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Madagascar à l’oeuvre : Avec presque rien
Publié le : vendredi 30 août 2013
Afrique-monde à Lussas ...

Lussas 2013

Les deux jour­nées de pro­gram­ma­tion que le fes­ti­val de Lussas consa­cre à l’Afrique sont, depuis quel­ques années, un lieu de décou­verte des films pro­duits dans le cadre du réseau Africadoc. L’ouver­ture de ce pro­gramme de for­ma­tion et de copro­duc­tion à l’océan indien nous a permis cette année de décou­vrir des images iné­di­tes, celles venues de Madagascar, où est en train d’émerger une géné­ra­tion de jeunes cinéas­tes. « Les films pro­duits et réa­li­sés par des Malgaches vivant à Madagascar se comp­tent sur les doigts de la main » expli­que Jean-Marie Barbe, fon­da­teur des Etats Généraux du docu­men­taire, fon­da­teur également du réseau Africadoc, qui signe cette pro­gram­ma­tion depuis le début.
« Cependant, depuis quel­ques années, des films se font, des copro­duc­tions se nouent à tra­vers la dyna­mi­que des Rencontres annuel­les du film court de Tananarive et des ate­liers Doc Oï que mènent Ardèche Images et Doc Monde à Tamatave – la deuxième ville du pays ».

Entre chro­ni­que d’un groupe musi­cal et por­trait en demi-teinte d’une île jusqu’alors tou­jours pré­sen­tée pour ses mers bleu lagon dans les agen­ces de tou­risme, Avec pres­que rien , le film de Lova Nantenaina nous entraîne gen­ti­ment mais sûre­ment dans l’âme de Madagascar. Filmer le tra­vail, le bri­co­lage, la récu­pé­ra­tion des peti­tes gens de son pays, avec une atten­tion minu­tieuse que le Samba Félix Ndiaye des Trésors des pou­bel­les ne renie­rait pas, telle est la tâche à laquelle s’attelle le cinéaste mal­ga­che, formé à l’Esav de Toulouse et passé par l’ate­lier d’écriture d’Africadoc. L’ori­gi­na­lité et le charme de ce film est aussi sa richesse musi­cale et le charme des ren­contres qu’elle offre : un musi­cien, un bri­co­leur, un reven­deur à la sau­vette, une femme debout, qui chante, des nuées d’enfants, des rues où pas­sent des buf­fles... Une décou­verte, pas for­cé­ment un film extra­or­di­naire. Les trois autres films mal­ga­ches, Au temps des lit­chis , Campus B5 et Les Enfants de la péri­phé­rie docu­men­tent aussi des réels extrê­me­ment variés (famille de pay­sans, étudiants à l’uni­ver­sité...) de l’océan indien.

L’Afrique fil­mées par des Africains : une Afrique qui devient monde....

Les films afri­cains de cette der­nière pro­gram­ma­tion Afrique sont au nombre de trois. Tous trois sont des pre­miers films. On a déjà parlé d’ Atalaku , de Dieudo Hamadi dans Clap Noir (lors du Festival du Cinéma du Réel en mars 2013), mais il semble juste de le retrou­ver à Lussas, parmi des films qui chro­ni­quent la vie poli­ti­que du monde et por­tent un regard engagé et exi­geant sur le poli­ti­que. Ici, en l’occur­rence, il s’agit de la chro­ni­que au ras de la société civile des élections pré­si­den­tiel­les démo­cra­ti­ques... dans un pays en dic­ta­ture. Une vraie leçon de science poli­ti­que, donnée avec une ironie savou­reuse et amère, celle du regard fin de Dieudo Hamadi, jeune réa­li­sa­teur congo­lais qui a porté ce film.
A voir également : Le film du Béninois Faissol Gnonlonfin, Obalé le Chasseur et Avant l’audience , œuvre des cinéas­tes bur­ki­nabè Aimé Kouka Zongo et Yssouf Kousse (monté avec l’aide de Jean-François Hautin, et du pro­duc­teur Yves Billon), chro­ni­que de la vie des déte­nus en attente au Burkina Faso, un film poli­ti­que également. « Sa pro­jec­tion nous tient tout par­ti­cu­liè­re­ment à cœur » déclare Jean-Marie Barbe.
Le fon­da­teur du réseau Africadoc ne sombre pas dans l’afro-pes­si­misme, bien au contraire ! « De l’Afrique sub­sa­ha­rienne fran­co­phone à la zone du Nord Maghreb, désor­mais, chez nombre d’auteurs, une cons­cience, une prise de pos­ses­sion des formes ciné­ma­to­gra­phi­ques est là ! » Mais pour le fon­da­teur des Etats Généraux, une fron­tière éditoriale sera passée l’an pro­chain. « Docmonde mène, avec un réseau de pro­duc­teurs indé­pen­dants, un pro­gramme de for­ma­tion pour l’émergence d’un réseau inter­na­tio­nal de réa­li­sa­teurs et de pro­duc­teurs indé­pen­dants : une Internationale docu­men­taire . L’idée est en train d’éclore ; elle devrait ras­sem­bler d’ici quel­ques années une dou­zaine de régions du monde, essen­tiel­le­ment des pays du Sud et des BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine) et créer un réseau de copro­duc­tions et de dis­tri­bu­tion équitable de docu­men­tai­res d’auteurs Sud-Nord, Nord-Sud, Sud-Sud. C’est dans cette dyna­mi­que que s’ins­crira, dès 2014, notre sélec­tion afri­caine ».

Nadia El Fani et le corps poli­ti­que

Les Etats Généraux du docu­men­taire offrent cette année, dans le cadre de ce pro­gramme Afrique, une tri­bune ouverte à Nadia El Fani, cinéaste enga­gée, cinéaste que l’on pour­rait pres­que appe­ler « per­for­meuse », femme d’image - qui fait de son image un objet poli­ti­que. La réa­li­sa­trice est une femme née d’une mère fran­çaise et d’un père tuni­sien, dans une famille où la poli­ti­que a joué un rôle déter­mi­nant – jusqu’à l’exil, comme elle le racontait en 2008 dans son très beau film Ouled Lénine , qui brosse un por­trait de son père et de ses amis poli­ti­ques. Elle était peut-être, par ce qu’elle était, une per­sonne par­ti­cu­liè­re­ment poli­ti­que. Aujourd’hui, elle a fait du combat poli­ti­que un combat de survie per­son­nelle. Ce que l’on décou­vre dans Même pas mal, dès les pre­miè­res images, c’est que Nadia a dû lutter contre un cancer, qui l’atteint dans sa fémi­nité, au sein. Elle l’assume et lutte contre le cancer poli­ti­que qui ronge son pays. Le fémi­nin est la partie qui souf­fre le plus face au danger barbu. La méta­phore n’est pas arti­fi­cielle. Elle est orga­ni­que, Nadia écrit avec son sang. Elle a su aussi par­ta­ger la réa­li­sa­tion de ce film pro­fon­dé­ment per­son­nel avec Alina Isabel Perez. Très bien monté, vive­ment narré, entre auto­fic­tion et récit hale­tant des événements poli­ti­ques de la Tunisie, entre révo­lu­tion et espoirs démo­cra­ti­ques déçus, le film raconte com­ment au jour le jour, Nadia se soigne en pro­cla­mant son exis­tence, sa radi­cale dif­fé­rence. Quelle force, quel cou­rage.
Dans son film pré­cé­dent, Laïcité inchal­lah (2011), qui lui valut tant de trou­bles en Tunisie, comme elle le retrace dans son film, et qui fit d’elle non seu­le­ment une obser­va­trice fine mais aussi et sur­tout, une actrice de la révo­lu­tion tuni­sienne, elle se met­tait en scène (avec les Tunisiens, avec le rama­dan, avec la laï­cité...). Jean-Marie Barbe a eu l’excel­lente idée de le pro­gram­mer en même temps, pour dévoi­ler les deux volets du dip­ty­que. La mise en avant de soi, qui pou­vait poser ques­tion dans ce pre­mier film, prend une dimen­sion dif­fé­rente, plus assu­mée, indis­cu­ta­ble dans le sui­vant. La forme se para­chève. La place du moi est trou­vée : Nadia est coeur des choses, elle a mis en phase son corps phy­si­que avec le corps poli­ti­que dont elle fait partie. Pas d’impu­deur lorsqu’elle dévoile des bribes du trai­te­ment qu’elle subit, ou encore lorsqu’elle nous laisse décou­vrir les cari­ca­tu­res mons­trueu­ses dont elle a fait l’objet sur inter­net. Dans toutes ces images d’elle, un besoin impé­rieux d’exis­ter semble pré­va­loir. Ce n’est plus de la pro­vo­ca­tion, ce n’est plus seu­le­ment non plus un mili­tan­tisme fort. On décou­vre pres­que malgré elle, film après film, une per­sonne pas­sion­née, qui veut exis­ter telle qu’elle est. Les autres n’ont qu’à la suivre. Elle ouvre un chemin. De Ouled Lénine à Même pas mal , en pas­sant par Laïcité inchal­lah , Nadia cons­truit ou assume devant nous son iden­tité, une iden­tité peu com­mune. Peut-être n’avait-elle d’autre choix que de s’affir­mer ? Peut-être a-t-elle uti­lisé le médium ciné­ma­to­gra­phi­que pour exis­ter comme per­sonne ?
En tout cas, les objets films sont là, cir­cu­lent, par­lent pour elle, pour nous, inter­pel­lent. Dans ce film émouvant et intel­li­gent qu’est Même pas mal, réa­lisé avec assu­rance, Nadia parle d’une parole claire, assu­rée et hon­nête. Elle n’a plus besoin de crier. Il était juste de pro­gram­mer les deux films l’un après l’autre, afin de mesu­rer l’impres­sion­nant chemin par­couru en trois ans par cette femme excep­tion­nelle : poli­ti­que­ment, artis­ti­que­ment, et en tant que per­sonne. On aime ou on aime pas. On admire. Elle déclen­che les affects, - ça oui, on le voit ! - mais à tra­vers cela, elle donne à penser, réflé­chir et même, agir.

Caroline Pochon

Avec pres­que rien de Lova Nantenaina, 2013, 52’, France / Madagascar
Production : Endemika Films
Contact : Autantic Films, autan­tic­films chez gmail.com, +33 (0)6 25 47 23 85

Au temps des lit­chis de Julie Anne Melville, 2013, 26’, France / Madagascar
Campus B5 de Mohamed Ali Ivesse, 2013, 26’, France / Madagascar
Les Enfants de la péri­phé­rie de Gilde Razafitsihadinoina, 2013, 26’, France / Madagascar
Production : Ardèche Images Production, Les films de Lili,
Cinaps TV
Contact : Ardèche Images Production, aiprod chez wana­doo.fr, +33 (0)4 75 94 26 16

Obalé le chas­seur de Faissol Gnonlonfin, 2012, 52’, France / Bénin
Production : Vie des Hauts pro­duc­tion, Maggia Images
Contact : contact chez vie-des-hauts-pro­duc­tion.com, +33 (0)3 81 47 15 47

Avant l’audience de Kouka Aimé Zongo et Yssouf Kousse, 2013, 52’, France / Burkina Faso
Production : Zaradoc, Focus
Contact : Zaradoc Distribution yves.billon chez zara­doc.com, +33 (0)1 74 73 40 50

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