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Quand le « je » parle du « nous »
Publié le : jeudi 20 juin 2013
Rencontres cinématographiques de Béjaïa 2013

À l’occasion des 11e Rencontres cinématographiques de Béjaïa qui se tenaient du 8 au 14 juin 2013 en Algérie, plusieurs documentaires de jeunes réalisateurs partaient de leur petite histoire pour raconter la grande. Flash Back.

Ça com­mence à la pre­mière per­sonne. L’auteur n’a pas peur de se mettre au cœur de son film et de parler de ses sen­ti­ments pour abor­der de façon intime une his­toire algé­rienne com­plexe et dou­lou­reuse. Principal pro­blème sou­levé par les spec­ta­teurs : chaque film n’aborde pas toute l’Histoire et cer­tains se sen­tent lésés du fait de l’absence de tel ou tel aspect. « On manque d’images de nous donc quand il y a un film, on vou­drait qu’il y ait tout dedans, relève Damien Ounouri, réa­li­sa­teur du docu­men­taire Fidaï. Le danger, c’est de mettre un maxi­mum de choses dans un film et de tout effleu­rer ».

Loi du silence

Lui a fait le choix de parler de son grand-oncle, ancien membre du FLN qui a assas­siné « un traî­tre » du MNA en France, dans les années 1960. Un crime qu’il n’a jamais raconté à ses enfants qui ont pour­tant, à l’époque, assisté à son arres­ta­tion puis à sa dis­pa­ri­tion. Sautant les géné­ra­tions pour inter­ro­ger ce secret fami­lial, Damien Ounouri enfreint la loi du silence, inter­roge son grand-oncle, insiste et obtient sa ver­sion de l’his­toire. Le film sera donc une recons­ti­tu­tion, de l’Algérie à la France, sur les lieux mêmes des faits, où le fidaï accep­tera de se confier, d’expli­quer, de rejouer les scènes de sa vie passée. Colonialisme, résis­tance, fuite, tor­tu­res, tout sera raconté. La dimen­sion indi­vi­duelle, pudi­que mémoire tra­gi­que d’un passé long­temps tu, refait alors sur­face avec une dimen­sion qui touche au col­lec­tif. Les images d’archi­ves, les cou­pu­res de jour­naux et la réap­pro­pria­tion d’un poème de Paul Eluard, « Liberté », écrit durant la Seconde Guerre Mondiale et tra­duit ici en arabe, devient alors sym­bole d’une lutte com­mune contre l’oppres­sion, qu’elle soit nazie dans le cas d’Eluard ou colo­niale dans le film d’Ounouri.

À l’inverse du docu­men­taire Bouts de vie, bouts de rêves du réa­li­sa­teur Hamid Benamara qui uti­lise des figu­res révo­lu­tion­nai­res inter­na­tio­na­les pour se raconter, par­tant ainsi de la mémoire col­lec­tive pour se défi­nir indi­vi­duel­le­ment (« Je me raconte et me reconnais à tra­vers ces per­son­na­ges, tout le film parle de moi » témoi­gnait le réa­li­sa­teur lors d’un débat hou­leux), plu­sieurs docu­men­tai­res pré­sen­taient une démar­che inverse, par­tant d’ano­ny­mes et de gens ordi­nai­res qui tou­chent, par leur vécu, leurs doutes et leur che­mi­ne­ment, les maillons d’une his­toire col­lec­tive com­plexe et dif­fi­cile à abor­der dans sa glo­ba­lité.

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Demande à ton ombre

Ombres et sen­ti­ments

C’est le cas de Demande à ton ombre de Lamine Ammar-Khodja, essai docu­men­taire éclectique qui aborde, par le retour d’un étudiant algé­rien allé en France étudier, des ques­tion­ne­ments exis­ten­tiels en même temps que citoyens. Mélangeant fic­tion, docu­men­taire, photos et vidéos, images prises sur le vif et com­men­tai­res lit­té­rai­res, humour et mon­tage syn­copé, Demande à ton ombre porte un regard et une réflexion sur l’actua­lité et l’his­toire algé­rienne tout en obser­vant les sou­lè­ve­ments popu­lai­res tuni­siens et égyptiens. Le réa­li­sa­teur, également acteur des par­ties fic­tion­nées de son film, s’inter­roge volon­tai­re­ment à la pre­mière per­sonne, lais­sant au spec­ta­teur le choix d’adhé­rer à ses propos ou pas. « J’ai voulu expri­mer un bout de ma vie. Je trouve le film très triste, reconnais­sait Lamine Ammar-Khodja lors d’un débat. Un film, c’est la pho­to­gra­phie de la per­sonne qui le fait à ce moment-là ».

Cheminement exté­rieur

Photographie de ce moment-là, Chantier A de Tarek Sami, Karim Loualiche et Lucie Dèche peut l’être. « Un retour en forme d’aller, pas simple » de la Kabylie à Tamanrasset en pas­sant par Tizi-Ouzou, Timimoun, Constantine et Alger. Les joies des retrou­vailles auprès d’une mère dix ans plus tôt lais­sée, la dou­leur des décès, des assas­si­nats en ces années som­bres qui mar­què­rent cette absence, et puis un che­mi­ne­ment, une quête à tra­vers le pays, tou­jours portée par un Karim Loualiche en doute avec lui-même son appar­te­nance, ses aspi­ra­tions. « C’est dur d’être un adulte » exprime-t-il dans le film. Dur aussi de perdre l’acteur prin­ci­pal de ce docu­men­taire à quel­ques mois du mon­tage final et de le revoir à l’écran plein de vie et de rires, de malaise aussi. L’his­toire de Karim n’est cette fois-ci pas celle de l’Algérie mais à tra­vers son retour aux sour­ces c’est qua­si­ment (pardon aux habi­tants de Ghardaïa, non dépeints dans le film) toute la diver­sité du pays qui est ainsi visi­tée.

Certes, on peut repro­cher au film un format carte pos­tale mais on peut aussi être enchanté par cette caméra qui sort de la ville et qui arpente les cailloux et le sable. « C’est notre pre­mier chan­tier, le chan­tier de l’Algérie, tout est en chan­tier », com­men­taient les réa­li­sa­teurs à l’issue de leur pro­jec­tion. « Avec ce film on inter­roge la place de l’être humain dans ce monde  ». Et avant tout, l’ensem­ble des Algériens. En toute inti­mité. Comme s’il était plus pro­pice, au fond, de parler de soi pour mieux s’adres­ser aux autres.

Claire Diao

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