le fou­geux Directeur de la Cinématographie du Bénin, Dorothée Dognon, récla­mait au Festival de Locarno d’impo­ser aux gou­ver­ne­ments afri­cains de finan­cer des com­plé­ments aux lau­réats du pro­gramme Open Doors, tout comme l’ancien direc­teur Akambi Akala émettait le sou­hait que son pays cesse d’être absent là où on l’attend (par rap­port au Fonds Panafricain de Soutien et de Développement du Cinéma et de l’Audiovisuel initié par la Fepaci). Ce fonds a reçu l’exper­tise de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) qui a financé une étude de fai­sa­bi­lité. Malgré tout, la fon­da­tion qui gérera à terme la recher­che de finan­ce­ments publics et privés de ce fonds n’a pas encore été créée.

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Des jeunes auto­di­dac­tes se sont plaints de ne pou­voir riva­li­ser, dans les appels à pro­jets, avec des « bao­babs » de l’acabit de Gaston Kaboré ou Cheikh Oumar Sissoko tandis que ces der­niers ont accepté de reve­nir sur les frus­tra­tions de leur car­rière. « Je n’ai pas pu attein­dre mon objec­tif qui était d’un film par an, témoi­gne le réa­li­sa­teur malien de Guimba. » « Lorsque j’ai vu en 1982 le film L’île nue de Kaneto Shindô, je me suis dit que je n’étais pas cinéaste et que j’avais un long chemin à faire, se rap­pelle Gaston Kaboré. »

Bien que la pro­jec­tion de clô­ture du Python royal n’a réuni qu’une dizaine de spec­ta­teurs, c’est sous le cha­pi­teau du site Quintessence qu’a vibré l’amour du 7e art. Lors d’une brillante master classe sous la cha­leur du soleil de midi, les « grands » - comme les appelle Jean Odoutan – ont répondu aux ques­tions de la jeune géné­ra­tion.

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Mama Keïta a pris la parole. Là, devant un public cap­tivé, il a raconté l’his­toire du film Close-up d’Abbas Kiarostami. Pas un bruit dans la salle, seule sa voix qui s’élève et son poing qui se ferme. Sans écran ni images, le voilà qui emporte le public vers un décor ira­nien bien loin du pay­sage béni­nois. Et lors­que le récit s’est arrêté, un ton­nerre d’applau­dis­se­ments a reten­tit. Qui sait si l’audi­toire aura un jour accès à ce film. La magie du cinéma était là. Et on espère qu’elle le sera encore et davan­tage.

Claire Diao
12 jan­vier 2011

1 - Qu’on se ras­sure, le jeune homme est reparti avec un prix du public en guise de conso­la­tion, une men­tion spé­ciale du jury saluant l’ini­tia­tive d’une copro­duc­tion Sud-Sud et une pro­jec­tion de bonne qua­lité à l’Institut Français de Cotonou orga­ni­sée dans le cadre du Ciné-Club Quintessence le samedi 14 jan­vier.

Site du Festival Quintessence de Ouidah (Bénin) www.fes­ti­val-ouidah.org

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