Du Bénin on connaît les réalisateurs Sylvestre Amoussou, Sanvi Panou, Claude Balogun ou Idrissou Mora Kpaï. Un peu moins la situation du cinéma dans ce pays. Malgré la fermeture de l’ensemble des salles de cinéma du territoire, un festival initié par le cinéaste Jean Odoutan résiste dans la ville de Ouidah, ancien port d’embarquement des esclaves en partance pour le Brésil et Haïti.
Retour sur cette 10e édition.
Bordée de plages de sable fin et de cocotiers, la belle ville de Ouidah fêtait du 7 au 11 janvier 2012 les 10 ans du festival Quintessence. Au micro de RFI, le fondateur Jean Odoutan, parfois critiqué tant sa patte est omniprésente (sur les communiqués, les affiches, les cartes postales et même devant les lieux de projections où les affiches de ses films précèdent celles de ses confrères) raconte : « Quand j’ai fait mon premier film Barbecue Pejo, on a voulu le montrer à ceux qui avaient participé à Ouidah […] Les gens étaient à peu près 200 et on leur montrait le film sur un petit écran de télévision. Donc les gens qui étaient très loin, quand ils voyaient quelqu’un à l’écran, ils disaient « Ah, c’est moi ! C’est moi ! ». La vérité c’est que ce n’était pas eux. C’est à partir de ce constat-là que je me suis dit qu’il faudrait que nous montrions des images de chez nous au plus grand nombre, que les gens se voient et qu’on adore nos images telles qu’elles sont. Donc on est passé du petit au grand écran. »
10 films béninois sur 64 en compétition
Si les premières éditions valorisaient en effet les productions locales, la 10e édition en est bien éloignée. Seulement une coproduction béninoise dans la compétition long-métrage (Orillas de l’argentin Pablo César), 5 courts-métrages sur 21 (dont 3 produits par l’Institut Supérieur des Métiers de l’Audiovisuel de Cotonou), 2 sur les 18 documentaires en compétition (la coproduction canadienne Awa O Gbé et Comment l’Afrique finance-t-elle le développement de l’occident), aucun film d’animation sur les 9 sélectionnés et 2 téléfilms sur les 7 qui composaient la nouvelle section « Demain c’est aujourd’hui ».
Selon notre rédactrice Caroline Pochon, membre du jury long-métrage, l’absence de films africains (22 sur 64, films béninois inclus) lui aurait été justifiée par la pauvreté de l’offre et la difficulté à obtenir certains films. Interrogé à ce sujet, le réalisateur Sylvestre Amoussou basé à Paris s’explique : « Un pas en avant a été financé par des gens de Cotonou et une vingtaine de comédiens - dont l’actrice principale - sont béninois. Je me devais donc d’organiser quelque chose au Bénin. Le film sera projeté au Palais des Congrès de Cotonou le 26 janvier prochain en ma présence. »
On regrettera qu’un film comme Indochine sur les traces d’une mère d’Idrissou Mora Kpaï, présenté au dernier Fespaco, ne figure pas dans la sélection et que le court-métrage Le bruit du silence du béninois Atisso Médessou, tourné en France et primé dans plusieurs festivals, ait été placé hors compétition puis retiré de la liste des films projetés durant le festival.
La pléthore de films projetés (entre 20 et 30 par soir dans 5 lieux différents de la ville) interroge elle aussi. Aucune grille de projection claire sur les films en et hors compétition, pas de projection commune par catégorie... Réunissant un large public majoritairement étudiant, les projections se sont parfois déroulées dans des conditions dramatiques – comme celle du film Orillas qui s’est avérée à deux reprises sans son malgré la présence désespérée d’un membre argentin de l’équipe ne parlant pas un mot de français [1] . Alors que 8 films de la Cinémathèque Afrique et 3 films du Jan Vrijman Fund étaient projetés hors compétition, 4 films du partenaire hollandais Hubert Bals Fund figuraient en compétition long-métrage, dont le Python royal du festival, le très beau film turc Pandora’s Box de Yesim Ustaoglu.
Tables rondes et master classes
Réunissant des réalisateurs de la sous-région (Gaston Kaboré, Cheik Oumar Sissoko, Mama Keïta) et des professionnels internationaux (Souad Houssein de l’Organisation Internationale de la Francophonie, Véronique Joo’Aisenberg de l’Institut Français, Martina Malacrida du Festival du Film de Locarno et Catherine Ruelle de Radio France International), le festival a misé son succès sur ses invités de marque.
Et pour cause, si la majorité d’entre eux n’a assisté à aucune projection du fait du programme qui leur était réservé (invitations chez les grands de Ouidah, visite de la ville, soirées et réceptions), la quinte essence de cette 10e édition était indubitablement basée sur la rencontre. Ainsi les master classes animées entre autres par Mama Keïta (scénario), Claude Balogun (jeu d’acteur) ou Catherine Ruelle (journalisme culturel) ont mobilisé avec succès près de 15 élèves motivés.
Deux tables rondes gérées par une équipe dynamique et dévouée du festival ont donné lieu à de riches échanges entre professionnels internationaux et locaux notamment en ce qui concerne les besoins locaux de structuration d’une industrie. Ainsi le fougeux Directeur de la Cinématographie du Bénin, Dorothée Dognon, réclamait au Festival de Locarno d’imposer aux gouvernements africains de financer des compléments aux lauréats du programme Open Doors, tout comme l’ancien directeur Akambi Akala émettait le souhait que son pays cesse d’être absent là où on l’attend (par rapport au Fonds Panafricain de Soutien et de Développement du Cinéma et de l’Audiovisuel initié par la Fepaci). Ce fonds a reçu l’expertise de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) qui a financé une étude de faisabilité. Malgré tout, la fondation qui gérera à terme la recherche de financements publics et privés de ce fonds n’a pas encore été créée.
Des jeunes autodidactes se sont plaints de ne pouvoir rivaliser, dans les appels à projets, avec des « baobabs » de l’acabit de Gaston Kaboré ou Cheikh Oumar Sissoko tandis que ces derniers ont accepté de revenir sur les frustrations de leur carrière. « Je n’ai pas pu atteindre mon objectif qui était d’un film par an, témoigne le réalisateur malien de Guimba. » « Lorsque j’ai vu en 1982 le film L’île nue de Kaneto Shindô, je me suis dit que je n’étais pas cinéaste et que j’avais un long chemin à faire, se rappelle Gaston Kaboré. »
Bien que la projection de clôture du Python royal n’a réuni qu’une dizaine de spectateurs, c’est sous le chapiteau du site Quintessence qu’a vibré l’amour du 7e art. Lors d’une brillante master classe sous la chaleur du soleil de midi, les « grands » - comme les appelle Jean Odoutan – ont répondu aux questions de la jeune génération.
Mama Keïta a pris la parole. Là, devant un public captivé, il a raconté l’histoire du film Close-up d’Abbas Kiarostami. Pas un bruit dans la salle, seule sa voix qui s’élève et son poing qui se ferme. Sans écran ni images, le voilà qui emporte le public vers un décor iranien bien loin du paysage béninois. Et lorsque le récit s’est arrêté, un tonnerre d’applaudissements a retentit. Qui sait si l’auditoire aura un jour accès à ce film. La magie du cinéma était là. Et on espère qu’elle le sera encore et davantage.
Claire Diao
12 janvier 2011
1 - Qu’on se rassure, le jeune homme est reparti avec un prix du public en guise de consolation, une mention spéciale du jury saluant l’initiative d’une coproduction Sud-Sud et une projection de bonne qualité à l’Institut Français de Cotonou organisée dans le cadre du Ciné-Club Quintessence le samedi 14 janvier.
Site du Festival Quintessence de Ouidah (Bénin) www.festival-ouidah.org
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