Regard de Michèle
Publié le : dimanche 16 décembre 2007
Fespaco 2007



Michèle SOLLE est une grande ciné­phile fran­çaise.
A l’occa­sion de ce fes­paco, elle nous pro­pose son regard
sur le Festival et sur les ciné­mas d’Afrique.





Mercredi 28 février
Code Phoenix ou Coup d’état mode d’emploi

Pour qui fait-on des films ? A quel public s’ adresse le réa­li­sa­teur ?
La ques­tion se pose au Fespaco comme ailleurs mais ici, de façon plus aigue. Et Boubacar Diallo y répond sim­ple­ment : « Je fais des films pour le grand public ». Et le grand public, il connaît !

Boubacar Diallo n’ est autre que le direc­teur du Journal du Jeudi, heb­do­ma­daire saty­ri­que bien connu à OUaga. Imaginez-vous le direc­teur du Canard Enchaîné qui se mêle­rait de faire des films ! Vous y êtes. En 2003, ce grand ama­teur de polars, s’ est emparé d’ une caméra numé­ri­que, entouré d’ une équipe d’ acteurs effi­ca­ces, attelé à l’ écriture de scé­na­rios réjouis­sants. Le résul­tat ne s’ est pas fait atten­dre, le public afflue dans les salles.

Code Phoenix, sorti en 2005, a déjà rem­porté des prix dans des fes­ti­vals qui ne dédai­gnent par la pro­duc­tion numé­ri­que. Le Fespaco ne pou­vant plus long­temps igno­rer les oeu­vres d’ un réa­li­sa­teur qui fait reve­nir le public devant le grand écran, l’ a sélec­tionné cette année .Mais, rançon de la gloire, pour figu­rer dans la com­pé­ti­tion offi­cielle long métrage, Diallo il a du faire kino­sco­per son film. Ce qui lui a coûté aussi cher que de le faire.

Pourquoi cette dic­ta­ture du 35mm ? Le débat est lancé depuis un bon bout de temps… A suivre.

Sacré Diallo, il connaît tout ! Les magouilles, les mani­pu­la­tions, les grands et petits tra­vers de ses conci­toyens, le ballet des papillons devant la lampe du pou­voir, les vrais faux gou­rous, le faux vrais révo­lu­tion­nai­res, les mani­pu­la­teurs mani­pu­lés, les étudiants enflam­més et cré­du­les, les tra­vers des hommes poli­ti­ques, avec et sans leur femme, les retour­ne­ments de vestes mieux que la muleta dans l’ arène, les chan­ge­ments d’ uni­forme, les titres ron­flants, le cynisme tran­quille( « c’ est pas moral mais c’ est légal entend-on »), les crimes gra­tuits, les allers et venues des media, les grands dis­cours et les peti­tes bas­ses­ses, à moins que ce ne soit le contraire.

Une démons­tra­tion brillante de ce qui peut arri­ver par­tout, tous les jours, en Afrique ou ailleurs, pourvu que l’ argent et la soif du pou­voir s’ en mêlent.

Avec une faconde jubi­la­toire, des acteurs épatants, men­tion très spé­ciale à Mathias Bayili, le géné­ral félon, Diallo vous embar­que dans cette his­toire tru­cu­lente. Des clins d’ oeil à tous les étages, cer­tains lisent le Journal du Jeudi, le pro­cu­reur, recher­ché par le pou­voir mili­taire, se déguise en peul, (Diallo, est peul, comme son nom l’ indi­que), le pre­mier minis­tre est une femme, le pré­si­dent en titre se « repose depuis des mois dans son vil­lage » et d’ autres, bien sûr, que seuls les Ouagalais peu­vent appré­cier.

A-t-on besoin d’ être sérieux pour faire réflé­chir ? Le diver­tis­se­ment qui vous amène dou­ce­ment à faire du ménage dans vos ménin­ges empous­sié­rés, c’ est la voix qu’ à choi­sie Diallo pour réveiller le cinéma afri­cain. Pour et avec les spec­ta­teurs d’ aujourd’ hui. Et même la cen­sure qui le laisse passer !

Jeudi 1er­mars
Un Matin Bonne Heure de Gahité Fofana, Guinée

Surprise ! D’ un fait divers qui fait 2 minu­tes au J.T. : deux ado­les­cents retrou­vés morts dans le train d’ atter­ris­sage d’ un avion pour la France. « Mais quelle hor­reur ! Tiens ! passe moi le sel ! » le réa­li­sa­teur vous livre un objet fra­gile, déli­cat voire léger. Comme son titre d’ ailleurs, dont on se demande s’ il n’ a pas souf­fert d’ une faute d’ impres­sion, ou si le jeu de mot est bien de mise. Matin Bonheur ? On ne com­prend pas tout ce que raconte leur copine, seul témoin de l’ aven­ture des deux copains.

La petite ven­deuse d’ ara­chi­des rivée à son étal, raconte ce qu’ elle en a su, vécu et vu depuis la cour de la maison où elle est, en quel­que sorte, assi­gnée à rési­dence. Sa voix timide se perd par­fois, ou bien elle prend le relai en soso, et les sous titres anglais ne dévoi­lent pas tout non plus. Comme si elle ne se résol­vait pas encore à donner une réa­lité à cette dis­pa­ri­tion. De petits mots chu­cho­tés comme un secret parce que l’ hor­reur serait trop grande convo­quée à haute voix.

Et, sur fond de chora, les images de Conakry, cares­sées de la plus belle lumière, ses rues, ses plages, ses mar­chés, ses bidon­vil­les, comme on feuillè­te­rait un beau livre d’ images. La pau­vreté certes, mais loin­taine, feu­trée.

Tout ici est ques­tion de dis­tance. De son ghetto, elle a suivi ses deux amis, leurs allées et venues. Leur rêve d’ ailleurs, leur vacance, leur ennui, leurs brouilles, leurs doutes, elle les a décryp­tés dans leur démar­che, leur façon d’ être avec elle ou de l’ igno­rer.

Autour d’ eux la famille, les autres. Chacun survit à sa manière. La faim com­mande, sauve qui peut ! Les enfants d’ ici font leur devoir sous les pro­jec­teurs de l’ aéro­port seul endroit éclairé.

Et un jour, ces enfants s’ envo­lent eux aussi, pas­sa­gers clan­des­tin, une lettre à la main.

Africa Paradis de Sylvestre Amoussou, Bénin

Rien ne peut rem­pla­cer une pro­jec­tion publi­que. Et celle d’ Africa Paradis dans une salle du Cinéma Burkina pleine d’ afri­cains res­tera long­temps en ma mémoire. Des hur­le­ments de rire, des cris de joie, une cathar­sis phé­no­mé­nale …

Nous sommes en 2033, l’ Europe n’ est plus que ruines, fami­nes et guer­res. Les Etats-Unis d’ Afrique sont l’ objet de toutes les convoi­ti­ses des blancs qui y veu­lent immi­grer pour attein­dre au rêve afri­cain. L’ his­toire s’ inverse. Jouissif ! Des blancs diplô­més, sans papiers, se ter­rent et se ven­dent pour rien sur des chan­tiers… Une blan­che instit se retrouve bien contente d’ être bon­ni­che dans la famille d’ un député qui prône la reconnais­sance des droits civi­ques aux tra­vailleurs immi­grés…

Une fable comme une bonne gifle. Tous les pon­cifs retour­nés comme un gant. Et le natio­na­lisme servi à la mode afri­caine, à la manière de…

La der­nière image comme un coup de poing : Pauline l’ instit, au moment de choi­sir entre pren­dre le char­ter pour la France avec Olivier, son com­pa­gnon retrouvé, choi­sira de rester en Afrique et dans le lit du député. Ah mais ! Il n’ y a pas loin, j’ ai entendu, « L’ amour, c’ est une affaire de blancs… ! » et je rajoute…qui peu­vent se le per­met­tre.

Juju Factory de Balufu Bakupa-Kayinda, RDC

Kongo Congo est écrivain. De natio­na­lité belge et vit à Bruxelles dans le quar­tier afri­cain de Matonge. Comment écrire quand l’ huis­sier vous pour­suit ? Comment parler du Congo, le pays d’ ori­gine ? Comment abor­der le sujet ? Sous quel angle ? Comment négo­cier avec un éditeur qui cher­che à attein­dre le grand public ? Comment vivre au jour le jour avec ces ques­tions ?

Comment faire un film sur ce sujet ? Et com­ment s’ y inté­res­ser, se demande le spec­ta­teur ?…qui compte le nombre de portes qui s’ ouvrent et se fer­ment, le nombre de pas dans la rue sans que ce quar­tier soit réel­le­ment révélé.

Un film qui traite de l’ inca­pa­cité sous toutes ses formes…

Question sub­si­diaire : que devien­nent les femmes de plus de trente cinq ans ? Il n’ y en a aucune dans ce film qui, ques­tions mecs, élargit pour­tant le panel.

Michèle Solle
www.clap­noir.org

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