Michèle SOLLE est une grande cinéphile française.
A l’occasion de ce fespaco, elle nous propose son regard
sur le Festival et sur les cinémas d’Afrique.
Mercredi 28 février
Code Phoenix ou Coup d’état mode d’emploi
Pour qui fait-on des films ? A quel public s’ adresse le réalisateur ?
La question se pose au Fespaco comme ailleurs mais ici, de façon plus aigue. Et Boubacar Diallo y répond simplement : « Je fais des films pour le grand public ». Et le grand public, il connaît !
Boubacar Diallo n’ est autre que le directeur du Journal du Jeudi, hebdomadaire satyrique bien connu à OUaga. Imaginez-vous le directeur du Canard Enchaîné qui se mêlerait de faire des films ! Vous y êtes. En 2003, ce grand amateur de polars, s’ est emparé d’ une caméra numérique, entouré d’ une équipe d’ acteurs efficaces, attelé à l’ écriture de scénarios réjouissants. Le résultat ne s’ est pas fait attendre, le public afflue dans les salles.
Code Phoenix, sorti en 2005, a déjà remporté des prix dans des festivals qui ne dédaignent par la production numérique. Le Fespaco ne pouvant plus longtemps ignorer les oeuvres d’ un réalisateur qui fait revenir le public devant le grand écran, l’ a sélectionné cette année .Mais, rançon de la gloire, pour figurer dans la compétition officielle long métrage, Diallo il a du faire kinoscoper son film. Ce qui lui a coûté aussi cher que de le faire.
Pourquoi cette dictature du 35mm ? Le débat est lancé depuis un bon bout de temps… A suivre.
Sacré Diallo, il connaît tout ! Les magouilles, les manipulations, les grands et petits travers de ses concitoyens, le ballet des papillons devant la lampe du pouvoir, les vrais faux gourous, le faux vrais révolutionnaires, les manipulateurs manipulés, les étudiants enflammés et crédules, les travers des hommes politiques, avec et sans leur femme, les retournements de vestes mieux que la muleta dans l’ arène, les changements d’ uniforme, les titres ronflants, le cynisme tranquille( « c’ est pas moral mais c’ est légal entend-on »), les crimes gratuits, les allers et venues des media, les grands discours et les petites bassesses, à moins que ce ne soit le contraire.
Une démonstration brillante de ce qui peut arriver partout, tous les jours, en Afrique ou ailleurs, pourvu que l’ argent et la soif du pouvoir s’ en mêlent.
Avec une faconde jubilatoire, des acteurs épatants, mention très spéciale à Mathias Bayili, le général félon, Diallo vous embarque dans cette histoire truculente. Des clins d’ oeil à tous les étages, certains lisent le Journal du Jeudi, le procureur, recherché par le pouvoir militaire, se déguise en peul, (Diallo, est peul, comme son nom l’ indique), le premier ministre est une femme, le président en titre se « repose depuis des mois dans son village » et d’ autres, bien sûr, que seuls les Ouagalais peuvent apprécier.
A-t-on besoin d’ être sérieux pour faire réfléchir ? Le divertissement qui vous amène doucement à faire du ménage dans vos méninges empoussiérés, c’ est la voix qu’ à choisie Diallo pour réveiller le cinéma africain. Pour et avec les spectateurs d’ aujourd’ hui. Et même la censure qui le laisse passer !
Jeudi 1ermars
Un Matin Bonne Heure de Gahité Fofana, Guinée
Surprise ! D’ un fait divers qui fait 2 minutes au J.T. : deux adolescents retrouvés morts dans le train d’ atterrissage d’ un avion pour la France. « Mais quelle horreur ! Tiens ! passe moi le sel ! » le réalisateur vous livre un objet fragile, délicat voire léger. Comme son titre d’ ailleurs, dont on se demande s’ il n’ a pas souffert d’ une faute d’ impression, ou si le jeu de mot est bien de mise. Matin Bonheur ? On ne comprend pas tout ce que raconte leur copine, seul témoin de l’ aventure des deux copains.
La petite vendeuse d’ arachides rivée à son étal, raconte ce qu’ elle en a su, vécu et vu depuis la cour de la maison où elle est, en quelque sorte, assignée à résidence. Sa voix timide se perd parfois, ou bien elle prend le relai en soso, et les sous titres anglais ne dévoilent pas tout non plus. Comme si elle ne se résolvait pas encore à donner une réalité à cette disparition. De petits mots chuchotés comme un secret parce que l’ horreur serait trop grande convoquée à haute voix.
Et, sur fond de chora, les images de Conakry, caressées de la plus belle lumière, ses rues, ses plages, ses marchés, ses bidonvilles, comme on feuillèterait un beau livre d’ images. La pauvreté certes, mais lointaine, feutrée.
Tout ici est question de distance. De son ghetto, elle a suivi ses deux amis, leurs allées et venues. Leur rêve d’ ailleurs, leur vacance, leur ennui, leurs brouilles, leurs doutes, elle les a décryptés dans leur démarche, leur façon d’ être avec elle ou de l’ ignorer.
Autour d’ eux la famille, les autres. Chacun survit à sa manière. La faim commande, sauve qui peut ! Les enfants d’ ici font leur devoir sous les projecteurs de l’ aéroport seul endroit éclairé.
Et un jour, ces enfants s’ envolent eux aussi, passagers clandestin, une lettre à la main.
Africa Paradis de Sylvestre Amoussou, Bénin
Rien ne peut remplacer une projection publique. Et celle d’ Africa Paradis dans une salle du Cinéma Burkina pleine d’ africains restera longtemps en ma mémoire. Des hurlements de rire, des cris de joie, une catharsis phénoménale …
Nous sommes en 2033, l’ Europe n’ est plus que ruines, famines et guerres. Les Etats-Unis d’ Afrique sont l’ objet de toutes les convoitises des blancs qui y veulent immigrer pour atteindre au rêve africain. L’ histoire s’ inverse. Jouissif ! Des blancs diplômés, sans papiers, se terrent et se vendent pour rien sur des chantiers… Une blanche instit se retrouve bien contente d’ être bonniche dans la famille d’ un député qui prône la reconnaissance des droits civiques aux travailleurs immigrés…
Une fable comme une bonne gifle. Tous les poncifs retournés comme un gant. Et le nationalisme servi à la mode africaine, à la manière de…
La dernière image comme un coup de poing : Pauline l’ instit, au moment de choisir entre prendre le charter pour la France avec Olivier, son compagnon retrouvé, choisira de rester en Afrique et dans le lit du député. Ah mais ! Il n’ y a pas loin, j’ ai entendu, « L’ amour, c’ est une affaire de blancs… ! » et je rajoute…qui peuvent se le permettre.
Juju Factory de Balufu Bakupa-Kayinda, RDC
Kongo Congo est écrivain. De nationalité belge et vit à Bruxelles dans le quartier africain de Matonge. Comment écrire quand l’ huissier vous poursuit ? Comment parler du Congo, le pays d’ origine ? Comment aborder le sujet ? Sous quel angle ? Comment négocier avec un éditeur qui cherche à atteindre le grand public ? Comment vivre au jour le jour avec ces questions ?
Comment faire un film sur ce sujet ? Et comment s’ y intéresser, se demande le spectateur ?…qui compte le nombre de portes qui s’ ouvrent et se ferment, le nombre de pas dans la rue sans que ce quartier soit réellement révélé.
Un film qui traite de l’ incapacité sous toutes ses formes…
Question subsidiaire : que deviennent les femmes de plus de trente cinq ans ? Il n’ y en a aucune dans ce film qui, questions mecs, élargit pourtant le panel.
Michèle Solle
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Clap Noir
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