Au programme du festival, une séance exceptionnelle en présence de Souleymane Cissé et Alain Sembene. Le premier vient présenter son film inédit O’Sembene, précédé de la projection de Borom Sarret, premier film tourné en Afrique par Ousmane Sembene en 1963. Alain Sembène, le fils est présent.
Hélas ! Le film de Cissé n’est pas prêt. A la place, c’est La Noire de... qui sera projeté et les spectateurs, revenus de leur première déception, se retrouveront plongés dans l’émerveillement toujours renouvelé procuré par ces deux films.
Le lendemain, et bien qu’il se refuse à en dire plus, Souleymane Cissé, finira, dans une pirouette, par déclarer au cours d’une rencontre publique qu’il suffirait qu’on lui trouve l’argent pour le terminer...
Alain a rencontré souvent Souleymane Cissé à Yoff, qui était un ami et avait 20 ans de moins que son père. Il est venu à Apt curieux et ému de découvrir le film de Souleymane, dont les premières images ont été tournées pendant les obsèques de Sembene à Dakar. Mais le film n’est pas terminé.
Borom Sarret et de La Noire de...
Alain Sembene : « c’est toujours émouvant de retrouver 50 ans après, mon jeune père, ses amis et les membres de la famille qui jouent dans ses films, beaucoup ont disparu ». Ces films sont fondamentaux et principalement Borom Sarett, dans lequel on retrouve tous les thèmes de l’œuvre de mon père :
La religion : dès le premier plan, on voit l’homme prier et remettre ses gris gris. Ce plan annonce Ceddo . Sembene va s’attaquer à la religion : le rouleau compresseur des religions monothéistes, venues d’Europe et du monde arabe, a déstructuré l’Afrique en niant l’animisme.
L’armée coloniale, la guerre : la scène où le conducteur de charrette tend ses papiers et qu’il en tombe la croix de guerre....Ce passage annonce le Camp de Thiaroye, la participation non reconnue des africains à la guerre.
La corruption du système : le policier lui vole sa médaille,lui prend sa charrette, etc...
La naïveté et la faiblesse des petites gens en face de la rouerie des plus puissants qu’eux.
Le rôle primordial des femmes : quand à la fin, le charretier rentre bredouille et que la femme lui confie les enfants en disant « ce soir nous mangerons ». Face aux hommes qui ne sont pas fiables, Sembene a toujours salué le combat des femmes jusqu’à son dernier film Mooladé.
Alain et son père
Né à Marseille, en 57, de mère française, lorsque son père y était docker. En 1966, il a 9 ans quand son père le prend avec lui à Dakar. Premier contact avec son père et l’Afrique. ( Il a deux demi-frères de 15 et 30 ans de moins que lui, et ils vivent éloignés les uns des autres. )
Quand il arrive à Dakar son père a déjà réalisé Borom Sarret , c ’est déjà une star. Ce qui donne au jeune écolier un statut particulier dont il se serait bien passé. À la maison il voit son père travailler d’arrache pied, écrire, lire et relire ses scénarios. Autoritaire, exigeant, au caractère trempé. Ousmane était quelqu’un de fort, qui n’a jamais compté que sur lui même.
« Il avait une vision idéaliste et romantique de la vie que lui avait donné le communisme, il n’était pas fataliste : on était responsable de notre destin. Ses valeurs : le travail, l’indépendance d’esprit, l’esprit critique, et une grande méfiance vis à vis des croyances. Doté d’une grande ouverture d’esprit accompagnée d’une forte conscience de sa personnalité, il a pris des positions courageuses et on craignait son franc parler. Il pouvait être dur. Sur le plan politique, il avait définitivement décidé qu’il n’y avait rien à attendre de l’Europe et s’est toujours débrouillé pour faire ses films sans l’aide de producteurs qui lui auraient coupé les ailes ».
Le père discutait de son travail en famille : « Quand il écrivait le scénario de Ceddo, il nous tenait chaque soir au courant de l’avancement, la fin nous a valu pas mal de discussions jusqu’à ce que l’un de nous trouve la solution, nous ... » Alain, baigné dans cette ambiance, mêlé aux tournages, adopté par l’équipe des techniciens, avait la permission de jouer dans les films quand il avait de bonnes notes à l’école, comme dans le Mandat.
Toutefois, le fils se sent écrasé. Après le bac, il décide d’aller faire ses études ailleurs. Son père lui décroche alors une formation à Moscou. Il y restera 6 ans avant de partir aux Etats-Unis faire son master. Il est ingénieur en génie civil et a travaillé dans de nombreux pays. Actuellement il vit et travaille à Paris. C’est un citoyen du monde, parle plusieurs langues et veille sur l’oeuvre de son père.
L’héritage de Sembène ?
Alain Sembène est féru de cinéma et de littérature, tendance psychologie et ésotérisme . Ses films préférés ? Yeelen de Souleymane Cissé et Touki Bouki de Djibril Diop Mambety . Il ne voit pas d’héritiers à son père, ni dans le fond ni dans la forme « C’était une autre époque » dit-il.
Cet homme réservé aurait beaucoup à dire, l’écriture le tente, mais, pour le moment, il n’est pas encore prêt. Il faut du temps pour sortir de l’ombre d’un grand arbre...
Michèle Solle
Crédit photo Souleymane Cisse et Alain Sembène : FCAPA
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