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L’image des femmes maliennes à travers le regard d’un cinéaste : Cheick Oumar Sissoko
Publié le : mercredi 10 janvier 2007

De Nyamanton à Finzan, en passant par Guimba, La Genèse et Battù, la filmographie de Cheick Oumar Sissoko offre une diversité de visages de femmes. C’est Saran, mère de trois enfants, analphabète et bonne à tout faire, c’est Nanyuma, paysanne voulant échapper au mariage forcé, c’est Fili, jeune fille non excisée qui doit se confronter à la coutume villageoise, c’est Salla Niang qui porte la bonne parole grâce à son expérience de la vie.

Cheick Oumar Sissoko a dédié son film Finzan à la femme afri­caine. À tra­vers lui, il rend hom­mage à la femme qui lutte. Il prend aussi partie pour la défense des droits de la femme. Dans ce texte, nous sou­hai­tons mettre en lumière ces per­son­na­ges fic­tifs de femmes malien­nes en les repla­çant dans le contexte du Mali d’aujourd’hui.


Cheick Oumar Cissoko

Un viru­lent hom­mage à la femme qui lutte

« Nous enfan­tons le monde. Il nous vio­lente. Nous créons la vie. Elle nous est refu­sée. Nous pro­dui­sons les vivres mangés à notre insu. Nous créons la richesse. Elle est uti­li­sée contre nous. » Ces phra­ses sont celles de Nanyuma, per­son­nage prin­ci­pal du film Finzan de Cheick Oumar Sissoko. Dans ces cris lancés, il met le doigt sur l’iné­ga­lité de par­ti­ci­pa­tion des femmes à la défi­ni­tion des struc­tu­res poli­ti­ques et économiques et au pro­ces­sus de pro­duc­tion. En effet, il s’agit spé­ci­fi­que­ment de l’impos­si­bi­lité d’accès des femmes à la pro­priété fon­cière et de l’incer­ti­tude des droits de jouis­sance des terres alors que les femmes par­ti­ci­pent de plus en plus à la sécu­rité ali­men­taire, notam­ment depuis les gran­des séche­res­ses de 1973 et de 1984. Justement, dans le film Finzan, les femmes pren­nent posi­tion contre les auto­ri­tés qui veu­lent ache­ter le mil à bas prix. L’une d’entre elles lance : « Dugutigi, les femmes veu­lent parler ! Nous savons que vous ne nous aimez pas ! Beaucoup de ces femmes ont trimé comme bonnes dans les villes pour vous autres qui croyez avoir le monde. Ton ami crâne avec un boubou qui coûte près de 200 000 francs gagnés sur la misère des pau­vres. Nous n’avons pas ça en cinq ans. Aussi on ne se tuera plus pour des gens comme vous. »

En fait, les femmes au Mali ont aug­menté les acti­vi­tés agri­co­les per­son­nel­les pour com­bler le défi­cit ali­men­taire de la famille. On assiste ainsi à une trans­for­ma­tion du tra­vail fémi­nin se tra­dui­sant par une accen­tua­tion de la pré­sence des femmes dans la pro­duc­tion ali­men­taire et le ren­for­ce­ment de leur rôle de pour­voyeu­ses de la famille. Cependant, de façon géné­rale, au Mali, la cou­tume reconnaît aux chefs de famille le droit de gérer la terre et tous les autres uti­li­sa­teurs dont les femmes doi­vent se conten­ter d’un droit d’accès. Par ailleurs, la pro­duc­tion agri­cole se fai­sant col­lec­ti­ve­ment à l’inté­rieur de la famille, la pos­si­bi­lité pour les femmes d’accé­der à des terres dépend de la situa­tion de la famille dans le vil­lage mais aussi dans la région. Au sein de la famille, l’exploi­ta­tion col­lec­tive des terres permet dif­fi­ci­le­ment aux indi­vi­dus, hommes et femmes, de culti­ver per­son­nel­le­ment la terre. Toutefois, dans ce contexte peu pro­pice à l’exploi­ta­tion indi­vi­duelle de la terre, les femmes sont défa­vo­ri­sées quant à leur posi­tion pour négo­cier l’obten­tion de par­cel­les. Les rela­tions hommes / femmes s’avè­rent donc un fac­teur essen­tiel dans l’ana­lyse de l’accès des femmes aux terres agri­co­les et aux autres res­sour­ces natu­rel­les.


Scène de Finzan

À cela, il faut rete­nir que les femmes malien­nes souf­frent de leur faible degré d’éducation et d’alpha­bé­ti­sa­tion. Dans Nyamanton, le per­son­nage de Saran, la mère du petit Khalifa, est anal­pha­bète et bonne à tout faire à Bamako. Le petit garçon demande à son père : « Papa, pour­quoi mère n’a pas aussi un jour de repos ? » et le père de répon­dre : « Les bonnes n’ont aucun statut. Elles sont à la merci des gens. » En fait, les causes de la sous-sco­la­ri­sa­tion des filles au Mali sont nom­breu­ses. Il s’agit à la fois de causes socio­cultu­rel­les, économiques et ins­ti­tu­tion­nel­les. L’éducation tra­di­tion­nelle cons­ti­tue dans une cer­taine mesure un frein à la sco­la­ri­sa­tion des filles. Les parents sont hos­ti­les à l’école parce qu’ils pen­sent qu’elle est le vec­teur d’une culture étrangère, alors que la fille est appe­lée à garder la tra­di­tion cultu­relle et à trans­met­tre aux géné­ra­tions futu­res cette iden­tité cultu­relle. Par ailleurs, la mère a la charge de l’éducation de la fille qui gran­dit à son ombre ; avec l’école, celle-ci échappe à son contrôle pen­dant une longue période de la jour­née de l’année. De plus, le coût de l’école, les frais d’héber­ge­ment aux logeurs, de nour­ri­ture, de manuels sco­lai­res, les coo­pé­ra­ti­ves uni­for­mes sont des motifs de décou­ra­ge­ment, voire d’aban­don. Parallèlement, l’école consa­cre trop de temps aux connais­san­ces intel­lec­tuel­les au détri­ment des connais­san­ces pra­ti­ques. Dans Nyamanton, la petite fille de la famille vend des oran­ges. Elle pleure sur son sort et rêve d’aller à l’école pour sortir de sa condi­tion.

Dans ses films, Cheick Oumar Sissoko rend hom­mage à toutes ces femmes qui lut­tent, qu’elles soient pay­san­nes ou bonnes à tout faire. Il met le doigt sur les nom­breu­ses dis­cri­mi­na­tions qui tou­chent les femmes. Dans Finzan, une petite fille demande : « Les femmes sont des humai­nes ou des escla­ves ? »

Pourtant, les femmes du Mali ont une impor­tance pri­mor­diale dans la vie économique, poli­ti­que et sociale du pays. Les femmes cons­ti­tuent la majo­rité numé­ri­que de la popu­la­tion malienne, soit plus de 51 %. En fait, la très longue expé­rience du mou­ve­ment fémi­nin malien est la mani­fes­ta­tion éloquente que les femmes malien­nes ont tou­jours cons­ti­tué une force poli­ti­que et économique impor­tante qui a marqué l’his­toire du Mali de son empreinte indé­lé­bile.

Dans la lutte anti­co­lo­niale, les femmes malien­nes ont lar­ge­ment contri­bué à la sen­si­bi­li­sa­tion et à la mobi­li­sa­tion des masses autour de leurs lea­ders res­pec­tifs. En outre, pour défen­dre leurs droits et lutter contre les dis­cri­mi­na­tions à leur égard, les femmes sala­riées se sont orga­ni­sées en syn­di­cats et en orga­ni­sa­tions pro­fes­sion­nel­les. Enfin, sur le plan conti­nen­tal, les malien­nes jouè­rent un rôle actif dans les pre­miers mou­ve­ments pana­fri­cains des femmes. Le pre­mier Congrès des Femmes de l’Ouest Africain eut lieu en juillet 1959 à Bamako. Si cet enga­ge­ment des femmes ne s’est pas tra­duit à l’acces­sion du Mali à l’indé­pen­dance par une forte pré­sence des femmes dans les ins­tan­ces de déci­sion à tous les niveaux, il a permis l’adop­tion de textes qua­li­fiés de révo­lu­tion­nai­res à l’époque en leur faveur. La Constitution de 1960 inter­dit toutes dis­cri­mi­na­tions basées sur le sexe et accorde à tous les citoyens les droits civi­ques. En 1962, le Code du mariage et de la tutelle exige le consen­te­ment de la femme au mariage, lui accorde le droit de deman­der le divorce, le droit à la garde des enfants et une pen­sion ali­men­taire. Seulement, après l’eupho­rie des indé­pen­dan­ces, le suren­det­te­ment du conti­nent afri­cain, la séche­resse qui a frappé les pays du Sahel pen­dant plus d’une décen­nie, la crise économique mon­diale ont fait que le Mali a évolué dans un contexte par­ti­cu­liè­re­ment défa­vo­ra­ble aux femmes. Les ser­vi­ces de la dette, la chute des recet­tes liées aux acti­vi­tés agri­co­les, ont privé des mil­lions d’enfants, sur­tout des fillet­tes, d’éducation, de soins de santé et condamné des popu­la­tions à la pau­vreté.

Dès 1982, le Mali a dû passer des accords avec le FMI et la Banque Mondiale pour sta­bi­li­ser sa balance des paie­ments et restruc­tu­rer son économie en vue de sa relance. Les mesu­res pré­co­ni­sées dans ce cadre, dimi­nu­tion et pla­fon­ne­ment de la masse sala­riale, pri­va­ti­sa­tion des entre­pri­ses publi­ques, le gel de recru­te­ment des jeunes diplô­més, la baisse des dépen­ses à carac­tère social ont été dure­ment res­sen­ties par la popu­la­tion en géné­ral et les femmes en par­ti­cu­lier. Ce sont en effet les femmes qui, dans les ména­ges, doi­vent réin­ven­ter quo­ti­dien­ne­ment les solu­tions de survie avec le licen­cie­ment des chefs de famille. Les mesu­res d’ajus­te­ment struc­tu­rel ont été com­plé­tées le 12 jan­vier 1994 par la déva­lua­tion de 50 % du franc CFA. Les femmes vivent quo­ti­dien­ne­ment cette nou­velle mesure avec l’aug­men­ta­tion du prix des pro­duits de pre­mière néces­sité et des médi­ca­ments.

Le vent de démo­cra­tie qui a souf­flé sur le monde au début des années 90 a eu des réper­cus­sions sur la situa­tion socio-poli­ti­que du Mali. En effet, en mars 1991, les malien­nes ont exprimé leur refus de la dic­ta­ture mili­taire en s’impli­quant dans des mani­fes­ta­tions qui ont coûté la vie à des dizai­nes d’entre elles. L’avè­ne­ment de la démo­cra­tie au Mali a permis aux femmes de prou­ver leur déter­mi­na­tion de pren­dre en charge leur propre des­ti­née par la créa­tion d’asso­cia­tions de toutes sortes. Pour sou­te­nir cette volonté, le gou­ver­ne­ment malien a adopté une nou­velle poli­ti­que de pro­mo­tion des femmes qui impli­que les asso­cia­tions et ONG fémi­ni­nes à la mise en œuvre de l’action gou­ver­ne­men­tale et a pro­cédé à des nomi­na­tions de femmes à des postes tra­di­tion­nel­le­ment réser­vés à des hommes.

Ainsi, si l’ins­tau­ra­tion du mul­ti­par­tisme a favo­risé l’émergence de nom­breu­ses asso­cia­tions fémi­ni­nes apo­li­ti­ques qui met­tent toutes l’accent sur l’amé­lio­ra­tion des condi­tions de vie des femmes urbai­nes et rura­les, de nom­breux pro­grès res­tent à faire. Dans le film Finzan, Nanyuma pousse un cri du cœur : « Nous femmes sommes comme des oiseaux sans arbre pour nous poser. L’espoir s’est éteint. Une seule chose nous reste : nous lever et atta­cher nos pagnes. Le pro­grès de nos socié­tés est lié à notre libé­ra­tion. ». Justement, dans le film Battù, Cheick Oumar Sissoko offre un beau per­son­nage de femme qui lutte. Il s’attarde en effet sur le per­son­nage de Salla Niang. Ancienne bonne à tout faire, seule avec ses deux enfants, Salla Niang porte la bonne parole grâce à son expé­rience de la vie. Femme de carac­tère, fière et géné­reuse, c’est autour d’elle que se fédè­rent les men­diants. Organisant le groupe, elle gère notam­ment les ton­ti­nes. Fière mais humaine, elle est res­pec­tée de tous les hommes qui gra­vi­tent autour d’elle.

Sissoko se moque cepen­dant des bour­geoi­ses qui se lais­sent entre­te­nir par leur mari. C’est le cas notam­ment dans le film Nyamanton. Le petit Khalifa raille les femmes faus­ses, qui refu­sent de vieillir. Il lance : « Il n’y a que lou­fo­que­rie chez les riches. » Dans le film Battù, Sine, la seconde épouse de Mour Ndiaye, haut fonc­tion­naire, est le per­son­nage de femme le plus ambigü de toute la fil­mo­gra­phie de Cheick Oumar Sissoko. Jeune, elle cher­che à pro­vo­quer son mari. « Ta tête est rasée, ce rouge à lèvres, tout cela m’irrite ! », lui dit Mour. Indépendante, sou­te­nant les jeunes étudiants venus mani­fes­ter, elle se fait pour­tant entre­te­nir par son mari.


Scène du film Battù

Dans ce film, Cheick Oumar montre bien la dif­fé­rence qui existe entre les femmes sou­mi­ses par le poids de leur éducation et celles qui se bat­tent pour s’extraire des car­cans sociaux. Alors que Lolli Ndiaye, la pre­mière femme de Mour, est entiè­re­ment dévouée à son mari, sa fille Raabi est une étudiante enga­gée. Elle aime les dis­cus­sions inter­mi­na­bles avec les copains sur les grands pro­blè­mes qui agi­tent le monde : la guerre, l’exploi­ta­tion des petits pays par les puis­san­ces, l’injus­tice qui règne en maître, la déshu­ma­ni­sa­tion des socié­tés. Dans le film Battù, on la voit mili­ter avec ses amis devant le minis­tère contre les mesu­res prises par son père contre les men­diants. Elle sou­tient également sa mère dans ses pro­blè­mes de couple. Étudiante en scien­ces juri­di­ques, c’est une jeune femme éprise de jus­tice et de paix. Ainsi Sissoko montre que le chan­ge­ment vien­dra sur­tout grâce à l’évolution des men­ta­li­tés. En cela, l’éducation reste un enjeu de taille pour la société malienne à venir.

La défense des droits de la femme

Au Mali, la souf­france des femmes est glo­ri­fiée dans les chan­sons popu­lai­res. Un refrain connu de tous raconte que les hommes qui réus­sis­sent sont les enfants de femmes qui se sont sou­mi­ses et ont souf­fert. Dans tous ses films, Cheick Oumar Sissoko insiste sur la vio­lence conju­gale et les maria­ges forcés. Au Mali, une femme sur deux est mariée à l’âge de 16 ans et 45 % des femmes vivent sous un régime poly­game. Dans son film Guimba, un tyran, une époque, Cheick Oumar montre que la libé­ra­tion des femmes vien­dra avec l’ère de la démo­cra­tie. En effet, lors­que l’his­toire com­mence, on apprend qu’une jeune femme, Kani, fut fian­cée dès sa nais­sance au fils nain de Guimba. Grâce à la révolte du peuple contre sa propre oppres­sion, Kani sera mariée libre­ment, les chas­seurs ayant défié le pou­voir. Quant à l’esclave Sadio, elle sera affran­chie. De fait, avec le chan­ge­ment poli­ti­que opéré depuis 1991, bien des choses ont changé au Mali, notam­ment en ce qui concerne le pro­blème de l’exci­sion.

Dans son film Finzan réa­lisé en 1989, Cheick Oumar Sissoko dénon­çait déjà ce pro­blème. Fili est une jeune fille non exci­sée qui va devoir subir le poids de la tra­di­tion. Elle essaie pour­tant de se défen­dre. « Les cita­di­nes sont mobi­li­sées contre l’exci­sion. C’est une mau­vaise chose. » Elle se voit répon­dre par une vieille femme : « Parole de connas­ses aux poi­gnets cer­clés d’or. Elles n’ont que ça à faire. » En fait, 93 % des femmes au Mali sont exci­sées. Or, en 1997, le minis­tère de la pro­mo­tion de la femme a créé le comité natio­nal contre la vio­lence per­pé­trée à l’égard des femmes en col­la­bo­ra­tion avec toutes les ONG pré­sen­tes sur le ter­rain. Durant plus d’un an, les ONG ont pu enquê­ter et cons­ti­tuer un rap­port de recom­man­da­tions qu’elles ont remis au minis­tère en octo­bre 1998 et qui concer­nait les muti­la­tions géni­ta­les en par­ti­cu­lier. Le gou­ver­ne­ment a ainsi élaboré deux plans d’action pour éliminer ce fléau, étalés jusqu’en 2008. La pre­mière phase pro­gram­mée pour la période allant de 1999 à 2004 concen­tre son opé­ra­tion sur l’éducation et la pro­pa­ga­tion de l’infor­ma­tion concer­nant les méfaits de cette pra­ti­que au niveau de la santé des femmes mais aussi ceux causés sur la cel­lule fami­liale. La deuxième phase se dérou­lera de 2004 à 2008 et sera consa­crée à l’adop­tion de nou­vel­les lois en faveur des femmes et de l’élimination de la pra­ti­que de l’exci­sion. La démar­che est simple : infor­mer, réé­du­quer les indi­vi­dus, hommes, femmes et enfants afin que les lois, ins­tau­rées par la suite, puis­sent être res­pec­tées et uti­li­sées le plus pos­si­ble. Outre ce pro­gramme natio­nal, des grou­pes de femmes, à l’ori­gine d’ini­tia­ti­ves loca­les, reven­di­quent de plus en plus leurs droits en matière de res­pon­sa­bi­li­tés fami­lia­les et socia­les, notam­ment en matière d’accès au loge­ment ou à la pro­priété fon­cière.

Car, il faut bien le dire, l’émancipation des malien­nes, la reconnais­sance de leur rôle au sein de la famille et de la société appar­tien­nent à un début de réa­lité qu’il est indis­pen­sa­ble de déve­lop­per. La femme malienne assume tra­di­tion­nel­le­ment la ges­tion quo­ti­dienne des affai­res domes­ti­ques et ses com­pé­ten­ces sont mul­ti­ples dans ce domaine : ména­gère, pay­sanne au champ, ven­deuse au marché, arti­sane dans des ate­liers de pote­rie. Des ini­tia­ti­ves loca­les, menées par des asso­cia­tions diver­ses, ten­tent de répan­dre l’idée que la santé de la femme et sa place dans la société sont indis­pen­sa­bles à la crois­sance géné­rale du pays. Cependant, cer­tai­nes pra­ti­ques cou­tu­miè­res et tra­di­tion­nel­les met­tent un frein à d’autres envo­lées pro­met­teu­ses. Ainsi, l’une d’entre elles fait que des enfants, issus d’un couple, soient la pro­priété du mari. Les déci­sions les concer­nant sont sou­vent prises, sans être trop dis­cu­tées, par les frères et sœurs ou les parents du mari. La mère a rare­ment le droit d’inter­ve­nir ! Quant à l’avenir des filles, il est élaboré en dehors de toute sco­la­rité, ce qui limite dra­ma­ti­que­ment leur inser­tion future au sein même de la vie sociale du pays. Les filles nais­sent pour deve­nir, dans la plu­part des cas, l’une des épouses d’un mari sou­vent non désiré. La poly­ga­mie reste donc également une cou­tume encore répan­due au Mali et fait partie d’une des dis­cri­mi­na­tions tou­jours per­pé­trées à l’égard des femmes. En outre, la vio­lence dont elles sont vic­ti­mes, aussi bien sur le plan géné­ral que sur le plan fami­lial, n’est pas reconnue ni condam­née par aucune loi en vigueur. Seul un plan d’action natio­nal existe rela­tif aux droits des femmes malien­nes avec des ser­vi­ces d’aide qui sont dis­po­ni­bles, sur­tout dans les gran­des villes.

Ainsi, dans ses deux films, Finzan et Guimba, Cheick Oumar Sissoko dénonce les maria­ges forcés et la vio­lence conju­gale qui exis­tent au Mali. Alors que Kani doit être mariée de force au fils du tyran Guimba, Nanyuma dans Finzan se sou­lève contre la pra­ti­que du lévi­rat. Dans ce film, comme dans son film La Genèse, Sissoko dénonce le poids de la famille et de la tra­di­tion bam­bara. En effet, dans son film La Genèse qui est une adap­ta­tion dans le Mali d’aujourd’hui des textes sacrés, le conflit naît de l’union de Dina, la fille de Jacob, l’éleveur, avec Sichem, le fils d’Hamor, l’agri­culteur. Lors d’une longue pala­bre sous le toguna entre les émissaires de Jacob et ceux d’Hamor, l’un des fils de Jacob lance : « Aucune ber­gère n’épousera un paysan. Aucun berger n’épousera de pay­sanne. Ce sera un pacte invio­la­ble entre nous. Ainsi les fron­tiè­res seront tra­cées. Nous sau­rons qui est qui. Celui qui enfrein­dra la règle sera jugé fautif de la guerre. Voilà le pacte de paix que je te pro­pose, moi l’aîné des fils de Jacob. » Dans cette scène, Sissoko dénonce la pra­ti­que des maria­ges forcés et l’inter­dic­tion dans beau­coup de famil­les malien­nes, pour les filles comme pour les gar­çons, de choi­sir libre­ment son conjoint. Dans une inter­view qu’il nous a accor­dée en jan­vier 98 à Hombori sur le lieu de tour­nage de son film La Genèse, il s’expli­que notam­ment sur la pra­ti­que du lévi­rat.


La genèse

« Le lévi­rat est une forme de mariage que l’on retrouve dans La Genèse, dans le clan de Jacob. Je vous ren­voie à cette scène sous le toguna, là où la pala­bre s’est ins­tal­lée. On assiste au grand débal­lage de tous les clans et l’on com­prend que le pre­mier fils de Juda a épousé une dame, Tamar. Au décès de ce fils, c’est son cadet qui l’a épousé. Cette pra­ti­que remonte ainsi à l’époque de nos patriar­ches. En fait, le lévi­rat, c’est l’obli­ga­tion pour une femme d’épouser le cadet de son mari défunt. C’est une pra­ti­que qui conti­nue aujourd’hui et dans la majo­rité des eth­nies du Mali. Tout ceci pour essayer de garder la cohé­sion de la famille mais aussi les forces vives de la famille, la femme et ses enfants. Cela pose aussi la ques­tion de l’héri­tage. Le Patriarche est le res­pon­sa­ble de toute la famille et c’est lui qui doit déci­der de cette ques­tion. La com­mu­nauté des biens est encore une réa­lité dans les zones rura­les. »

Dans le film Finzan, Nanyuma, veuve et vic­time du lévi­rat, tente pour­tant de se révol­ter contre sa condi­tion. Toute la com­mu­nauté tente de la rai­son­ner. Une femme lui lance : « Nanyuma, nous enfan­tons le monde et il nous vio­lente. Patience et rési­gna­tion sont nos recours. » Par ses films, Sissoko sug­gère ainsi de façon expli­cite le manque de dia­lo­gue qui existe entre les hommes et les femmes. Il montre les nom­breu­ses vio­len­ces conju­ga­les dont les femmes sont vic­ti­mes. En plus d’actes qui se tra­dui­sent par des coups et des bles­su­res et de la vio­lence sexuelle faite de har­cè­le­ment et d’agres­sion, il existe au Mali une série de com­por­te­ments abu­sifs dont les mani­fes­ta­tions ne sont pas tou­jours appa­ren­tes. La vio­lence ver­bale, comme les insul­tes et les mena­ces et la vio­lence psy­cho­lo­gi­que en sont les prin­ci­pa­les mani­fes­ta­tions. Le Mali, à l’instar de nom­breux pays, vit le pro­blème des femmes bat­tues. Cette situa­tion est géné­ra­le­ment invi­si­ble, dans la mesure où les vic­ti­mes dénon­cent rare­ment les auteurs des coups et bles­su­res. Elles ont peur de la réac­tion de la société (mari, belle famille et même leur propre famille). Il n’existe pas de don­nées chif­frées en la matière, mais ces genres de vio­len­ces sont dénon­cés de plus en plus par les jour­naux, les asso­cia­tions et ONG fémi­ni­nes.

En guise de conclu­sion et au regard des films du cinéaste Cheick Oumar Sissoko, nous pou­vons avan­cer que la situa­tion des femmes malien­nes ne fait pas état d’une avan­cée évidente. Malgré des lois votées en leur faveur, ces der­niè­res res­tent vic­ti­mes de la tra­di­tion. Elles ont tout de même le droit de se réunir, de parler de leur avenir et des chan­ge­ments qui doi­vent s’opérer en leur faveur dans la société, notam­ment depuis la chute du gou­ver­ne­ment dic­ta­to­rial de Moussa Traoré sur­ve­nue en 1991. Elles ont le droit de se faire enten­dre dans l’enceinte d’asso­cia­tions créées à cet effet, d’élaborer des pro­jets et des reven­di­ca­tions qui remon­tent par­fois jusqu’aux oreilles et aux yeux du gou­ver­ne­ment et du chef de l’Etat. Toutefois, Sissoko montre bien à tra­vers ces films que de nom­breux pro­grès res­tent à faire quant à la défense des droits de la femme. C’est une véri­ta­ble réconci­lia­tion entre hommes et femmes qu’il fau­drait essayer de pro­mou­voir et au-delà, la com­mu­ni­ca­tion entre eux. De cette com­mu­ni­ca­tion vien­dra la libé­ra­tion future des femmes malien­nes.

Sophie Hoffelt

Filmographie de Cheick Oumar Sissoko
Nyamanton, la leçon des ordu­res, 90 mn, 16 mm, coul, fic­tion, 1986
Finzan, 107 mn, 16 mm gonflé en 35 mm, coul, fic­tion, 1989
Guimba, un Tyran, une Epoque, 93 mn, 35 mm, coul, fic­tion, 1994
La Genèse, 100 mn, 35 mm, coul, fic­tion, 1998

Battù, lm, 35 mm, coul, fic­tion, 2000

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