Le samedi 26 février, après la cérémonie d’ouverture au Stade du 04 Août, les cinéphiles se sont retrouvés dans les salles de Ouaga pour rendre un hommage mérité aux cinéastes disparus. Les festivaliers ont pu apprécier les films de Tahar Cheriaa, Sotigui Kouyaté, Désiré Ecaré et d’autres réalisateurs. Pour participer aux hommages, nous vous proposons une interview inédite de Mahama Jonhson Traoré. Cette interview, il nous l’a accordé, il y a deux ans à Paris, lors de sa maladie.
Mahama Johnson Traoré est né en 1942 à Dakar. Il a réalisé dix longs métrages, fictions et documentaires, le premier en 1969 ("Diankhan bi", puis "Diègue bi" (1970) qui connurent un succès immédiat au Sénégal, puis des films engagés dans les années soixante-dix : "Lambaye", "Reou Thake" (1972), "Njaangan" (1975). Il a ensuite réalisé des documentaires, dont "la médecine traditionnelle" (1982). Il a été pendant de nombreuses années secrétaire général de la Fepaci (Fédération des cinéastes africains) créée en 1969. Mahama Johnson Traoré nous parle des enjeux du scénario.
Quand la prise de conscience de l’enjeu du scénario s’est-elle imposée pour les cinéastes africains ?
La question du scénario a toujours compté pour nous, cinéastes africains. Cela a toujours été le point faible de notre cinématographie. Dans les années soixante-dix, quand nous nous sommes lancés dans le cinéma, la question du scénario ne se posait même pas. Personne n’avait la formation de scénariste. Certains cinéastes ont fait appel à des écrivains. Mais être écrivain est autre chose qu’être scénariste !... Puis, à la fin des années soixante-dix, nos bailleurs de fonds nous ont dit : "le sujet est très bon, mais l’écriture est faible". -Et nous nous le disions nous-même, d’ailleurs -. Ils nous ont alors encouragé à travailler - ou à retravailler - avec des scénaristes français. Beaucoup de scénarios de films africains ont donc été réécrits par des scénaristes occidentaux. Ces scénaristes nous ont apporté une autre approche, une autre vision. Cela a donné des films qui se passaient au village, des films "calebasse", dans les années quatre-vingt. Or, le village africain n’est jamais aussi pauvre que ce que montrent ces films ! Un réalisateur qui veut faire passer une idée a besoin d’un scénariste pour la monter en puissance. Mais les idées ! et l’idéologie ! On a longtemps imposé aux cinéastes africains une idéologie, sous couvert d’un apport technique. C’est pourquoi je pense qu’il faut des scénaristes africains qui aient une base culturelle africaine, des références africaines, pour faire passer le message de l’Afrique. On ne peut pas demander à un Papou ou à un Soviétique de raconter une histoire africaine !
Vous n’avez pas travaillé avec des scénaristes français, mais deux de vos films ont été écrits en collaboration.
J’ai travaillé avec des intellectuels africains. Paté Diagne pour "Reou Thake" ("la ville en dur") et le dramaturge Sharif Adrame Seck pour "Njangaan" ("les talibés"). Je me suis rendu compte qu’en me dégageant du travail de l’écriture, j’abordais mon travail de réalisation avec davantage de sérénité. Tout faire, c’est trop lourd pour moi tout seul. L’apport d’un scénariste a donc été positif pour moi. Il est impossible à un seul homme, aussi chef d’orchestre soit-il, de tout faire. Et puis, le cinéma est un travail d’équipe et la première partition de cette équipe, c’est le scénario.
Comment fait-on, quand on ne peut pas se payer un scénariste ?
Aujourd’hui, pour la plupart des cinéastes africains, le financement de l’écriture reste un problème. Je ne vais pas forcément travailler avec un scénariste professionnel, je vais me faire aider par un réalisateur qui a des dispositions pour l’écriture. Il y en a deux ou trois dans le métier, on les connaît. Certains cinéastes africains écrivent de bons scénarios. Cheikh Fantamady Camara ("Il va pleuvoir sur Conakry"), Mama Keita ("L’absence"), Balufu Bakupa Kanyinda ("Le damier") sont des gens qui écrivent seuls, ce sont de véritables auteurs-réalisateurs. Et ils s’entraident. Mama Keita a aidé récemment Mariette Montpierre. Mahamat Saleh Haroun a collaboré à l’écriture avec Isabelle Boni-Claverie ("Sexe, gombo et beurre salé"). Cette notion d’entraide est très importante. Car qui accepte de travailler gratuitement, comme on dit !
Caroline Pochon
Clap Noir
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