C’est devant une assistance de professionnels que s’est déroulée la table ronde des Rencontres du Film Court sur le cinéma malgache le samedi 9 avril 2011. Sur scène, Laz, producteur, réalisateur et directeur du festival était accompagné de Gérard Razafindrakoto, acteur, réalisateur et producteur de la société Scoop Digital, de Mamihasina Raminosoa, réalisateur et producteur de la société DDC ainsi que D’albia Randriamanosimbolonirina, Secrétaire Général du Ministère de la Culture et du Patrimoine.
En partant d’un diaporama sur le parcours idéal d’un jeune cinéaste malgache, les intervenants ont rebondi sur le fait que beaucoup de maillons de la chaîne de production cinématographique manquaient à Madagascar. Pas de scénaristes de métier mais plutôt des réalisateurs-scénaristes, pas de distributeurs ni de salles de cinéma [ndlr celles encore existantes sont occupées par des sectes religieuses], encore moins de soutien financier de la part du gouvernement.
L’investissement de l’État malgache était donc l’une des premières interrogations posées par les producteurs. Une question à laquelle le Secrétaire Général du Ministère de la Culture, lui-même cinéphile, n’a pas manqué de répondre. « Dans les années 1960-1970, l’État malgache a produit des films d’actualités qui étaient diffusés dans les salles de cinéma. Dans les années 1980, beaucoup de films étaient importés de l’Union Soviétique du fait du régime de l’époque. La société Cinémédia avait alors nationalisé de grandes salles de cinéma telles que le Roxy, le Rex ou le Ritz. Puis dans les années 2000, il y a eu un frémissement dans la production vidéo locale ».
Ce schéma se retrouve dans beaucoup d’anciennes colonies françaises où la production cinématographique venait d’abord de l’étranger puis était réappropriée par les réalisateurs locaux avant de connaître un déclin du fait des remaniements de gouvernement, des ajustements structurels et de l’arrivée de la télévision et du DVD. Pour D’albia Randriamanosimbolonirina, « le Ministère de la Culture a souvent été ignoré car c’est un parent pauvre du gouvernement. Souvent rattaché à d’autres ministères, il a même été baptisé à certaines époques Ministère de l’Art et de la Culture révolutionnaire ou Ministère des Sports, des Loisirs et de la Culture ». Régulièrement remanié par le gouvernement, le Ministère a dernièrement changé trois fois de ministre en un an, la dernière en date ayant pris ses fonctions une semaine avant le début du festival.
L’une des priorités du gouvernement serait actuellement le cinéma avec la mise en place depuis 2000 [1] d’un fonds d’appui pour le développement cinématographique malgache dénomméTiasary (Tahiry Iombonana Anohanana ny Sarimihetsika Malagasy). Ce fonds prélevé sur la perception des taxes de tournages soulève de nombreuses questions. En effet, le réalisateur Laza cherche depuis de nombreuses années à connaître son fonctionnement. Quel est son budget annuel ? Les producteurs peuvent-ils prétendre à des subventions ?
Dans la salle, Ignace-Solo Randrasana - premier réalisateur de long-métrage malgache avec Very Remby (Le retour) en 1973 – témoigne : « J’ai fait une demande de subvention au fonds Tiasary pour l’un de mes films dont le budget s’élevait à 52 000€. Le fonds m’a accordé 200€ ». À la tête de ce fonds depuis huit mois et malgré les changements de ministres successifs, Ignace-Solo Randrasana tient bon : « Pour moi le plus important aujourd’hui, c’est la relève. Il y a des malgaches qui étudient au Maroc, à Singapour et aux États-Unis. Mais les autres ? ». Pour l’heure, le fonds a servi à former 52 jeunes avec du matériel de tournage et de montage à Anstsirabe et Fianarantsoa et se prépare à ouvrir un Institut Supérieur de Formation de l’Océan Indien à la rentrée 2011-2012. Mais les actions du Ministère manquent encore de transparence. Et les réalisateurs malgaches ne respectent pas assez leurs devoirs – comme verser leurs taxes au Ministère – pour que le système fonctionne comme il se doit.
Former une relève est un fait. Se préoccuper des techniciens autodidactes actuellement sur le marché en est un autre. Sans cartes professionnelles ni fédérations, aucune plateforme de dialogue ne peut être mise en place avec le Ministère. [2] Les ressources actuelles des producteurs se basent sur la vente de DVD et non sur l’exploitation en salle qui est quasi nulle. Pour Gérard Razafindrakoto, « le cinéma malgache recule, il n’avance pas ». Plus nuancé, le réalisateur Mamihasina Raminosoa encourage la position actuelle du Ministère mais souligne le fait qu’il manque encore beaucoup de choses. Dans la salle, l’acteur Henri Randrianierenana, membre du jury TV-Vidéo lors de la 22e édition du Fespaco s’emporte : « N’attendez pas que le gouvernement bouge. Faites ! ».
Gégé Rasamoely, réalisateur de séries télévisées à succès comme Sangodim-panina, dont les 150 épisodes furent diffusés sur la Radio Télédiffusion Malgache (RTM), est au contraire partisan de la création d’un Office du Cinéma Malgache. « Il faut que le gouvernement mette en place une structure qui centralise tout ce qui concerne le cinéma ». Une proposition que son compatriote Henri Randrianierenana ne partage pas : « Qu’est ce que l’État peut donner aux artistes s’il ne peut même pas donner de vaccins aux enfants ? L’argent de l’État ne suffit pas avec toutes les priorités qu’il y a ».
Claude Radriamihaingo, chercheur et enseignant à l’Université de Tananarive, est plus positif. « Le cinéma malgache va très bien. Dans les années 1980, on était 2 ou 3 passionnés de cinéma à concevoir des affiches, à aller chercher des films. On participait à des festivals internationaux. Les Rencontres du Film Court sont annuelles, c’est super ! Moi quand j’entends la publicité du festival sur RFI, vous ne savez pas la fierté que je ressens ». « Dans les années 70, quand nos films sont allés dans les festivals, les gens se sont dit : ça y est, le cinéma existe à Madagascar ! » témoigne son voisin Ignace-Solo Randrasana. Mais au fur et à mesure des années, cette visibilité s’est amenuisée. Et repart sur les chapeaux de roues en 2011 avec trois films sélectionnés en catégorie TV-Vidéo du Fespaco : le documentaire Dzaomalaza et le Saphir bleu de Mamihasina A. Raminosoa et les fictions L’idiot du village de Laza et The pianoman d’Andry Ranarisoa.
Localement, un marché existe. Les films américains sortent en même temps sur les étals des marchés que dans les salles de cinéma aux États-Unis. Deux émissions de cinéma sont diffusés à la télévision (Au ciné et Clap Board) mais ne parlent que de ces mêmes films américains pour annoncer leur passage télévisé. Pourtant, lorsque l’on assiste aux Rencontres du Film Court d’Antananarivo, on ne peut qu’être frappé par la vivacité, le désir et la motivation des jeunes réalisateurs. Lors des projections de films malgaches à l’Institut du Film Français, les salles sont pleines. Lors des séances Jeune Public du matin, ce sont plus de 300 enfants qui viennent assister aux projections. Et lors de la compétition des courts-métrages malgaches, une immense file d’attente occupe le parvis devant l’IFM.
Les ateliers mis en place par le festival sont aussi un vivier d’autodidactes désireux d’apprendre ou d’améliorer leurs connaissances en scénario, en réalisation, en critique ou en effet spéciaux. Le Ti’Kino Gasy organisé par le festival Off Courts de Trouville durant trois jours consécutifs a réuni non moins de 80 jeunes réalisateurs venus de la capitale et d’ailleurs. « A 8h il y avait 10 personnes, à 9h une marée humaine de soixante-dix personnes est arrivée. On ne savait plus où on était ! » se souvient en riant Thomas Lesourd, l’un des organisateurs de ce marathon du film auto-produit. Avec l’adage « Faire bien avec rien, faire mieux avec peu et le faire maintenant », il n’est pas étonnant que le concept fonctionne sur l’Ile Rouge.
A l’année, beaucoup de cinéastes réalisent des publicités ou des films institutionnels. Certains tournent même uniquement dans l’objectif d’être sélectionné au festival car le palmarès est un réel tremplin : les gagnants sont invités dans de prestigieux festivals de cinéma à l’étranger (Interfilm en Allemagne, Off-Court en France, Wintertur en Suisse) et bénéficient d’un à trois mois de formation dans des écoles renommées (l’Institut de l’image de l’Océan Indien de la Réunion pour l’animation, l’Académie du Film et de la Télévision de Potsdam en Allemagne pour la fiction et la Haute école des arts et du Design de Genève en Suisse pour le documentaire).
Fort de son succès, les Rencontres du Film Court frôlent cependant un danger : celui de pallier à tous les manques cinématographiques du pays et de remplacer, à terme, le rôle que pourrait jouer un office ou une direction du cinéma national. Une situation que son directeur Laza refuse catégoriquement mais que la création en 2011 du fonds de production Sera Sary, sur la base des 2000€ récoltés auprès des partenaires du festival, pourrait entretenir malgré lui.
Claire Diao
Clap Noir
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