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"La qualité du cinéma, c’est d’apprendre des choses sur soi"
Publié le : jeudi 1er mars 2012
Interview d’Alain Gomis, réalisateur d’Aujourd’hui

Il porte le cinéma dans ses veines comme un Tourbillon (1999), interroge L’Afrance (2001) par son métissage et regarde le monde tel une Petite Lumière (2003). Baptisé Alain plutôt qu’Ahmed (2006), ses racines franco-sénégalaises le mènent davantage à Dakar qu’en Andalucia (2007). En compétition à la 62e Berlinale, Alain Gomis nous raconte Aujourd’hui (2012), son dernier long-métrage avec Saul Williams et Aïssa Maïga.

Après des études d’his­toire de l’art et de cinéma à l’uni­ver­sité, vous avez réa­lisé votre pre­mier long-métrage, L’Afrance, en 2001. Qu’est ce qui vous a mené au cinéma ?

Alain Gomis : Aucune idée. J’ai tou­jours beau­coup aimé le cinéma et cela s’est imposé au fur et à mesure du temps. J’ai fait 2, 3 ate­liers vidéo en ban­lieue pari­sienne dans des muni­ci­pa­li­tés à Nanterre, Bagnolet. Quand j’étais à la Faculté de Paris 1 en cinéma, j’étais en stage aux Films de la Plaine, la société de pro­duc­tion d’Idrissa Ouédraogo. J’ai écrit le scé­na­rio de L’Afrance pour mon mémoire d’études et je l’ai fait lire à Sophie Salbot qui était adhé­rente de la société. Elle m’a pro­posé de le pro­duire. Nous l’avons déposé à l’avance sur recet­tes du CNC que nous avons obtenu. C’est parti comme ça. Puis faire ce film et les autres a été plus com­pli­qué.

Quelles ont été vos influen­ces ciné­ma­to­gra­phi­ques ?

Alain Gomis : J’aime beau­coup de genres dif­fé­rents. Je fai­sais des études de cinéma alors je voyais des films à la télé­vi­sion, à la Cinémathèque. C’était l’époque des Spike Lee, des Scorsese, Tarkovsky… J’aime le cinéma com­mer­cial et le cinéma d’auteur plus pointu. J’ai été marqué par les vieux films fran­çais comme ceux de Jean Vigo. Djibril Diop Mambéty a aussi eu une influence impor­tante sur moi. Son cinéma était urbain, oni­ri­que… Pour moi c’est un grand cinéaste, bien moins connu qu’il n’aurait dû l’être. Le cinéma a pour moi cette qua­lité de te faire appren­dre des choses sur toi, ton inti­mité, peu importe d’où il vient. Kurosawa fait d’ailleurs partie de mes gran­des décou­ver­tes.

Vous vivez entre la France et le Sénégal au rythme sco­laire de vos enfants et de vos pro­jets. L’ensem­ble de votre fil­mo­gra­phie est de fait empreinte par la migra­tion. Avec Aujourd’hui, votre per­son­nage rentre mourir au pays. S’agit-il d’une évolution dans vos thé­ma­ti­ques ?

Alain Gomis : J’ai petit à petit l’impres­sion de me déta­cher de cela. En étant éloigné de son pays d’ori­gine ou sans atta­ches très clai­res, nous sommes peut-être plus en contact avec nous-mêmes. Il y a des ques­tions sim­ples qui devien­nent plus denses, plus pré­gnan­tes. Quand nous sommes dans un monde normal, natu­rel, les choix sont par­fois aussi faits à cause de notre entou­rage. Quand nous sommes sépa­rés, nous fai­sons le tri entre ce qui nous appar­tient vrai­ment et ce qui ne nous appar­tient pas. Il y a des choix humains qui, d’un point de vue ciné­ma­to­gra­phi­que, sont forts. Dans Aujourd’hui, la ques­tion n’est pas tant du retour, elle est sur­tout celle d’un conte. Un homme sait que c’est sa der­nière jour­née. La ques­tion cen­trale est plutôt autour de ce qu’est un trajet de vie. Je me déta­che donc petit à petit des contin­gen­ces des migrants pour m’inté­res­ser tout sim­ple­ment au par­cours humain.

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Pour ce troi­sième long-métrage, vous avez choisi comme acteur prin­ci­pal le slam­meur et acteur amé­ri­cain Saul Williams. Pourquoi ?

Alain Gomis : Pour mon pre­mier film, j’ai écrit le scé­na­rio et je me suis posé la grande ques­tion : « Qui pour­rait incar­ner ça ? ». Maintenant, j’essaye d’éviter cette situa­tion. Saul Williams est quelqu’un que je sui­vais, j’écoutais sa musi­que. Je ne sais pas com­ment je suis tombé sur une de ses photos mais il avait cette espèce d’aura qui ne s’invente pas dans le jeu. Une espèce de pres­tance qu’un type silen­cieux peut avoir au milieu d’une assem­blée et qui va au-delà des mots. C’était déjà 50% du rôle. Donc, avoir cette image-là m’aidait pour écrire le scé­na­rio. Quand j’étais à Dakar, un de mes amis a déposé les deman­des de finan­ce­ments pour le film. Puisqu’il avait fait les dos­siers – dans les­quels je disais que j’avais l’accord de Saul Williams - il avait son visage en tête. Une semaine après, en se bala­dant dans Paris, il a croisé Saul Williams. Il lui a dit que j’avais l’inten­tion de faire un film avec lui, Saul lui a donné ses coor­don­nées, je l’ai appelé depuis Dakar et cela s’est fait avec une grande sim­pli­cité.

Alors que l’Afrique pos­sède un vivier d’actri­ces, vous avez sélec­tionné la comé­dienne fran­çaise Aïssa Maïga. Qu’est ce qui a motivé ce choix ?

Alain Gomis : : Aïssa Maïga était le per­son­nage tel que je l’ima­gi­nais. Elle ren­voyait quel­que chose qui ser­vait fort au film. J’ai fait un cas­ting et c’était la meilleure. Elle a d’ailleurs des ori­gi­nes moitié malien­nes, moitié séné­ga­lai­ses. J’aime avoir des acteurs de tona­lité de jeu et d’uni­vers dif­fé­rents. Un tiers du cas­ting du film est cons­ti­tué de comé­diens ama­teurs. Je trouve ça bien. Les comé­diens leur amè­nent une struc­ture qui permet la répé­ti­tion et les non-comé­diens amè­nent une fraî­cheur et une énergie qui oblige les pro­fes­sion­nels à se renou­ve­ler à chaque prise. L’émulation fonc­tionne vrai­ment. Le métier d’acteur est dif­fi­cile, il n’y a pas assez de tra­vail pour tout le monde et il y a plus de femmes actri­ces que de rôles… J’ai l’impres­sion que tout va de plus en plus vite, le rou­le­ment, passer à quelqu’un d’autre, ce truc de décou­verte per­ma­nente : « Alors qu’est ce qu’il y a de neuf ? »…

Le per­son­nage de Satché inter­prété par Saul Williams est qua­si­ment muti­que. Est-ce un choix ciné­ma­to­gra­phi­que ou une manière de vous adap­ter à un acteur amé­ri­cain qui ne parle pas wolof ?

Alain Gomis : Les deux. Je vou­lais que le per­son­nage soit une sorte de masque. Quelqu’un au tra­vers de qui nous vivons l’his­toire mais qui soit l’inter­mé­diaire entre le spec­ta­teur et le monde dans lequel nous gra­vi­tons. Pour moi, le film se fait beau­coup par le spec­ta­teur. Il fal­lait établir une limite entre ce que nous avons besoin de savoir et ce qui gêne­rait pour être entiè­re­ment dedans. Saul Williams per­met­tait cela parce qu’il a, pour moi, une espèce de force qui fait qu’il peut nous être fami­lier. Il connais­sait très peu le Sénégal, y avait été une fois. Il a un faciès qui fait que les gens lui par­lent en wolof (rires). En même temps, son statut d’étranger et le fait qu’il ne com­prenne pas la langue était par­fait car il avait tout à coup une dis­tance avec les choses qui était la même dis­tance que celle que le per­son­nage avait natu­rel­le­ment.

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© Mabeye Deme

Avec près de 700 000€ de budget et le sou­tien de finan­ceurs tels que le CNC fran­çais, TV5 Monde, l’OIF et l’Hubert Bals Fund (Pays-Bas), le film a été copro­duit par deux socié­tés fran­çai­ses (Granit Films et Maïa Films) ainsi qu’une société séné­ga­laise (Cinékap). Pouvez-vous nous en dire plus ?

Alain Gomis : Le film a été initié par Granit Films, la société que nous avons fondé avec Newton Aduaka [réa­li­sa­teur nigé­rian d’Ezra, ndlr]. Nous avons ensuite décidé de nous asso­cier avec Gilles Sandoz (Maïa Films) et Oumar Sall de Cinékap (Sénégal) pour la pro­duc­tion séné­ga­laise. Il y a eu des moments de ten­sion mais nous avions tous très envie du film donc cette asso­cia­tion a été une vraie décou­verte. Par rap­port à mes autres tour­na­ges, je pense que je me détends au fur et à mesure, j’ai moins peur de me trom­per et je prends beau­coup plus de plai­sir sur un pla­teau.

Le tour­nage s’est étalé sur six semai­nes. Comment s’est-il déroulé ?

Alain Gomis : Ce tour­nage a été un vrai plai­sir pour nous tous. Il s’est fait avec très peu d’argent, entiè­re­ment à l’énergie, à l’envie des gens de tra­vailler ensem­ble, d’essayer des choses et de s’amuser. Le chef opé­ra­teur, la pre­mière assis­tante et le stea­di­ca­mer étaient fran­çais, le reste de l’équipe était séné­ga­lais. Il y a de très bons tech­ni­ciens au Sénégal. Ce qui est com­pli­qué, c’est qu’il n’y a pas de chef opé­ra­teurs et peu d’ingé­nieurs son. Tout le reste fonc­tionne bien. Il y a des écoles au Burkina Faso, au Maroc, Mahamat-Saleh Haroun est en train d’en monter une au Tchad et il est pos­si­ble que nous met­tions en place des ate­liers à Dakar. Paradoxalement, alors que la situa­tion économique du cinéma en Afrique est réel­le­ment com­pli­quée, il y a une réelle volonté de cinéma. Je trouve vrai­ment encou­ra­geant que les gens aient envie quand les choses vont mal et je suis très opti­miste. Pour moi, le cinéma doit être néces­saire à celui qui le fait. La puis­sance et la force afri­caine sont réel­les.

Quelques scènes du film revien­nent sur les mani­fes­ta­tions qu’il y a eu au Sénégal en 2011 et ont été consi­dé­rées comme énonciatrices des révol­tes actuel­les liées aux élections pré­si­den­tiel­les. Quel impact ont-elles pour vous ?

Alain Gomis : Il y a quel­que chose de commun, que ce soit en Tunisie, en Égypte, en Grèce, en France ou au Sénégal. Les struc­tu­res font que la situa­tion devient extrê­me­ment dif­fi­cile pour la majo­rité de la popu­la­tion. Au Sénégal, l’aug­men­ta­tion des prix est réelle, c’est du 200 à 300% de plus sur les pro­duits de base. Il y a une grande ten­sion socio-poli­ti­que et aussi un ras-le-bol qui a par­fois du mal à trou­ver une tra­duc­tion poli­ti­que. J’ai filmé les mani­fes­ta­tions au Sénégal pen­dant 7 ou 8 mois car je savais que j’allais les inté­grer au film. Le Sénégal est un pays vivant. C’est un pays où les gens se lèvent, se bat­tent pour leurs droits. Nous ne pou­vons qu’espé­rer que les dégâts humains ne seront pas trop impor­tants. Le fait qu’il y ait une nou­velle géné­ra­tion qui se prenne en main poli­ti­que­ment et qui essaie de s’asso­cier est une très bonne nou­velle. Tout ça n’est jamais acquis, c’est une lutte de tous les jours.

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© Berlinale

Votre film a été pré­senté en com­pé­ti­tion offi­cielle du 62e fes­ti­val de Berlin. L’Afrique était absente depuis 2009 (London River du franco-algé­rien Rachid Bouchareb) et 2006 (Beyond Freedom de la sud-afri­caine Jacquie Trowell). Pourquoi avoir choisi ce fes­ti­val plutôt que Cannes ou Venise ?

Alain Gomis : C’était d’abord une ques­tion de calen­drier. Ensuite, c’est un fes­ti­val qui est ouvert sur le monde, qui reste mili­tant, qui se fait une nou­velle jeu­nesse et qui a envie de défen­dre des choses. Pour nous, c’était par­fait.

Claire Diao
29 février 2011

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