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Le cinéma au Burkina : enjeux d’avenir ?
Publié le : samedi 7 décembre 2013
Festival Entrevues, Belfort 2013

Le festival Entrevues de Belfort, pour sa 28ème édition (30 novembre-8 décembre), à l’occasion du trentenaire du partenariat entre le territoire de Belfort et le Burkina Faso, invite deux générations de cinéastes à dialoguer autour des enjeux d’avenir du cinéma au Burkina Faso. Adama Sallé est né en 1986. Il est l’auteur de deux court-métrages, L’or blanc (2010) et Tao-Tao ! (2013), présentés le 3 décembre et représente ce jour-là toute une génération de cinéastes : Simplice Ganou (Bakoraman), Michel K.Zongo (Espoir-voyage), Eléonore Yameogo (Paris, mon paradis) et d’autres. Gaston Kaboré, né en 1951, a réalisé quatre long-métrages, comme Wend Kuuni (1982) et Buud Yam (1997). Il a longuement oeuvré en faveur du cinéma africain au sein de la Fédération des cinéastes africains et a créé une école de cinéma (Imagine) au Burkina Faso.

Adama Sallé
Mes deux films, L’or blanc et Tao-tao !, sont des films d’école. L’or blanc est mon film de fin d’études à l’Esav, à Marrakech. Je vou­lais parler de ma situa­tion, celle de quelqu’un qui n’est pas chez lui, tout en par­lant du Burkina Faso. Le budget du film est de 4000 euros.

Ces films ont obtenu de nom­breux prix (notam­ment le prix de la meilleure fic­tion des écoles au Fespaco en 2011) cela permet de bien com­men­cer une car­rière ciné­ma­to­gra­phi­que ?

Ou de bien finir l’école !

Gaston Kaboré, quel temps met­tait-on à faire un film dans les années soixante-dix ? Vous êtes un pion­nier du cinéma bur­ki­nabé et afri­cain et vous avez également créé une école de cinéma à Ouagadougou, Imagine.

Gaston Kaboré
Je ne suis pion­nier de rien du tout, il y a eu plein de gens avant moi dans le cinéma afri­cain et même au Burkina, il y avait eu déjà deux réa­li­sa­teurs avant moi ! On est des conti­nua­teurs d’autres per­son­nes qui nous ont pré­cédé, et par­fois nous ont donné envie de faire du cinéma. Aujourd’hui, on peut rapi­de­ment faire son pre­mier pas au sortir de l’école. Quand j’ai fini mes études en 1976 et suis rentré au Burkina, c’était encore l’époque du cinéma avec la pel­li­cule chi­mi­que. La recher­che de finan­ce­ment et la fini­tion d’un film pre­naient donc plus de temps.
De 1976 à 2013, j’ai fait quatre long-métra­ges et une quin­zaine de court-métra­ges. Cela ne suffit pas pour cons­truire une car­rière et vivre de son métier. J’ai donc été également fonc­tion­naire et me suis impli­qué dans la Fédération des cinéas­tes afri­cains (FEPACI). En 1997, j’ai décidé de tout lais­ser tomber pour ne me consa­crer qu’au cinéma, mais para­doxa­le­ment, cela fait seize ans que je n’ai pas filmé, car j’ai créé une école de cinéma.

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Gaston Kaboré © CN

Ce qui est le plus dom­ma­gea­ble à une éclosion d’une ciné­ma­to­gra­phie dans un pays comme le Burkina, c’est peut-être l’inexis­tence de cadres juri­di­ques, de méca­nis­mes de sou­tien à la pro­duc­tion de manière consis­tante. Ceux qui ont pré­cédé Adama Sallé et la géné­ra­tion d’aujourd’hui sont plus nom­breux. Mais les fonds ont dimi­nué ! Autrefois, nous trou­vions de l’argent à la BBC, à la ZDF, à Channel 4. En France, il y a eu des pério­des où il y avait plus d’argent. Tous ces gui­chets se sont res­treints. Il est devenu dif­fi­cile de faire des films ayant des bud­gets impor­tants. Fort heu­reu­se­ment, les bud­gets ont été réduits également du fait de l’arri­vée du numé­ri­que. Actuellement, on va assis­ter à une nou­velle ère, on le voit au Nigéria et au Burkina, avec Boubacar Diallo qui a fait en quel­ques années une dizai­nes de long-métra­ges en numé­ri­que, c’est à dire plus que ce que l’on pou­vait faire à l’époque du cel­lu­loïde, à la fin des années quatre-vingt et quatre-vingt-dix. Aujourd’hui, il y a une plus grande faci­lité d’accès à la réa­li­sa­tion. Mais les pro­blè­mes ne sont pas réso­lus. Trouver 4.000 euros aujourd’hui, c’est tou­jours dif­fi­cile.

Il n’est plus ques­tion aujourd’hui de faire du cinéma en pel­li­cule, ce qui était, comme le rap­pelle Gaston Kaboré, un pro­ces­sus coû­teux et com­plexe, au tour­nage, au déve­lop­pe­ment des films et pour la post-pro­duc­tion, qui se fai­sait sou­vent en France, pour ces rai­sons. Aujourd’hui, on est très libéré, grâce au numé­ri­que. Est-ce un outil qui libère des contrain­tes tech­ni­ques et de finan­ce­ment, ou bien est-ce un outil qui a des limi­tes ?

Adama Sallé
Je ne peux pas dire si cela nous libère car je n’ai jamais été en prison ! Je n’ai pas connu la pel­li­cule. On m’en parle, mais je ne connais pas très bien. J’apprends à faire du cinéma. Si je veux faire un film, la pre­mière chose, c’est la chose que je veux raconter, le projet que je veux faire. Je ne veux pas me hasar­der à parler de ce que je ne connais pas. Pour la pel­li­cule, je ne connais ni le coût, pour la pel­li­cule, le labo­ra­toire. Comme le disait Gaston Kaboré, même avec un télé­phone por­ta­ble, on peut faire un film si on a quel­que chose à dire.

Gaston Kaboré
On a voulu oppo­ser cinéma numé­ri­que et cinéma sur pel­li­cule, en Afrique. Cela n’a pas lieu d’être. Aux Etats-Unis, on peut faire un film entiè­re­ment en numé­ri­que. L’enjeu de la créa­tion demeure le même. La faci­lité d’accès, elle, a changé. Aujourd’hui, il peut pren­dre une petite caméra et maî­tri­ser toute la chaîne de fabri­ca­tion du film, ce qui n’était pas pos­si­ble autre­fois. La dif­fu­sion a changé aussi : on peut mettre son film sur une pla­te­forme, il sera vu par des gens du monde entier, ce qui n’était pas le cas avant. Ce qui reste impor­tant, c’est le propos du cinéaste, le regard qu’il pose sur la réa­lité. J’ai ren­contré une asso­cia­tion de cinéas­tes indé­pen­dants à Hong-Kong, ils se posent les mêmes pro­blè­mes. Aux Etats-Unis, les cinéas­tes indé­pen­dants ont aussi du mal à pro­duire leurs films car ce qu’ils ont à dire n’inté­resse pas les gros­ses mai­sons de pro­duc­tion. Il ne faut pas for­cé­ment condam­ner la préoc­cu­pa­tion de faire de l’argent avec les films, car il faut que le cinéma s’auto­fi­nance, c’est l’idéal. Mais cer­tains films ne sont pas faits pour gagner de l’argent, ou même de gagner sa vie. On est dans l’urgence de dire, de témoi­gner. Il faut faire avec tout cela.

Vous par­liez d’un manque de finan­ce­ment des films par l’Etat au Burkina. En France, les films sont aidés par dif­fé­ren­tes sub­ven­tions natio­na­les, régio­na­les. Il y a beau­coup de moyens pour finan­cer un film d’art et d’essai en France. Le corol­laire de la fabri­ca­tion, c’est la dif­fu­sion et la dis­tri­bu­tion. Il n’y a plus beau­coup de salles en Afrique. Comment cela se passe, quel­les sont les pers­pec­ti­ves au Burkina ?

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Adama Sallé © CN

Adama Sallé
C’est dif­fi­cile de répon­dre ! Je ne vois pas les choses de cette façon-là. Quand tu nais dans une mare qui est en train de s’assé­cher, tu n’étais pas là au moment où la mare était pleine. Donc, com­ment peux-tu te plain­dre du moment où c’était plein ?! Ce sont tou­jours des « on-dits ». Le futur, c’est autre chose. Je viens de finir mes études. Dans cinq ans, je pour­rai mieux en parler. Le film Tao-tao ! a obtenu une bourse d’un concours CFI et s’est fait comme cela. Donc, je ne suis pas encore « entré dans la machine » - catas­tro­phi­que ou pas ? - pour pou­voir en parler.

Ecrire un scé­na­rio de long-métrage, c’est très long, par­fois plu­sieurs années de déve­lop­pe­ment.

Adama Sallé
J’ai appris récem­ment qu’aux Etats-Unis, on consi­dère qu’il faut cinq ans à un réa­li­sa­teur confirmé pour faire un scé­na­rio. Alors pour ceux qui débu­tent, il faut au moins dix ans ?!

Gaston Kaboré
C’est bien qu’Adama Sallé ne soit pas dans une pos­ture de vic­time, en tant que jeune cinéaste. Il s’est battu, il va conti­nuer à se battre, accom­pa­gné de sa pro­duc­trice. Personne ne nous a promis, quand on a décidé de faire des films, que la vie serait un long fleuve tran­quille ! Au Burkina, la pré­sence du Festival (le FESPACO) depuis 1969 a obligé notre pays à faire des efforts. Aujourd’hui, le finan­ce­ment est devenu très faible, face à une demande de plus en plus grande de la part des jeunes cinéas­tes. Nous dis­cu­tons actuel­le­ment à mettre en place des méca­nis­mes de sou­tien, à la manière de ceux qui exis­tent en France et qui ont permis au cinéma fran­çais de bien se porter (CNC, Avance-sur-recet­tes, Procirep...). Cela a ins­piré d’autres pays. Il faut conti­nuer d’amé­lio­rer la situa­tion au Burkina.
On peut faire un tra­vail soli­taire, indé­pen­dant, - voire indé­pen­dan­tiste !-, mais il faut aussi tra­vailler à créer des condi­tions favo­ra­bles à l’émergence d’un cinéma et pour cela, de mon point de vue, il faut néces­sai­re­ment l’impli­ca­tion des pou­voirs publics. Non pas pour dicter quel film on doit faire, mais parce que cela fait partie de notre patri­moine, ce ne sont pas des choses super­flues.

Propos recueillis par Caroline Pochon

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