Quel film nigérian a été en 2011 5 semaines à l’affiche en Grande-Bretagne, reçu 17 prix internationaux, bénéficié de 2 reportages sur CNN et été consacré 3e film le plus rentable de l’histoire du cinéma nigérian ? Réponse : The Mirror Boy, long-métrage tourné à Londres et en Gambie en 2010. Son généreux réalisateur Obi Emelonye, revient pour nous sur sa fantastique expérience.
Il a le visage sage d’un réalisateur serein à qui les portes se sont ouvertes. Ancien footballeur ayant grandi au Nigéria, avocat diplômé du barreau de Londres en 2003 – l’année de son premier long-métrage, Echoes of War - Obi Emelonye est devenu réalisateur par la force des choses.
Parcours
Pour cet admirateur de Steven Spielberg, James Cameron, Christopher Nolan et Sembène Ousmane (« C’est notre père à tous, il est le premier à s’être dressé face aux colonisateurs, je lui tire mon chapeau »), le cinéma s’est d’abord fait en parallèle de sa carrière d’avocat. « J’ai une femme, des enfants. A un moment donné, tu choisis de faire le métier qui leur donnera le niveau de vie que tu souhaites. Mais en 2007, ce n’était plus possible. J’ai arrêté le droit pour me consacrer pleinement au cinéma ».
Ses compétences de cinéaste, il ne les revendique d’aucune école. « Je ne suis pas comme les cinéastes d’Afrique francophone qui sont surentraînés et très qualifiés. J’ai beaucoup appris avec mes films en occupant un peu tous les postes. C’est comme ça que j’arrive à diriger ceux qui travaillent avec moi, parce que je sais à quoi correspond leur travail. »
Financements
Pour financer ses films, pas de guichets occidentaux « J’ai passé six ans sur The Mirror Boy. J’ai écrit le scénario en 2005 puis il y a eu beaucoup de va-et-vient entre le UK Film Council et moi... jusqu’à ce que je devienne très frustré et qu’ils rejettent finalement le projet. Si j’avais été, en France, le même réalisateur que je suis en Angleterre, j’aurai sûrement été à une meilleure place. Le soutien qui vous portez au cinéma, je ne l’ai vu nulle part ailleurs. »
Crédit : Antonio Sanchez
Tournage
The Mirror Boy est pourtant né sous une bonne étoile. Au moment de la préparation, Fatima Jjabe, l’une des actrices, parle du projet au président gambien Yahya Jammeh. Celui-ci propose que le projet se fasse dans son pays. Lorsqu’Obi lui présente une liste de requêtes, il accepte tout. Pendant deux semaines, l’équipe sera logée en hôtel 5 étoiles, des véhicules et les lieux de tournage leur seront mis à disposition. Un privilège dont Mark Taylor, producteur anglais basé en Gambie, n’a jamais bénéficié : « Peut-être parce qu’il est Africain et que je suis Blanc ? »
En contrepartie, Obi Emelonye a été généreux : hormis les trois acteurs principaux (Geneviève Nnaji, Osita Iheme et Edward Kagutuzi), tous étaient gambiens. « Dans la scène où il y avait deux sœurs, j’en ai même rajouté six pour faire jouer plus de gens ! » raconte-t-il en riant. « J’ai bénéficié des meilleures conditions de tournage rêvées. Et je n’ai pas eu à réécrire le scénario, j’ai juste changé les noms et la langue locale. Au Nigéria, ce n’est pas le gouvernement qui soutient le cinéma, ce sont les entrepreneurs. Si tu es bon, on te donnera tout, si tu te plantes, tu n’auras plus rien. »
Nollywood vs Francowood
Sa vision de Nollywood est d’ailleurs très tranchée : « Le cinéma nigérian a démarré par un cinéma de businessman. Ce ne sont pas des cinéastes qui ont décidé de faire autrement des films, ce sont des entrepreneurs qui se sont dit qu’ils allaient se faire de l’argent avec des films. C’est pour cela qu’en général, les films de Nollywood sont de mauvaise qualité. Mais il y a une nouvelle génération de cinéastes qui prônent la qualité et je me considère dans cette mouvance-là ».
Pour autant, Obi Emelonye n’envie pas le cinéma « élitiste » de l’Afrique francophone. « Nous aspirons à être aussi bons qu’eux car ils font des films de très bonne qualité. Mais là où Nollywood triomphe des films d’Afrique francophone c’est par sa popularité. Les films d’Afrique francophone sont plus ou moins élitistes. Peut-être parce que les réalisateurs font eux-même partie d’une élite. Les financements occidentaux ont une forte influence sur les scénarii des films alors qu’au Nigéria, nous faisons les films de la manière que nous voulons. Le jour où les réalisateurs s’affranchiront de cette emprise et que les financeurs leur donneront carte blanche, leurs films seront encore plus populaires et domineront Nollywood ».
Box-office
Le 24 février 2011, The Mirror Boy a été présenté à l’Empire Leicester Square de Londres. Il a fait salle pleine. « Les directeurs d’Odeon [chaîne de salles britannique] ont été choqués. Ils ne pensaient pas qu’un film africain puisse ramener autant de public. » Premier film africain à être distribué dans le réseau Odéon, il atteint la 5e place du box-office lors de sa première semaine d’exploitation. Après 5 semaines à l’affiche [Avatar est resté 4 semaines] et 100 millions de dollars de recettes en Grande-Bretagne, un autre film américo-nigérian a été distribué tout comme Viva Riva du congolais Djo Tunda Wa Munga, sorti trois semaines après The Mirror Boy. « C’était comme une saison africaine dans les cinémas anglais ! Il faut maintenant que l’Afrique, francophone ou anglophone, ait une case dans la programmation britannique au même titre que le cinéma indien ou asiatique ».
Geneviève Nnaji (DR)
Marketing
Le succès de Mirror Boy, Obi Emelonye le doit à son casting (l’actrice Geneviève Nnaji est considérée comme la Julia Roberts du cinéma africain selon la présentatrice américaine Oprah Winfrey ; le jeune Edward Kagutuzi a obtenu le prix du meilleur jeune acteur aux derniers African Movie Academy Awards) mais surtout à son travail de relations publiques et de campagne publicitaire. « Nous avons utilisé Internet à son maximum, Facebook, Skype... Les magazines, les flyers, même les bateaux à Londres ! Les gens voyaient ça et se disaient : C’est un film nigérian. Ces gens sont sérieux ! Allons voir ce qu’ils font. » Puis le bouche à oreille a pris de l’ampleur, des familles entières sont venues voir le film et ont conseillé à d’autres familles d’y aller à leur tour. « Quand je dis que c’est une opportunité unique pour le cinéma africain d’être commercialisé, c’est parce que nous devons montrer que nous sommes nombreux. Si 10% de la communauté noire du Royaume-Uni va voir le film, celui-ci sera numéro 1 ! »
Valorisant davantage le fait qu’un film africain soit programmé plutôt qu’un film d’Obi Emelonye était l’argument premier du réalisateur. « Si le film ne marche pas, nos enfants qui voudront faire des films se battront pour continuer de frapper à la porte. Mais si le film marche, cette porte restera ouverte et ils pourront montrer leur talent et gagner leur vie grâce à ça. »
Obi Emelonye est un homme généreux. Un réalisateur qui voit grand et qui souhaite que les portes s’ouvrent à tous. Pour son prochain long-métrage dont le tournage démarrera le 20 novembre 2011 au Nigéria avec Omotola Jalade et Hakeem Kae-Kasim (Hôtel Rwanda), The last flight to Abuja, il s’est donné les moyens d’acheter un avion. « Ce sera une première de l’histoire du cinéma nigérian », nous dit-il avec assurance. Nous n’en doutons pas. Car si Obi regarde dans son miroir, c’est de l’or en barre qu’il verra scintiller.
Claire Diao
Clap Noir
Association Clap Noir
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