Je suis Sophie Perrin, membre de Clap Noir. Je participe pour la première fois au Fespaco. Je partagerai avec vous mes impressions tout au long de cette vingtième édition à travers ma chronique.
Mardi 20 Février 8h00, Heure locale.
J’arrive à Ouagadougou après le périple sans surprise mais plein de rebondissements d’un vol charter pour l’Afrique. Dans le petit matin, la chaleur qui s’éveille m’avertit déjà de la menace de sa morsure. Je m’attends à trouver la ville dans l’énergie particulière de celles qui attendent et préparent un événement important.
L’aéroport est minuscule. Nous sommes le seul vol à l’arrivée à cette heure matinale et inhabituelle en raison des retards accumulés. Une forme de paix surprenante baigne le petit terminal. Une attente digne de Pénélope s’engage au bord du tapis des bagages. Que se passe-t-il ? Ah ! Voilà enfin mon sac. Dehors le pauvre Mao m’attend depuis 6h00 du matin, bien qu’il n’ait pas l’air de s’offusquer pour autant. En route…
Dehors, près de la porte principale des sorties, se trouve le parking à « motos » où déjà un nombre important de bolides est garé. Mao récupère son bien et nous voilà chevauchant l’emblématique mode de transport Ouagalais, un lourd et encombrant sac de voyages en proue de notre embarcation. Comme on me l’avait raconté, un flot de deux roues s’accapare les artères du centre ville. Je suis heureuse de m’y fondre, contemplant avec béatitude chaque détail du décor. Plus tard j’irai à la rencontre de ces inconnus pour échanger avec eux. Je suis impatiente de savoir ce que représente pour eux cet événement dont je me suis fait une joie, et qui a provoqué mon premier séjour burkinabé. Le temps d’une courte détente à l’hôtel, et d’un rafraîchissement de circonstance, je laisse le jour s’affirmer avant d’aller braver l’agitation de la fin de matinée.
En ville la spirale bleue au design un peu kitsch de l’affiche de cette 20° édition du Fespaco est partout. Chaque carrefour est doté d’un large panneau publicitaire, les commerces affichent une version plus réduite…
Mercredi 21 Février
A la terrasse du Festin, un café jeune du centre ville, chacun est désireux de parler de cinéma en apprenant que je suis journaliste, venue couvrir le Fespaco. D’aucuns me racontent des souvenirs d’éditions précédentes ; d’autres m’expliquent à quoi m’attendre entre maintenant et le début des festivités. « Ils attendent 4000 personnes venues spécialement ; il y aura des allemands, des français, des italiens… et même des américains ! » Le mot est lâché. Je sens l’excitation dans la bouche de mon interlocuteur lorsqu’il prononce cet adjectif apparemment magique ! « C’est la 20° édition, tu te rends compte. ça fait 40 ans de Fespaco… Bon, ici le Fespaco n’est pas non plus le seul événement, il y a le SIAO – Salon International de l’artisanat de Ouagadougou -, la semaine nationale de la culture, les nuits atypiques à Koudougou, Ouaga Hip Hop… Mais quand même c’est vraiment le Fespaco qui est le plus important ». Et chacun de commenter la sélection et l’avancement des préparatifs.
Les plus intéressés, ceux qui comptent assister aux projections, s’interrogent sur le ciné Burkina, salle de projection principale de la compétition, en réfection, et dont les travaux doivent être terminés avant le début du Festival, c’est à dire dans deux jours ! La salle devrait accueillir 600 personnes et certains des temps forts du festival. A ma grande surprise, elle n’est pas la seule salle de cinéma, au moins deux autres sont en activité et la population les fréquente. 40 ans de Fespaco semblent bien avoir marqué cette génération de jeunes cinéphiles.
Jeudi 22 Février.
Lors d’une discussion animée à l’heure du déjeuner comme en ont souvent les jeunes ouagalais, Innocent me confie son opinion quant aux perspectives de développement du pays. « Nous, au Burkina, c’est grâce à la culture qu’on peut exister dans le monde. Notre économie n’est rien. Nous n’avons pas d’industrie. Sur le plan politique ou militaire, nous sommes sans pouvoir. Ce que les gens connaissent du Burkina à l’extérieur, c’est la musique, l’artisanat et surtout, le cinéma. C’est là-dessus qu’on doit travailler. C’est le meilleur potentiel qu’on ait. Tu n’as qu’à voir combien de gens arrivent soudainement comme toi soudainement chez nous pour suive le festival… Pour la plupart ce sont des gens qui ne seraient jamais venus sinon, mais souvent ils se plaisent ; certains reviennent même après, en dehors des dates du Fespaco ».
A Radio Horizon, la première radio libre du continent africain, située en plein centre ville et bien connue des ouagalais, je rencontre Thierry Ky, animateur vedette d’un talk show dédié aux relations amoureuses : « confidence pour confidence ». L’homme est une vraie célébrité, son émission est la plus écoutée du pays. D’une stature impressionnante, il fait résonner à tue-tête sa voix enrichie en méga-watts pour répondre avec simplicité et bonhomie aux sollicitations sans fin des voisins et badauds. Animateur de plusieurs programmes et bavard invétéré, Thierry sait prendre le pouls de sa chère capitale. Alors que je lui fais part de mes impressions, il nuance gentiment, de tout le poids de sa longue expérience. « Tu sais, ceux qui s’intéressent de près au cinéma sont dans l’attente parce que c’est la 20° édition et qu’il y quand même eu beaucoup de communication avec les affiches et même le clip TV ! (Il rit) Mais à vrai dire pour la plupart des gens il y a franchement d’autres préoccupations prioritaires. Les coûts de la scolarisation ont encore augmenté, de plus en plus d’enfants sont déscolarisés et les gens sont inquiets. Et puis regarde, là – Je me retourne et aperçoit une façade criblée d’impacts de balles – c’est le souvenir de l’altercation entre militaires et policiers en décembre dernier… ça a fait du bruit ! Non, cette année le Fespaco a été moins suivi que les autres années, en tous cas c’est ce que je crois ».
Vendredi 23 Février
Lentement mais sûrement, le festival se dote du caractère d’événement unique que je m’étais imaginé. De plus en plus de touristes peuplent les rues du centre ville, les terrasses des cafés en sont le reflet. Au Centre Culturel Français, à la veille de l’ouverture, le ballet des caméras et des micros se tient sans discontinuer. Les reporters de tout poil se sont, à l’évidence, lancés dans une quête effrénée à l’info inédite. Au siège du festival on n’entre plus de véhicule sans badge. Les couloirs du nouveau bâtiment sont le lieu d’allées et venues désordonnées, et la file d’attente au bureau des accréditations atteint désormais du matin au soir des longueurs à décourager les cinéphiles les plus courageux.
Dehors, de petits maquis s’installent dans ce centre névralgique, assurant la convivialité de la semaine à venir. Toujours pas de programme détaillé, en revanche ; ici cela ne semble étonner personne. « La routine », me confient les habitués à qui je fais part de mon étonnement à ce sujet. A moi d’embrasser l’atmosphère désinvolte qui plane sur ces rencontres cinématographiques, donc ! Qu’à cela ne tienne, qui vivra verra…
Les derniers festivaliers sont en route, qu’ils arrivent par le goudron ou par la voie des airs. De retour à mon hôtel dans la soirée, je constate que le trottoir désert que je connais est envahi de 4x4 imposants en provenance du Mali voisin. Premiers couacs du côté des réservations… L’affluence occasionne la déception de certains des nouveaux arrivants qui devront se chercher un autre pied-à-terre malgré leurs réservations. Chacun veut tirer le meilleur profit des festivités. Il est clair que l’activité touristique générée par cette célébration du 7° art ne laisse pas de glace les hôteliers du coin.
Samedi 24 Février.
La journée de samedi est marquée par la traditionnelle cérémonie d’ouverture, au stade du 4 Août. Depuis le matin, on ne parle que de ça dans les rues du centre. Le spectacle ne commencera que vers 17 heures, et pourtant chacun s’apprête à se rendre sur les lieux des heures en avance, car on attend une affluence terrible, comme c’est le cas à chaque fois.
La foule est venue saluer en direct l’arrivée de l’événement qui occupe les esprits. Un spectacle mêlant artistes et officiels d’ici et d’ailleurs atteste du commencement effectif des réjouissances, sous l ‘œil bienveillant des médias du monde entier et le haut patronage de Son Excellence Blaise Compaoré, Président de la République du Faso.
Passe-droit de circonstance, tout un pan des tribunes réserve son aspect aux « badgés ». Une entré nous est réservée, séparant les privilégiés que nous sommes de la masse populeuse des quelque 30 000 ouagalais venus profiter de l’occasion qui leur est donnée d’assister gratuitement à un spectacle comme ils n’en voient, au mieux, que trop rarement. Il s’agit comme on l’imagine des meilleurs emplacements, donnant directement au-dessus de la scène montée sur le gazon du stade. Tout se déroulera donc juste sous nos pieds, et les journalistes s’agglutinent déjà le long des barrières qui délimitent l’espace scénique. Sur la scène, un clap géant attend d’âtre utilisé. Comme le marteau annonçant l’ouverture d’une audience, il donnera le coup d’envoi de cette semaine de cinéphilie.
Le programme se compose de nombreuses interventions d’artistes burkinabé et étrangers. Tour à tour, les artistes sont appelés par le présentateur, sur un ton qui dénote de l’enthousiasme zélé et salarié. A grands coups de voix, on chauffe l’audience dont le nombre ne cesse de croître, jusqu’à 20 heures au moins. Son Excellence Blaise Compaoré n’est toujours pas arrivé et le spectacle, dans un premier temps, semble n’avoir d’autre réelle vocation que de faire patienter les premiers arrivés, le temps que le stade se remplisse et que la nuit tombe. Les chanteurs succèdent aux danseurs traditionnels, une chanson est même interprétée par un boys band de militaires qui exécutent autour du stade une chorégraphie soigneusement répétée, en prenant des airs de jeunes premiers et en souriant exagérément à la foule encore distraite. Les petits mouvements de bras et de jambes de ces uniformes kaki me laissent une impression littéralement surréaliste. Miriam, une jeune assistante de production avec qui je suis le spectacle s’étonne de ma surprise. « Chez vous les militaires ne font pas ça ? ». Certes non, je ne pense pas… Jamais eu vent de ça en tous cas, je ne crois pas que ça soit envisageable en France ! Ma réponse et plus encore l’air sidéré qui est le mien la fait rire ; décidément, ces français sont surpris d’un rien…
Alors que le jour décline, le groupe de Rap star de la scène burkinabé, Yeleen, vient interpréter un morceau que tous les jeunes attendaient avec impatience. Miriam attrape ma main : « Ecoute. Ecoute les paroles. Oh ! Moi, cette chanson, à chaque fois que je l’écoute elle me donne la chair de poule. Ecoute tu vas voir, ils sont incroyables ». Le morceau s’appelle Dar es Salam, c’est un brûlot politique sur les injustices qui régissent la politique internationale. On y parle de Bus et de l’Irak, de Chirac, mais surtout et c’est plus étonnant de La côte d’Ivoire toute proche, du cas de la Casamance ; même M. Compaoré est directement invectivé. « Cette chanson n’est pas faite pour plaire », qu’on se le dise, donc.
Plus solennels, les discours de Madame la Ministre de la Culture, des Arts et du Tourisme, et celui de Baba Hama, Président du Fespaco depuis de longues années rappellent les ambitions et les réalisations passées du Festival Panafricain du Cinéma de Ouagadougou. Le prix Fellini sera même remis au Fespaco par un émissaire de l’Unesco. C’est la troisième fois que ce prix est décerné. Le festival rejoint donc le cercle plus que restreint de Cannes et Marakech. La nouvelle fait son effet.
Avant de dévoiler les bandes-annonces des films de long métrage en compétition officielle et de présenter les cinéastes qui en sont les auteurs, on accueille en grande pompe une troupe de danses traditionnelles de Tahiti. Guerriers et vahinés font le show, obtenant l’adhésion immédiate du public, conquis. Le spectacle se termine dans une apothéose pyrotechnique, diffusée en direct de même que l’ensemble de la cérémonie sur la télévision nationale.
Sophie Perrin
Clap Noir
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