Oliver Hermanus, Afrique du Sud, 98’
Production : France, Allemagne
Récompensé par la Queer Palm 2011, qui distingue une œuvre pour sa contribution aux questions de sexualités et de genres.
Ce n’est pas le Pasolini de Salo. Pas le Visconti de Mort à Venise. Pas non plus le Happiness de Todd Solonz ni encore le Fassbinder de L’année des 13 lunes. Pas le Chéreau d’Intimité. Pas le Kubrick de Lolita. Mais bien plus que les dérangeurs établis et habitués de Cannes, de Lars Von Triers (en pleine perte de boule cette année à en juger par son film aussi bien que par les propos tenus publiquement) à Almodovar, c’est peut-être le film le plus subversif que l’on a pu voir sur la croisette cette année que Skoonheid.
Skoonheid dérange parce qu’il raconte l’histoire d’un homme, père de famille rangé d’une quarantaine d’années qui vit son homosexualité, sur un continent où l’homosexualité, bien sûr, n’existe pas et où lorsqu’elle surgit, elle peut être punie de mort.
Skoonheid dérange parce qu’il filme un point de vue. Celui de cet homme qui désire, et même qui tombe amoureux. Il n’y a pas de jugement, et d’ailleurs, le film s’appelle La beauté parce que quoi qu’il arrive, c’est vrai que ce jeune homme aux yeux bleus est beau, surtout dans le regard de quelqu’un qui le trouve beau. La magie de cette subjectivité est servie par une réalisation élégante et rigoureuse, très juste. La caméra bouge quand elle doit bouger mais reste en plan séquence quand elle le doit aussi, comme lors de cette longue conversation au lit que le héros a avec son épouse au moment du coucher. Les comédiens sont filmés avec grâce, la caméra traque la vérité intime des sentiments sur les visages, il n’y a jamais de bons ni de méchants. Juste le désir.
Skoonheid dérange aussi parce qu’il mêle dans la vie de cet homme dont nous découvrons la complexité et le mensonge, le sexe brutal à la romance. Le voyeurisme devient le seul moyen de vivre ce désir interdit et le film nous y entraîne, voyage en voyeurisme gay et sentimental. Et on se trouble, le son disparaît et on regarde un cil, une nuque (beaucoup de nuques filmées, dans ce film), le rayonnement d’un sourire. Le film assume tout cela avec puissance et fermeté, il va jusqu’au bout de la violence (le viol) et de la crudité. Il montre aussi cependant la blessure intime, l’amour impossible, l’envie face à ceux qui, plus jeunes, plus libres, prennent le droit de s’aimer sans complexes.
C’est un très beau portrait, c’est une belle réflexion sur l’amour et les liens, entre sexualité violente et sentiments purs, sans parler d’un quotidien où l’on s’englue, où l’on tait ce que l’on ressent, où l’on anesthésie sa vitalité. Il est autant le Humbert Humbert de Lolita que l’écrivain mourant joué par Dirk Bogarde dans Mort à Venise de Pasolini, cet homme interprété par Déon Lotz. Cela laisse penser que le cinéma sud-africain se porte à merveille, pour produire de petits bijoux de subversion pareils. Espérons que le film et son réalisateur ne seront pas lynchés par ce milieu que le film justement dépeint. Celui d’une Afrique du Sud afrikaneer bourrue, encore de fait prise dans des liens d’apartheid et où l’homophobie reste semble-t-il importante. Que faire lorsque l’on est différent ?
Caroline Pochon
Clap Noir
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