Pour sa cinquième édition, le festival du film africain de Berlin donne la parole aux réalisatrices et réalisateurs sur leur vision de la femme, mais aussi du monde, de l’Afrique, de leur art.
Alex Moussa Sawadogo, son fondateur, nous parle de la genèse de son projet, de son évolution et des défis à relever.
Pourquoi avoir choisi ce thème « La femme, devant et derrière l’écran » ?
La question me trottait dans la tête depuis longtemps. Pour cette cinquième édition, il était donc temps de rendre grâce à cette femme africaine, qui se bat sur tous les fronts. C’était aussi l’occasion de battre en brèche l’idée selon laquelle cette femme africaine est oisive, moins créative et sans ambition. Nous avons de très bonnes comédiennes, des auteures, des productrices, des directrices de casting, des monteuses et dans tous les métiers du cinéma, les femmes sont autant capables que les hommes et les femmes de tous les continents. Mais dès le début, l’idée n’était pas de faire un festival de films de femmes mais plutôt un festival où la femme serait au cœur du débat. Mais la question doit aussi être posée par les hommes, pour confronter deux regards différents. De même, nous ne nous sommes pas restreints aux thèmes traditionnels, comme la condition de la femme, la liberté, l’excision. Nous traitons des femmes au cœur de la création artistique, des questions politiques, de l’actualité du monde et du futur l’Afrique.
Comment cela se traduit-il dans la sélection des films ?
Nous aurons en film d’ouverture « Sur la planche », le film de la réalisatrice Leila Kilani, présenté à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes. Il s’agit là d’un film de femmes sur les femmes, dans lequel se ressentent les prémices des révolutions arabes. Yasmina Adi, dans son documentaire « Ici on noie les algériens » n’est en revanche pas là pour parler des femmes mais pour poser de réelles questions politiques. Nous présenterons aussi de la Sud africaine Sarah Blecher « Otelo Burning ». Ainsi que des courts métrages du Mozambique, un documentaire du béninois Idrissou Mora Kpaï « Indochine, sur les traces d’une mère »... Au total, on nous soumet 300 à 400 films par an, ce qui est bien pour un petit festival. La sélection s’appuie bien sûr sur le respect du thème, mais pas seulement. Pour moi, l’origine du réalisateur est importante. Afrikamera doit d´abord donner la parole aux réalisateurs africains. Enfin, la qualité artistique du film est primordiale, car à Berlin, le public est critique.
Qui est-il ce public, la diaspora africaine ou des Allemands curieux de la culture du continent noir ?
Sans hésitation, le public allemand. C´est ce public loin des réalités africaines que je veux convaincre. Ce public qui voit l´Afrique uniquement à travers la caméra d’Arte ou la ZDF. Bien sûr que l’Afrique est pauvre et qu’elle a des problèmes, mais la nouvelle Afrique qui bouge, qui avance selon son rythme existe ! Et ça, les Africains en sont déjà conscients.
Comment vous est venue l’idée de créer ce festival annuel du film africain dans la capitale allemande ?
Je suis arrivé à Berlin il y a dix ans et il était évident qu’il y manquait quelque chose de l’Afrique. Toutes les grandes villes occidentales comme Londres, Madrid, avaient leur festival africain, mais pas ici. De plus, la ville accueille chaque année la Berlinale, où les films africains sont rares et où il est difficile d’obtenir une place dès qu´il est programmé. Il était donc plus que nécessaire de créer une plateforme pour le cinéma africain. Il est utopique de considérer Berlin comme une ville multiculturelle, alors que, dans le même temps, l’Afrique a du mal à s’implanter. Soit par manque de volonté politique ou par manque d’engagement de la communauté africaine. Pour moi, il était donc évident que pour que la politique culturelle s’y intéresse, il fallait que la diaspora fasse le premier pas. Etant donné que j’ai travaillé dans le cinéma et que j’ai suivi des études de management culturel, j’en avais les capacités. Je me suis donc entouré d’une bonne équipe et nous nous sommes lancés.
Et cinq ans après, comment jugez-vous son évolution ?
Après cinq ans d’affilée, c’est déjà une belle surprise d’être toujours là. On peut dire qu’on a ajouté quelque chose au cinéma africain à Berlin. Mais aujourd’hui, même si Afrikamera est sur de bons rails, nous ne sommes jamais sûrs d’être là l’année suivante. Nous devons à chaque fois repartir à la recherche de partenaires. Certains, comme le GIZ (société allemande de coopération internationale), TV5Monde, l’Institut Goethe, Heinrich Böll Stiftung nous suivent d’année en année. D’autres non. Cette fois, nous avons réussi à accrocher le fond culturel de la ville de Berlin. Mais le budget reste non fixé d’une année sur l’autre. La recherche des financements commence donc 14 ou 15 mois avant le festival suivant. Notre terrain d’action s’élargit également. En 2012, nous avons fait un Focus Afrikamera au festival du film de Hambourg en présentant quelques films. La salle était hypercomble et l’intérêt visible. Tout en restant à Berlin, nous avons donc décidé de nous délocaliser sur quelques villes, dans la région de Nuremberg, à Munich et si possible dans d´autres villes. L’objectif est d’aller à la rencontre du public allemand, qui n’a pas la chance de venir à la Berlinale, pour lui montrer une autre Afrique à travers un autre cinéma.
Et que conseilleriez-vous à une personne qui souhaiterait se lancer dans une telle aventure ?
Donne-toi du temps ! Prépare tout très minutieusement, le concept, les partenaires, l’organisation. Car au travers de ces événements, nous véhiculons une image. Si cela se passe bien, que les gens sont contents, pas de problème. Mais s’il est mal organisé, chaotique, les gens vont penser : « Ah, voilà, encore une fois l’Afrique et les africains ! ». Or, nous sommes capables de le faire, et de le faire bien !
Propos recueillis par Gwénaëlle Deboutte
Berlin, novembre 2012
Photo : Alex Moussa Sawadogo
Originaire du Burkina Faso, Alex Moussa Sawadogo est arrivé dans la capitale allemande il y a dix ans. Après un cursus d’histoire de l’art et après avoir travaillé dans le cinéma dans son pays, il entame des études de management culturel à Berlin. Aujourd’hui, en parallèle d’Afrikamera et ses activités de programmateur de cinéma, il gère aussi un festival de danse africaine contemporaine, qui a lieu tous les deux ans.
Programmation
13 novembre, Sur la Planche (On the edge), Leila Kilani (Maroc, France, Allemagne)
- 14 novembre, Otelo Burning, Sara Blecher, (Afrique du Sud)
Indochine sur les traces d’une mère (Indochina, Traces of a Mother), Idrissou Mora Kpai, (France, Bénin)
- 15 novembre, Mozambique Shorts (courts-métrages, Mozambique), Imani , Caroline Kamya (Ouganda, Suède)
- 16 novembre, Robert Mugabe – What Happened ?, Simon Bright, (Zimbabwe, Afrique du Sud, Grande-Bretagne) Weibsbilder “African Sisters of the Screen
- 17 novembre, Conférence, les femmes dans le cinéma africain, Witches of Gambaga, Yaba Badoe (Ghana), Ramata, Léandre-Alain Baker (Sénégal)
- 18 novembre, Ici on noie les Algériens 17 octobre 1961, Yasmina Adi, Charismatic Area Girl from Lagos : One Small Step / Scent of the streets, Remi Vaughan-Richards (Nigéria), Une femme pas comme les autres, Abdoulaye Dao (Burkina Faso)
Afrikamera à Berlin du 11 au 18 novembre
site web d’[Afrikamera]
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