La chronique de Sophie
Publié le : samedi 15 décembre 2007
Fespaco 2007


Je suis Sophie Perrin, membre de Clap Noir. Je par­ti­cipe pour la pre­mière fois au Fespaco. Je par­ta­ge­rai avec vous mes impres­sions tout au long de cette ving­tième édition à tra­vers ma chro­ni­que.




Mardi 20 Février 8h00, Heure locale.
J’arrive à Ouagadougou après le péri­ple sans sur­prise mais plein de rebon­dis­se­ments d’un vol char­ter pour l’Afrique. Dans le petit matin, la cha­leur qui s’éveille m’aver­tit déjà de la menace de sa mor­sure. Je m’attends à trou­ver la ville dans l’énergie par­ti­cu­lière de celles qui atten­dent et pré­pa­rent un événement impor­tant.
L’aéro­port est minus­cule. Nous sommes le seul vol à l’arri­vée à cette heure mati­nale et inha­bi­tuelle en raison des retards accu­mu­lés. Une forme de paix sur­pre­nante baigne le petit ter­mi­nal. Une attente digne de Pénélope s’engage au bord du tapis des baga­ges. Que se passe-t-il ? Ah ! Voilà enfin mon sac. Dehors le pauvre Mao m’attend depuis 6h00 du matin, bien qu’il n’ait pas l’air de s’offus­quer pour autant. En route…

Dehors, près de la porte prin­ci­pale des sor­ties, se trouve le par­king à « motos » où déjà un nombre impor­tant de boli­des est garé. Mao récu­père son bien et nous voilà che­vau­chant l’emblé­ma­ti­que mode de trans­port Ouagalais, un lourd et encom­brant sac de voya­ges en proue de notre embar­ca­tion. Comme on me l’avait raconté, un flot de deux roues s’acca­pare les artè­res du centre ville. Je suis heu­reuse de m’y fondre, contem­plant avec béa­ti­tude chaque détail du décor. Plus tard j’irai à la ren­contre de ces inconnus pour échanger avec eux. Je suis impa­tiente de savoir ce que repré­sente pour eux cet événement dont je me suis fait une joie, et qui a pro­vo­qué mon pre­mier séjour bur­ki­nabé. Le temps d’une courte détente à l’hôtel, et d’un rafraî­chis­se­ment de cir­cons­tance, je laisse le jour s’affir­mer avant d’aller braver l’agi­ta­tion de la fin de mati­née.

En ville la spi­rale bleue au design un peu kitsch de l’affi­che de cette 20° édition du Fespaco est par­tout. Chaque car­re­four est doté d’un large pan­neau publi­ci­taire, les com­mer­ces affi­chent une ver­sion plus réduite…

Mercredi 21 Février
A la ter­rasse du Festin, un café jeune du centre ville, chacun est dési­reux de parler de cinéma en appre­nant que je suis jour­na­liste, venue cou­vrir le Fespaco. D’aucuns me racontent des sou­ve­nirs d’éditions pré­cé­den­tes ; d’autres m’expli­quent à quoi m’atten­dre entre main­te­nant et le début des fes­ti­vi­tés. « Ils atten­dent 4000 per­son­nes venues spé­cia­le­ment ; il y aura des alle­mands, des fran­çais, des ita­liens… et même des amé­ri­cains ! » Le mot est lâché. Je sens l’exci­ta­tion dans la bouche de mon inter­lo­cu­teur lorsqu’il pro­nonce cet adjec­tif appa­rem­ment magi­que ! « C’est la 20° édition, tu te rends compte. ça fait 40 ans de Fespaco… Bon, ici le Fespaco n’est pas non plus le seul événement, il y a le SIAO – Salon International de l’arti­sa­nat de Ouagadougou -, la semaine natio­nale de la culture, les nuits aty­pi­ques à Koudougou, Ouaga Hip Hop… Mais quand même c’est vrai­ment le Fespaco qui est le plus impor­tant ». Et chacun de com­men­ter la sélec­tion et l’avan­ce­ment des pré­pa­ra­tifs.
Les plus inté­res­sés, ceux qui comp­tent assis­ter aux pro­jec­tions, s’inter­ro­gent sur le ciné Burkina, salle de pro­jec­tion prin­ci­pale de la com­pé­ti­tion, en réfec­tion, et dont les tra­vaux doi­vent être ter­mi­nés avant le début du Festival, c’est à dire dans deux jours ! La salle devrait accueillir 600 per­son­nes et cer­tains des temps forts du fes­ti­val. A ma grande sur­prise, elle n’est pas la seule salle de cinéma, au moins deux autres sont en acti­vité et la popu­la­tion les fré­quente. 40 ans de Fespaco sem­blent bien avoir marqué cette géné­ra­tion de jeunes ciné­phi­les.

Jeudi 22 Février.
Lors d’une dis­cus­sion animée à l’heure du déjeu­ner comme en ont sou­vent les jeunes oua­ga­lais, Innocent me confie son opi­nion quant aux pers­pec­ti­ves de déve­lop­pe­ment du pays. « Nous, au Burkina, c’est grâce à la culture qu’on peut exis­ter dans le monde. Notre économie n’est rien. Nous n’avons pas d’indus­trie. Sur le plan poli­ti­que ou mili­taire, nous sommes sans pou­voir. Ce que les gens connais­sent du Burkina à l’exté­rieur, c’est la musi­que, l’arti­sa­nat et sur­tout, le cinéma. C’est là-dessus qu’on doit tra­vailler. C’est le meilleur poten­tiel qu’on ait. Tu n’as qu’à voir com­bien de gens arri­vent sou­dai­ne­ment comme toi sou­dai­ne­ment chez nous pour suive le fes­ti­val… Pour la plu­part ce sont des gens qui ne seraient jamais venus sinon, mais sou­vent ils se plai­sent ; cer­tains revien­nent même après, en dehors des dates du Fespaco ».

A Radio Horizon, la pre­mière radio libre du conti­nent afri­cain, située en plein centre ville et bien connue des oua­ga­lais, je ren­contre Thierry Ky, ani­ma­teur vedette d’un talk show dédié aux rela­tions amou­reu­ses : « confi­dence pour confi­dence ». L’homme est une vraie célé­brité, son émission est la plus écoutée du pays. D’une sta­ture impres­sion­nante, il fait réson­ner à tue-tête sa voix enri­chie en méga-watts pour répon­dre avec sim­pli­cité et bon­ho­mie aux sol­li­ci­ta­tions sans fin des voi­sins et badauds. Animateur de plu­sieurs pro­gram­mes et bavard invé­téré, Thierry sait pren­dre le pouls de sa chère capi­tale. Alors que je lui fais part de mes impres­sions, il nuance gen­ti­ment, de tout le poids de sa longue expé­rience. « Tu sais, ceux qui s’inté­res­sent de près au cinéma sont dans l’attente parce que c’est la 20° édition et qu’il y quand même eu beau­coup de com­mu­ni­ca­tion avec les affi­ches et même le clip TV ! (Il rit) Mais à vrai dire pour la plu­part des gens il y a fran­che­ment d’autres préoc­cu­pa­tions prio­ri­tai­res. Les coûts de la sco­la­ri­sa­tion ont encore aug­menté, de plus en plus d’enfants sont dés­co­la­ri­sés et les gens sont inquiets. Et puis regarde, là – Je me retourne et aper­çoit une façade cri­blée d’impacts de balles – c’est le sou­ve­nir de l’alter­ca­tion entre mili­tai­res et poli­ciers en décem­bre der­nier… ça a fait du bruit ! Non, cette année le Fespaco a été moins suivi que les autres années, en tous cas c’est ce que je crois ».

Vendredi 23 Février
Lentement mais sûre­ment, le fes­ti­val se dote du carac­tère d’événement unique que je m’étais ima­giné. De plus en plus de tou­ris­tes peu­plent les rues du centre ville, les ter­ras­ses des cafés en sont le reflet. Au Centre Culturel Français, à la veille de l’ouver­ture, le ballet des camé­ras et des micros se tient sans dis­conti­nuer. Les repor­ters de tout poil se sont, à l’évidence, lancés dans une quête effré­née à l’info iné­dite. Au siège du fes­ti­val on n’entre plus de véhi­cule sans badge. Les cou­loirs du nou­veau bâti­ment sont le lieu d’allées et venues désor­don­nées, et la file d’attente au bureau des accré­di­ta­tions atteint désor­mais du matin au soir des lon­gueurs à décou­ra­ger les ciné­phi­les les plus cou­ra­geux.

Dehors, de petits maquis s’ins­tal­lent dans ce centre névral­gi­que, assu­rant la convi­via­lité de la semaine à venir. Toujours pas de pro­gramme détaillé, en revan­che ; ici cela ne semble étonner per­sonne. « La rou­tine », me confient les habi­tués à qui je fais part de mon étonnement à ce sujet. A moi d’embras­ser l’atmo­sphère désin­volte qui plane sur ces ren­contres ciné­ma­to­gra­phi­ques, donc ! Qu’à cela ne tienne, qui vivra verra…

Les der­niers fes­ti­va­liers sont en route, qu’ils arri­vent par le gou­dron ou par la voie des airs. De retour à mon hôtel dans la soirée, je cons­tate que le trot­toir désert que je connais est envahi de 4x4 impo­sants en pro­ve­nance du Mali voisin. Premiers couacs du côté des réser­va­tions… L’affluence occa­sionne la décep­tion de cer­tains des nou­veaux arri­vants qui devront se cher­cher un autre pied-à-terre malgré leurs réser­va­tions. Chacun veut tirer le meilleur profit des fes­ti­vi­tés. Il est clair que l’acti­vité tou­ris­ti­que géné­rée par cette célé­bra­tion du 7° art ne laisse pas de glace les hôte­liers du coin.

Samedi 24 Février.
La jour­née de samedi est mar­quée par la tra­di­tion­nelle céré­mo­nie d’ouver­ture, au stade du 4 Août. Depuis le matin, on ne parle que de ça dans les rues du centre. Le spec­ta­cle ne com­men­cera que vers 17 heures, et pour­tant chacun s’apprête à se rendre sur les lieux des heures en avance, car on attend une affluence ter­ri­ble, comme c’est le cas à chaque fois.

La foule est venue saluer en direct l’arri­vée de l’événement qui occupe les esprits. Un spec­ta­cle mêlant artis­tes et offi­ciels d’ici et d’ailleurs atteste du com­men­ce­ment effec­tif des réjouis­san­ces, sous l ‘œil bien­veillant des médias du monde entier et le haut patro­nage de Son Excellence Blaise Compaoré, Président de la République du Faso.

Passe-droit de cir­cons­tance, tout un pan des tri­bu­nes réserve son aspect aux « badgés ». Une entré nous est réser­vée, sépa­rant les pri­vi­lé­giés que nous sommes de la masse popu­leuse des quel­que 30 000 oua­ga­lais venus pro­fi­ter de l’occa­sion qui leur est donnée d’assis­ter gra­tui­te­ment à un spec­ta­cle comme ils n’en voient, au mieux, que trop rare­ment. Il s’agit comme on l’ima­gine des meilleurs empla­ce­ments, don­nant direc­te­ment au-dessus de la scène montée sur le gazon du stade. Tout se dérou­lera donc juste sous nos pieds, et les jour­na­lis­tes s’agglu­ti­nent déjà le long des bar­riè­res qui déli­mi­tent l’espace scé­ni­que. Sur la scène, un clap géant attend d’âtre uti­lisé. Comme le mar­teau annon­çant l’ouver­ture d’une audience, il don­nera le coup d’envoi de cette semaine de ciné­phi­lie.

Le pro­gramme se com­pose de nom­breu­ses inter­ven­tions d’artis­tes bur­ki­nabé et étrangers. Tour à tour, les artis­tes sont appe­lés par le pré­sen­ta­teur, sur un ton qui dénote de l’enthou­siasme zélé et sala­rié. A grands coups de voix, on chauffe l’audience dont le nombre ne cesse de croî­tre, jusqu’à 20 heures au moins. Son Excellence Blaise Compaoré n’est tou­jours pas arrivé et le spec­ta­cle, dans un pre­mier temps, semble n’avoir d’autre réelle voca­tion que de faire patien­ter les pre­miers arri­vés, le temps que le stade se rem­plisse et que la nuit tombe. Les chan­teurs suc­cè­dent aux dan­seurs tra­di­tion­nels, une chan­son est même inter­pré­tée par un boys band de mili­tai­res qui exé­cu­tent autour du stade une cho­ré­gra­phie soi­gneu­se­ment répé­tée, en pre­nant des airs de jeunes pre­miers et en sou­riant exa­gé­ré­ment à la foule encore dis­traite. Les petits mou­ve­ments de bras et de jambes de ces uni­for­mes kaki me lais­sent une impres­sion lit­té­ra­le­ment sur­réa­liste. Miriam, une jeune assis­tante de pro­duc­tion avec qui je suis le spec­ta­cle s’étonne de ma sur­prise. « Chez vous les mili­tai­res ne font pas ça ? ». Certes non, je ne pense pas… Jamais eu vent de ça en tous cas, je ne crois pas que ça soit envi­sa­gea­ble en France ! Ma réponse et plus encore l’air sidéré qui est le mien la fait rire ; déci­dé­ment, ces fran­çais sont sur­pris d’un rien…

Alors que le jour décline, le groupe de Rap star de la scène bur­ki­nabé, Yeleen, vient inter­pré­ter un mor­ceau que tous les jeunes atten­daient avec impa­tience. Miriam attrape ma main : « Ecoute. Ecoute les paro­les. Oh ! Moi, cette chan­son, à chaque fois que je l’écoute elle me donne la chair de poule. Ecoute tu vas voir, ils sont incroya­bles ». Le mor­ceau s’appelle Dar es Salam, c’est un brûlot poli­ti­que sur les injus­ti­ces qui régis­sent la poli­ti­que inter­na­tio­nale. On y parle de Bus et de l’Irak, de Chirac, mais sur­tout et c’est plus étonnant de La côte d’Ivoire toute proche, du cas de la Casamance ; même M. Compaoré est direc­te­ment invec­tivé. « Cette chan­son n’est pas faite pour plaire », qu’on se le dise, donc.

Plus solen­nels, les dis­cours de Madame la Ministre de la Culture, des Arts et du Tourisme, et celui de Baba Hama, Président du Fespaco depuis de lon­gues années rap­pel­lent les ambi­tions et les réa­li­sa­tions pas­sées du Festival Panafricain du Cinéma de Ouagadougou. Le prix Fellini sera même remis au Fespaco par un émissaire de l’Unesco. C’est la troi­sième fois que ce prix est décerné. Le fes­ti­val rejoint donc le cercle plus que res­treint de Cannes et Marakech. La nou­velle fait son effet.

Avant de dévoi­ler les bandes-annon­ces des films de long métrage en com­pé­ti­tion offi­cielle et de pré­sen­ter les cinéas­tes qui en sont les auteurs, on accueille en grande pompe une troupe de danses tra­di­tion­nel­les de Tahiti. Guerriers et vahi­nés font le show, obte­nant l’adhé­sion immé­diate du public, conquis. Le spec­ta­cle se ter­mine dans une apo­théose pyro­tech­ni­que, dif­fu­sée en direct de même que l’ensem­ble de la céré­mo­nie sur la télé­vi­sion natio­nale.

Sophie Perrin

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