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Rencontre avec Alain Sembene
Publié le : jeudi 5 décembre 2013
11ème Festival des cinémas d’Afrique du Pays d’Apt

Au pro­gramme du fes­ti­val, une séance excep­tion­nelle en pré­sence de Souleymane Cissé et Alain Sembene. Le pre­mier vient pré­sen­ter son film inédit O’Sembene, pré­cédé de la pro­jec­tion de Borom Sarret, pre­mier film tourné en Afrique par Ousmane Sembene en 1963. Alain Sembène, le fils est pré­sent.
Hélas ! Le film de Cissé n’est pas prêt. A la place, c’est La Noire de... qui sera pro­jeté et les spec­ta­teurs, reve­nus de leur pre­mière décep­tion, se retrou­ve­ront plon­gés dans l’émerveillement tou­jours renou­velé pro­curé par ces deux films.
Le len­de­main, et bien qu’il se refuse à en dire plus, Souleymane Cissé, finira, dans une pirouette, par décla­rer au cours d’une ren­contre publi­que qu’il suf­fi­rait qu’on lui trouve l’argent pour le ter­mi­ner...

Alain a ren­contré sou­vent Souleymane Cissé à Yoff, qui était un ami et avait 20 ans de moins que son père. Il est venu à Apt curieux et ému de décou­vrir le film de Souleymane, dont les pre­miè­res images ont été tour­nées pen­dant les obsè­ques de Sembene à Dakar. Mais le film n’est pas ter­miné.

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Alain Sembene et Souleymane Cisse © CN
Apt 2013

Borom Sarret et de La Noire de...

Alain Sembene : « c’est tou­jours émouvant de retrou­ver 50 ans après, mon jeune père, ses amis et les mem­bres de la famille qui jouent dans ses films, beau­coup ont dis­paru ». Ces films sont fon­da­men­taux et prin­ci­pa­le­ment Borom Sarett, dans lequel on retrouve tous les thèmes de l’œuvre de mon père :

La reli­gion : dès le pre­mier plan, on voit l’homme prier et remet­tre ses gris gris. Ce plan annonce Ceddo . Sembene va s’atta­quer à la reli­gion : le rou­leau com­pres­seur des reli­gions mono­théis­tes, venues d’Europe et du monde arabe, a déstruc­turé l’Afrique en niant l’ani­misme.

L’armée colo­niale, la guerre : la scène où le conduc­teur de char­rette tend ses papiers et qu’il en tombe la croix de guerre....Ce pas­sage annonce le Camp de Thiaroye, la par­ti­ci­pa­tion non reconnue des afri­cains à la guerre.

La cor­rup­tion du sys­tème : le poli­cier lui vole sa médaille,lui prend sa char­rette, etc...

La naï­veté et la fai­blesse des peti­tes gens en face de la roue­rie des plus puis­sants qu’eux.

Le rôle pri­mor­dial des femmes : quand à la fin, le char­re­tier rentre bre­douille et que la femme lui confie les enfants en disant « ce soir nous man­ge­rons ». Face aux hommes qui ne sont pas fia­bles, Sembene a tou­jours salué le combat des femmes jusqu’à son der­nier film Mooladé.

Alain et son père

Né à Marseille, en 57, de mère fran­çaise, lors­que son père y était docker. En 1966, il a 9 ans quand son père le prend avec lui à Dakar. Premier contact avec son père et l’Afrique. ( Il a deux demi-frères de 15 et 30 ans de moins que lui, et ils vivent éloignés les uns des autres. )
Quand il arrive à Dakar son père a déjà réa­lisé Borom Sarret , c ’est déjà une star. Ce qui donne au jeune écolier un statut par­ti­cu­lier dont il se serait bien passé. À la maison il voit son père tra­vailler d’arra­che pied, écrire, lire et relire ses scé­na­rios. Autoritaire, exi­geant, au carac­tère trempé. Ousmane était quelqu’un de fort, qui n’a jamais compté que sur lui même.
« Il avait une vision idéa­liste et roman­ti­que de la vie que lui avait donné le com­mu­nisme, il n’était pas fata­liste : on était res­pon­sa­ble de notre destin. Ses valeurs : le tra­vail, l’indé­pen­dance d’esprit, l’esprit cri­ti­que, et une grande méfiance vis à vis des croyan­ces. Doté d’une grande ouver­ture d’esprit accom­pa­gnée d’une forte cons­cience de sa per­son­na­lité, il a pris des posi­tions cou­ra­geu­ses et on crai­gnait son franc parler. Il pou­vait être dur. Sur le plan poli­ti­que, il avait défi­ni­ti­ve­ment décidé qu’il n’y avait rien à atten­dre de l’Europe et s’est tou­jours débrouillé pour faire ses films sans l’aide de pro­duc­teurs qui lui auraient coupé les ailes ».
Le père dis­cu­tait de son tra­vail en famille : « Quand il écrivait le scé­na­rio de Ceddo, il nous tenait chaque soir au cou­rant de l’avan­ce­ment, la fin nous a valu pas mal de dis­cus­sions jusqu’à ce que l’un de nous trouve la solu­tion, nous ... » Alain, baigné dans cette ambiance, mêlé aux tour­na­ges, adopté par l’équipe des tech­ni­ciens, avait la per­mis­sion de jouer dans les films quand il avait de bonnes notes à l’école, comme dans le Mandat.
Toutefois, le fils se sent écrasé. Après le bac, il décide d’aller faire ses études ailleurs. Son père lui décro­che alors une for­ma­tion à Moscou. Il y res­tera 6 ans avant de partir aux Etats-Unis faire son master. Il est ingé­nieur en génie civil et a tra­vaillé dans de nom­breux pays. Actuellement il vit et tra­vaille à Paris. C’est un citoyen du monde, parle plu­sieurs lan­gues et veille sur l’oeuvre de son père.

L’héri­tage de Sembène ?

Alain Sembène est féru de cinéma et de lit­té­ra­ture, ten­dance psy­cho­lo­gie et ésotérisme . Ses films pré­fé­rés ? Yeelen de Souleymane Cissé et Touki Bouki de Djibril Diop Mambety . Il ne voit pas d’héri­tiers à son père, ni dans le fond ni dans la forme « C’était une autre époque » dit-il.
Cet homme réservé aurait beau­coup à dire, l’écriture le tente, mais, pour le moment, il n’est pas encore prêt. Il faut du temps pour sortir de l’ombre d’un grand arbre...

Michèle Solle

Crédit photo Souleymane Cisse et Alain Sembène : FCAPA

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