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Cinéastes noirs en France – Cannes 2011
Publié le : samedi 28 mai 2011
Jean-Claude Barny et Fabrice Pierre


Jean-Claude Flamand-Barny a signé de nom­breux courts métra­ges remar­qués comme Retour à la case, Putain de Porte ou Le Contrat en 1997. Il a réa­lisé son 1er long métrage, Nèg Maron en 2005, bien accueilli par la cri­ti­que. Parallèlement, il a réa­lisé de nom­breux clips et publi­ci­tés. Il pré­pare un deuxième long-métrage, pro­duit par Les films d’ici en recher­che de finan­ce­ments à Cannes.

Français d’ori­gine gua­de­lou­péenne, Fabrice Pierre a réa­lisé de nom­breux clip vidéos, sa pas­sion et des spots publi­ci­tai­res. Il signe son 1er court-métrage Tremens en 2000. En 2006, Il pré­sente Le Gardien dans le cadre de la semaine Internationale de la cri­ti­que à Cannes.
Fabrice Pierre cher­che un finan­ce­ment pour son pre­mier long métrage.

Jean-Claude Barny

Une force de pro­po­si­tion

Jean-Claude Barny
Avec des envies et des uni­vers dif­fé­rents, nous deve­nons une vraie force de pro­po­si­tion du cinéma cari­béen. Jusqu’à pré­sent, on parle d’un réa­li­sa­teur et pas d’une forme d’expres­sion en géné­ral, mais avec des gens comme Fabrice Pierre, Mariette Monpierre, Lucien Jean-Baptiste, « ils » sont bien obli­gés d’admet­tre que les choses bou­gent. On arrive avec des scé­na­rios com­pé­ti­tifs, de qua­lité. En face, il faut qu’ils nous fas­sent une vraie place, qu’ils arrê­tent de nous ouvrir des portes de sortie !

Clap Noir
Quand vous dîtes « ils », c’est les grands méchants ?

Non ! C’est vrai qu’on est pas face à Babylone ! Mais pen­dant long­temps, le cinéma était très fermé, on est obligé de l’admet­tre. « Ils » n’ont jamais pensé qu’il pour­rait y avoir une demande forte d’ouver­ture de la part du public... Cela fait 15 ou 25 que le cinéma fran­çais tourne sur lui-même. Aujourd’hui, « Ils » se remet­tent en ques­tion. Il va fal­loir s’adap­ter, s’ouvrir.

Est-ce qu’il y a un avant et un après Nèg Maron par rap­port à cette visi­bi­lité ?

Jean-Claude Barny
Cela m’a permis d’avoir la pré­ten­tion de vou­loir faire un second long métrage. Mais cela n’a rien bougé du tout dans le cinéma, dans la visi­bi­lité que peut avoir le cinéma antillais, le cinéma mino­ri­taire. On doit encore se battre. Cela nous met dans une posi­tion d’entraide, de rap­ports d’égalité et ensuite dans un autre pays euro­péen, on se serait inté­ressé à ces nou­veaux acteurs, mais ici, il n’y a pas une culture de recher­che, mais plutôt une culture atten­tiste.

Le fait d’avoir été sou­tenu finan­ciè­re­ment et mora­le­ment par quelqu’un comme Mathieu Kassovitz, cela a été impor­tant pour convain­cre d’autres sour­ces de finan­ce­ment ?

Jean-Claude Barny
Nous avions le même uni­vers, notre asso­cia­tion était « qua­li­ta­tive ». Mais malgré le nom de Mathieu Kassovitz en tant que pro­duc­teur, le film ne s’est pas fait comme ça ! Les portes étaient tel­le­ment blo­quées, satu­rées. C’est pour vous dire à quel point on était inau­di­bles il y a encore cinq ou six ans. Aujourd’hui, je me heurte à moins de portes fer­mées.

Fabrice Pierre
On vient d’une culture abreu­vée d’images, on a bouffé du cinéma des autres. Aujourd’hui, il y a une géné­ra­tion qui a voyagé, qui s’est ouverte et qui a envie de se raconter. Je retrouve cette simi­li­tude dans les sujets de Mariette Monpierre, Jean-Claude Barny ou les autres. Tout en ayant cette spé­ci­fi­cité, on a envie de dire qu’on fait partie du tout. Ce n’est pas un film « de mino­rité » ou un film « de diver­sité », c’est un film fran­çais avec une par­ti­cu­la­rité de région. Nos his­toi­res sont uni­ver­sel­les. On a affaire à une indus­trie, il faut trou­ver les clés du marché, et ce n’est pas parce qu’on est « dif­fé­rent » (je n’ai pas l’habi­tude d’uti­li­ser ce terme mais c’est l’image que l’on me ren­voie)... ! On vous dit tout le temps : « sortez de votre ghetto ! », et quand on essaie de sortir du ghetto, on nous y ren­voie d’une cer­taine façon.

La pop et le hip hop

Jean-Claude Barny
J’ai tra­vaillé dans la musi­que. Il existe la musi­que pop en France – et puis le hip hop. Et de même, dans le cinéma fran­çais, il y a un cinéma « pop ». mais il n’y a pas de côté cor­ro­sif. Or, ce côté cor­ro­sif vient sou­vent de gens qui ont un vécu cor­ro­sif ! Souvent, ceux qui réa­li­sent n’ont pas cette vie cor­ro­sive. C’est vrai­ment le même rap­port qu’entre la pop et le hip hop, en musi­que. Il y a un grand écart entre le cinéma d’auteur – pro­fond, reven­di­ca­teur, et un cinéma d’enter­tain­ment qui vise le très large public. Cette adhé­sion, on l’a parce que l’on est cari­béens. On est entre Etats Unis et Europe. On fait du cinéma d’auteur et du cinéma amé­ri­cain.
On joue le jeu. On est dans le cinéma, pas dans le débat poli­ti­que. Nèg maron a béné­fi­cié d’une vraie dis­tri­bu­tion, donc l’espoir est là. Mais après le film, le souf­flé est retombé. Il y a une mau­vaise volonté… Un public, cela s’éduque. Quand vous êtes anxio­gène à propos d’une com­mu­nauté, fina­le­ment des codes s’ins­tal­lent. On est for­ma­tés pour aimer un genre de cinéma, aimer un genre de per­son­nes. Et le public est prêt à n’aimer que cela. Il va fal­loir se battre pour lui dire qu’il y a d’autres pro­po­si­tions. Les gens du cinéma fran­çais ne jouent pas le jeu… Dans les années cin­quante, il y avait plus d’échanges. Aujourd’hui, ce cinéma s’appelle Les petits mou­choirs et La môme… ! Ça fait du chif­fre, mais cela ne fait pas avan­cer quoi que ce soit. Après, c’est un genre. Et aujourd’hui, le mal­heur, c’est qu’il n’y a qu’un genre de films qui a le droit de cité. Et les gens de moins de vingt ans vont voir les films amé­ri­cains, ce qui fait le bon­heur des salles. Je prends la com­pa­rai­son avec la musi­que. A un moment donné, la chan­son fran­çaise était en dégrin­go­lade. Les radios libres sont arri­vées dans les années quatre vingt, on a ouvert et les musi­ques amé­ri­cai­nes sont arri­vées. Cela a fait un Bang ! Et le gou­ver­ne­ment a imposé un quota de musi­que fran­çaise sur la bande fm. Qui est-ce qui est entré ? Ce n’est pas la chan­son fran­çaise, c’est le rap fran­çais qui est entré ! Le rap fran­çais a émergé parce qu’une loi défen­dant la musi­que fran­çaise. Et c’est grâce au rap fran­çais que la variété fran­çaise a pu retrou­ver sa place dans la fm ! Et c’est la même chose en cinéma. Qui fait du cinéma dif­fé­rent au sein du cinéma fran­çais ? C’est le cinéma de mino­rité fran­çais ! Et on a des his­toi­res afro-cari­béen­nes qui peu­vent être aimées par un Chinois qui habite à Taïwan. Faire un film qu’un Blanc de Lyon pour­rait faire, cela n’a aucun inté­rêt. L’ardé­chois fait son film ardé­chois.. Chacun est légi­time pour faire son film. Je dis tou­jours que le Noir qui traîne avec les Blancs et qui pense faire des « films de Blancs », il fera pas ses films. Le sys­tème aura pris le Blanc qui est légi­time pour faire des films pour les Blancs. Il n’a pas pris le Noir, qui pour­tant était aussi légi­time parce qu’il a voyagé dans cette confi­gu­ra­tion-là, parce qu’avant lui, d’autres étaient plus légi­ti­mes. Au départ, il n’y avait pas de conflit. Moi, j’ai été élevé en ban­lieue avec des Arabes, des Noirs, des Portugais. Il n’y avait pas de conflit. Le conflit, c’est le sys­tème. Les gens vivaient dans une cer­tai­nes sym­biose. S’il y avait un pro­blème avec un voisin, cela se réglait faci­le­ment, entre voisin. Mais Ils ont fait inter­ve­nir des lois pour régler des pro­blè­mes domes­ti­ques qui n’avaient pas lieu. Et c’est devenu super-pro­cé­du­rier et c’est pour cela qu’aujourd’hui, le conflit devient brutal. Aujourd’hui, vous écrasez le pied de quelqu’un, il est capa­ble de vous couper la jambe ! Pour moi, c’est l’intru­sion du « trop-poli­ti­que » qui fait que l’on n’arrive plus à se parler. Je ne sais pas si tu es d’accord Fabrice.


Fabrice Pierre

Briser le mur du silence

Fabrice Pierre
On n’a pas de patri­moine visuel. J’aurais plein d’his­toi­res contem­po­rai­nes à raconter, mais il manque quel­que chose au plan his­to­ri­que, et j’ai envie de com­bler ce manque, cette inter­ro­ga­tion que l’on a. On a envie de voir s’animer de vieilles cartes pos­ta­les, faire vivre ce trait de liai­son qui nous manque. C’est ce qu’on a envie de faire en ce moment. Une fois que l’on aura passé cette étape-là, on pourra faire autre chose. Mon film se dérou­lera en 1928, il s’appuie sur un fait réel. Il raconte une période que l’on ne connaît pas. Juste avant l’arri­vée d’un cyclone qui fera des mil­liers de morts, c’est l’his­toire d’une jeune femme, fille mère, qui croise le chemin d’un musi­cien de jazz amé­ri­cain. De leur his­toire d’amour dont l’issue est tra­gi­que, va naître une chan­son qui devien­dra célè­bre… Avec ce film, je m’inter­roge sur notre société matriar­cale, tenue par les femmes, même si les hommes sont au devant. Ce qui me par­lait, c’est de creu­ser tous ces non-dits, ces secrets qu’on a chez nous. Ils sont cachés dans la pudeur. Avec ma pro­duc­tion, on est en train de monter le finan­ce­ment, à l’inter­na­tio­nal. Il y a une délé­ga­tion caraïbe à Cannes : toute la Caraïbe a le même pro­blème, le fait d’être d’ancien­nes colo­nies, ce qui ren­voie aux mêmes pro­blè­mes de dis­tri­bu­tion et de pro­duc­tion. On s’est aper­çus que si on se met­tait ensem­ble, on se ren­drait inté­res­sant vis à vis des autres mar­chés.

Jean-Claude Barny
J’essaie pour ma part de raconter des his­toi­res un peu brû­lan­tes sur la com­po­si­tion de la société fran­çaise. Je suis né en ban­lieue. Mon pro­chain film s’appel­lera Le mur du silence, c’est l’his­toire de jeunes Antillais qui arri­vent en France au début des années soixante dix. Il y avait des mou­ve­ments gau­chis­tes, la bande à Bader, les Brigades Rouges, Carlos… beau­coup de ces Antillais tra­vaillaient dans la fonc­tion publi­que. Mon per­son­nage, au contraire, n’a pas envie d’être la seconde main du sys­tème. Il rejoint un groupe de quatre idéa­lis­tes qui font des bra­qua­ges par pro­tes­ta­tion. Ils bra­quent des Postes. Il se retrouve en prison, où il ren­contre un per­son­nage fort, Patrick Chamoiseau, qui lui apprend la lec­ture, l’ouvre à des écrits comme Fanon, Césaire et lui fait rem­pla­cer le flin­gue par le stylo. Il va écrire son his­toire en prison. C’est une forme de rédemp­tion. On a vu com­ment « ça a pété » en 2003, c’est aujourd’hui qu’on essaie de voir où ça peut aller. Ce mur du silence, c’est celui que j’ai envie de faire abat­tre. J’aime­rais qu’on ouvre un vrai débat sur la manière dont on a fait entrer, depuis les années soixante, des gens pour tra­vailler, pour­quoi on n’a pas mis en place un vrai sys­tème d’inté­gra­tion. On peut parler du Bumidom : les gens sont arri­vés et on leur a donné les basses tâches dans la fonc­tion publi­que. Il fal­lait un cer­ti­fi­cat d’études et être fran­çais. Ils ont été aide-soi­gnant dans les hôpi­taux, gui­che­tier à la Poste. Trente ans plus tard, ces gens-là n’ont pas eu la car­rière qu’il fal­lait. Ils ne sont pas deve­nus com­mis­sai­res divi­sion­nai­res, méde­cins. Il y a eu un nivel­le­ment par le bas.

Le fait de bra­quer des Postes, ce n’est pas anodin. C’est contre l’Etat que l’on pro­teste.

Jean-Claude Barny
Oui. Cette gué­rilla était très ins­pi­rée par un mou­ve­ment allant des Brigades rouges au mou­ve­ment hippie. Ce contexte poli­ti­que a fait que ce petit groupe antillais a choisi la voie armée, par idéa­lisme. Le film est pro­duit par Les films d’ici, Serge Lalou.

Vous avez une res­pon­sa­bi­lité vis à vis du public jeune, qui aime vos films. Ce mes­sage de rédemp­tion est là pour donner un modèle ?

Jean-Claude Barny
Je donne un dis­cours posi­tif. Hors de ques­tion de faire un film qui ne soit pas rugueux. Mais il faut dénouer un nœud. Pas seu­le­ment entre les afro-cari­béens, mais entre tous les immi­grants. Je me consi­dère comme Français. Mais je sens un grand écart entre les migrants et les Français et j’ai envie de cons­truire quel­que chose de posi­tif, une société dans laquelle chacun trouve sa place.

Fabrice Pierre
Il y a une éducation à faire sans pour autant se poser en don­neur de leçon. Dans le film de Jean-Claude, la pro­blé­ma­ti­que existe encore avec ces gens qui se sen­tent incom­pris et peu­vent se rebel­ler. Dire que d’autres per­son­nes sont pas­sées par là, tenter d’en tirer des leçons. Je par­lais de la pudeur fami­liale. Mais ces choses-là sont tues également dans les famil­les. J’ai décou­vert des oncles qui avaient été des lea­ders poli­ti­ques ou syn­di­caux dans les années soixante. Il n’y a pas eu de trans­mis­sion.

Vous reconnais­sez-vous dans des cinéas­tes comme Spike Lee ou Martin Scorsese ?

Jean-Claude Barny
Spike Lee ou Martin Scorsese racontent ce qu’ils connais­sent, ce qui leur est cher. Ils ont envie de lais­ser des traces. Sans dévier de leur ligne, ils élargissent et font des choses moins reven­di­ca­ti­ves. Ils ont voulu se raconter, raconter leur com­mu­nauté. Rachid Bouchareb, en France, a la même reven­di­ca­tion, la même énergie de lais­ser des choses. Arcady, aussi. On ne leur a pas dit de raconter leur com­mu­nauté ! Mais c’est vrai que le cinéma noir, pour l’ins­tant en France, n’a pas d’écho. Il n’y a pas d’acteurs noirs, de pro­duc­teurs noirs. Et il y a une géné­ra­tion mul­ti­cultu­relle urbaine qui pousse les portes de manière plus vio­lente. Ce n’est une ques­tion de carac­tère. Ils pous­sent les portes pour qu’on leur per­mette de s’expri­mer. Je suis venu à Cannes il y a quinze ans avec La haine, de Mathieu Kassovitz, j’étais direc­teur de cas­ting. Le film était ouvert, il n’était pas à usage « iden­ti­taire », mais à usage social. C’était les riches et les pau­vres. Et il y avait des Noirs, des Blancs, des Arabes. Et dans les « riches », il y avait aussi des gens des mino­ri­tés. Aujourd’hui, la scis­sion est sépa­rée. Cannes est un lieu de ren­contres humai­nes et artis­ti­ques, mais ce n’est pas pos­si­ble ! Une fron­tière cultu­relle s’est mise en place, elle est accep­tée. Aujourd’hui, si tu n’es pas réa­li­sa­teur blanc… Tu ne peux pas être réa­li­sa­teur noir fran­çais ! Cela ne peut pas exis­ter ! Les Noirs que l’on voit à Cannes, ce sont des Afro-amé­ri­cains. Avant, c’était super-cari­ca­tu­ral, aujourd’hui, c’est véri­di­que ! On est plus dans le débat diplo­ma­ti­que ! Maintenant, c’est : « fais voir ce que tu fais, je suis aussi bon que toi ».

Propos recueillis par Caroline Pochon

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