Il porte le cinéma dans ses veines comme un Tourbillon (1999), interroge L’Afrance (2001) par son métissage et regarde le monde tel une Petite Lumière (2003). Baptisé Alain plutôt qu’Ahmed (2006), ses racines franco-sénégalaises le mènent davantage à Dakar qu’en Andalucia (2007). En compétition à la 62e Berlinale, Alain Gomis nous raconte Aujourd’hui (2012), son dernier long-métrage avec Saul Williams et Aïssa Maïga.
Après des études d’histoire de l’art et de cinéma à l’université, vous avez réalisé votre premier long-métrage, L’Afrance, en 2001. Qu’est ce qui vous a mené au cinéma ?
Alain Gomis : Aucune idée. J’ai toujours beaucoup aimé le cinéma et cela s’est imposé au fur et à mesure du temps. J’ai fait 2, 3 ateliers vidéo en banlieue parisienne dans des municipalités à Nanterre, Bagnolet. Quand j’étais à la Faculté de Paris 1 en cinéma, j’étais en stage aux Films de la Plaine, la société de production d’Idrissa Ouédraogo. J’ai écrit le scénario de L’Afrance pour mon mémoire d’études et je l’ai fait lire à Sophie Salbot qui était adhérente de la société. Elle m’a proposé de le produire. Nous l’avons déposé à l’avance sur recettes du CNC que nous avons obtenu. C’est parti comme ça. Puis faire ce film et les autres a été plus compliqué.
Quelles ont été vos influences cinématographiques ?
Alain Gomis : J’aime beaucoup de genres différents. Je faisais des études de cinéma alors je voyais des films à la télévision, à la Cinémathèque. C’était l’époque des Spike Lee, des Scorsese, Tarkovsky… J’aime le cinéma commercial et le cinéma d’auteur plus pointu. J’ai été marqué par les vieux films français comme ceux de Jean Vigo. Djibril Diop Mambéty a aussi eu une influence importante sur moi. Son cinéma était urbain, onirique… Pour moi c’est un grand cinéaste, bien moins connu qu’il n’aurait dû l’être. Le cinéma a pour moi cette qualité de te faire apprendre des choses sur toi, ton intimité, peu importe d’où il vient. Kurosawa fait d’ailleurs partie de mes grandes découvertes.
Vous vivez entre la France et le Sénégal au rythme scolaire de vos enfants et de vos projets. L’ensemble de votre filmographie est de fait empreinte par la migration. Avec Aujourd’hui, votre personnage rentre mourir au pays. S’agit-il d’une évolution dans vos thématiques ?
Alain Gomis : J’ai petit à petit l’impression de me détacher de cela. En étant éloigné de son pays d’origine ou sans attaches très claires, nous sommes peut-être plus en contact avec nous-mêmes. Il y a des questions simples qui deviennent plus denses, plus prégnantes. Quand nous sommes dans un monde normal, naturel, les choix sont parfois aussi faits à cause de notre entourage. Quand nous sommes séparés, nous faisons le tri entre ce qui nous appartient vraiment et ce qui ne nous appartient pas. Il y a des choix humains qui, d’un point de vue cinématographique, sont forts. Dans Aujourd’hui, la question n’est pas tant du retour, elle est surtout celle d’un conte. Un homme sait que c’est sa dernière journée. La question centrale est plutôt autour de ce qu’est un trajet de vie. Je me détache donc petit à petit des contingences des migrants pour m’intéresser tout simplement au parcours humain.
Pour ce troisième long-métrage, vous avez choisi comme acteur principal le slammeur et acteur américain Saul Williams. Pourquoi ?
Alain Gomis : Pour mon premier film, j’ai écrit le scénario et je me suis posé la grande question : « Qui pourrait incarner ça ? ». Maintenant, j’essaye d’éviter cette situation. Saul Williams est quelqu’un que je suivais, j’écoutais sa musique. Je ne sais pas comment je suis tombé sur une de ses photos mais il avait cette espèce d’aura qui ne s’invente pas dans le jeu. Une espèce de prestance qu’un type silencieux peut avoir au milieu d’une assemblée et qui va au-delà des mots. C’était déjà 50% du rôle. Donc, avoir cette image-là m’aidait pour écrire le scénario. Quand j’étais à Dakar, un de mes amis a déposé les demandes de financements pour le film. Puisqu’il avait fait les dossiers – dans lesquels je disais que j’avais l’accord de Saul Williams - il avait son visage en tête. Une semaine après, en se baladant dans Paris, il a croisé Saul Williams. Il lui a dit que j’avais l’intention de faire un film avec lui, Saul lui a donné ses coordonnées, je l’ai appelé depuis Dakar et cela s’est fait avec une grande simplicité.
Alors que l’Afrique possède un vivier d’actrices, vous avez sélectionné la comédienne française Aïssa Maïga. Qu’est ce qui a motivé ce choix ?
Alain Gomis : : Aïssa Maïga était le personnage tel que je l’imaginais. Elle renvoyait quelque chose qui servait fort au film. J’ai fait un casting et c’était la meilleure. Elle a d’ailleurs des origines moitié maliennes, moitié sénégalaises. J’aime avoir des acteurs de tonalité de jeu et d’univers différents. Un tiers du casting du film est constitué de comédiens amateurs. Je trouve ça bien. Les comédiens leur amènent une structure qui permet la répétition et les non-comédiens amènent une fraîcheur et une énergie qui oblige les professionnels à se renouveler à chaque prise. L’émulation fonctionne vraiment. Le métier d’acteur est difficile, il n’y a pas assez de travail pour tout le monde et il y a plus de femmes actrices que de rôles… J’ai l’impression que tout va de plus en plus vite, le roulement, passer à quelqu’un d’autre, ce truc de découverte permanente : « Alors qu’est ce qu’il y a de neuf ? »…
Le personnage de Satché interprété par Saul Williams est quasiment mutique. Est-ce un choix cinématographique ou une manière de vous adapter à un acteur américain qui ne parle pas wolof ?
Alain Gomis : Les deux. Je voulais que le personnage soit une sorte de masque. Quelqu’un au travers de qui nous vivons l’histoire mais qui soit l’intermédiaire entre le spectateur et le monde dans lequel nous gravitons. Pour moi, le film se fait beaucoup par le spectateur. Il fallait établir une limite entre ce que nous avons besoin de savoir et ce qui gênerait pour être entièrement dedans. Saul Williams permettait cela parce qu’il a, pour moi, une espèce de force qui fait qu’il peut nous être familier. Il connaissait très peu le Sénégal, y avait été une fois. Il a un faciès qui fait que les gens lui parlent en wolof (rires). En même temps, son statut d’étranger et le fait qu’il ne comprenne pas la langue était parfait car il avait tout à coup une distance avec les choses qui était la même distance que celle que le personnage avait naturellement.
© Mabeye Deme
Avec près de 700 000€ de budget et le soutien de financeurs tels que le CNC français, TV5 Monde, l’OIF et l’Hubert Bals Fund (Pays-Bas), le film a été coproduit par deux sociétés françaises (Granit Films et Maïa Films) ainsi qu’une société sénégalaise (Cinékap). Pouvez-vous nous en dire plus ?
Alain Gomis : Le film a été initié par Granit Films, la société que nous avons fondé avec Newton Aduaka [réalisateur nigérian d’Ezra, ndlr]. Nous avons ensuite décidé de nous associer avec Gilles Sandoz (Maïa Films) et Oumar Sall de Cinékap (Sénégal) pour la production sénégalaise. Il y a eu des moments de tension mais nous avions tous très envie du film donc cette association a été une vraie découverte. Par rapport à mes autres tournages, je pense que je me détends au fur et à mesure, j’ai moins peur de me tromper et je prends beaucoup plus de plaisir sur un plateau.
Le tournage s’est étalé sur six semaines. Comment s’est-il déroulé ?
Alain Gomis : Ce tournage a été un vrai plaisir pour nous tous. Il s’est fait avec très peu d’argent, entièrement à l’énergie, à l’envie des gens de travailler ensemble, d’essayer des choses et de s’amuser. Le chef opérateur, la première assistante et le steadicamer étaient français, le reste de l’équipe était sénégalais. Il y a de très bons techniciens au Sénégal. Ce qui est compliqué, c’est qu’il n’y a pas de chef opérateurs et peu d’ingénieurs son. Tout le reste fonctionne bien. Il y a des écoles au Burkina Faso, au Maroc, Mahamat-Saleh Haroun est en train d’en monter une au Tchad et il est possible que nous mettions en place des ateliers à Dakar. Paradoxalement, alors que la situation économique du cinéma en Afrique est réellement compliquée, il y a une réelle volonté de cinéma. Je trouve vraiment encourageant que les gens aient envie quand les choses vont mal et je suis très optimiste. Pour moi, le cinéma doit être nécessaire à celui qui le fait. La puissance et la force africaine sont réelles.
Quelques scènes du film reviennent sur les manifestations qu’il y a eu au Sénégal en 2011 et ont été considérées comme énonciatrices des révoltes actuelles liées aux élections présidentielles. Quel impact ont-elles pour vous ?
Alain Gomis : Il y a quelque chose de commun, que ce soit en Tunisie, en Égypte, en Grèce, en France ou au Sénégal. Les structures font que la situation devient extrêmement difficile pour la majorité de la population. Au Sénégal, l’augmentation des prix est réelle, c’est du 200 à 300% de plus sur les produits de base. Il y a une grande tension socio-politique et aussi un ras-le-bol qui a parfois du mal à trouver une traduction politique. J’ai filmé les manifestations au Sénégal pendant 7 ou 8 mois car je savais que j’allais les intégrer au film. Le Sénégal est un pays vivant. C’est un pays où les gens se lèvent, se battent pour leurs droits. Nous ne pouvons qu’espérer que les dégâts humains ne seront pas trop importants. Le fait qu’il y ait une nouvelle génération qui se prenne en main politiquement et qui essaie de s’associer est une très bonne nouvelle. Tout ça n’est jamais acquis, c’est une lutte de tous les jours.
© Berlinale
Votre film a été présenté en compétition officielle du 62e festival de Berlin. L’Afrique était absente depuis 2009 (London River du franco-algérien Rachid Bouchareb) et 2006 (Beyond Freedom de la sud-africaine Jacquie Trowell). Pourquoi avoir choisi ce festival plutôt que Cannes ou Venise ?
Alain Gomis : C’était d’abord une question de calendrier. Ensuite, c’est un festival qui est ouvert sur le monde, qui reste militant, qui se fait une nouvelle jeunesse et qui a envie de défendre des choses. Pour nous, c’était parfait.
Claire Diao
29 février 2011
Clap Noir
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