Hasard ou nécessité de la programmation ? Les longs métrages de fiction traitaient de la guerre, au Mali pour Sissako, en Algérie pour Salem ; les documentaires s’attachaient à des femmes en lutte, Ken Bugul l’écrivaine sénégalaise victime de préjugés de tous types dans son propre pays et des femmes tutsies qui témoignaient avec leur enfant de 20 ans fruit des viols qu’elles ont subis pendant le génocide.
Quant aux courts métrages, ils étaient dédiés à la jeunesse : Souvenirs d’enfance pour Cédric Ido, grandi à Ouagadougou sous l’ère Sankara dans Twaaga, et d’adolescence pour Les Jours d’avant , chronique d’un quartier algérois avant l’explosion de 1990. Traque des sans papiers en France sous forme d’un rapport médical pour Aïssa et découverte d’une réalité culturellement insupportable par un jeune de la banlieue parisienne dans Le Retour.
La jeunesse des courts...
De ce tableau on détachera le poétique Twaaga. Un film qu’on voudrait garder en bouche longtemps : 1985,Sankara à Ouaga, les discours, la poussière, l’ambiance qu’on aime, les interrogations de Manu, 8ans, lecteur de bandes dessinées, sur l’identité réelle des héros et qui ira jusqu’à détourner le Faso Dan Fani de son père, (tenue de coton local baptisé « Sankara arrive ») pour s’en faire un costume. Le succès au coin de la rue pour Cédric Ido, jeune réalisateur.
Même démarche pour Karim Moussaoui, dans Les Jours d’avant avec une tonalité plus mélancolique : souvenirs d’un adolescent de banlieue où on s’ennuie ferme entre copains et filles lointaines, Alger, 1990, juste avant que n’éclate la guerre civile. Nostalgie des derniers instants de calme avant l’irrémédiable, et qui, avec le recul, font figure de paradis perdu. Une caméra sensible.
Les deux jeunes dans Aïssa, de Clément Tréhin-Lalanne et Willy de Yohann Kouam, sont, sur le sol français, eux. Pas pour longtemps pour Aïssa : en 8 minutes chrono et la lecture d’un rapport médical, se joue le sort d’une jeune congolaise sans papiers, elle annonce 17 ans, le médecin, consciencieux, prouve le contraire …On s’incline devant l’écriture !
Dans Le Retour , Willy, français de France a maille à partir avec le plus grand des tabous de l’univers des banlieues : l’homosexualité . Qui le touche de près. La découverte, ressentie comme une agression personnelle par le jeune garçon , fait exploser l’harmonie familiale. Yohann Kouam analyse le processus de violence qui en découle.
Les femmes des docs...
Ken Bugul, l’écrivaine sénégalaise était doublement à Gindou : à l’écran car le film de Silvia Voser lui est entièrement dédié, et devant le public pour la tchatche qui suivit la projection. Pour beaucoup, une découverte. Portrait d’une femme hors normes, entre deux siècles, deux continents, deux cultures. Ken Bugul : personne n’en veut, son nom de naissance. Dernière enfant d’une fratrie de 18, un père aveugle de 85 ans et une mère qui la délaisse, Ken Bugul la rebelle, va fuir sa blessure originelle, dans les études et la conquête de sa liberté, en 68. En Belgique d’abord, en France ensuite, pays où, mendiante de l’amour, elle se livre à tous les excès. Rejetée par les siens à son retour au pays, elle se réfugiera dans l’écriture de romans autobiographiques qui feront scandale au Sénégal. Aujourd’hui, reconnue et respectée elle jette un regard désenchanté sur son pays où la culture s’appauvrit.
Sa production littéraire rythme désormais sa vie : « Je suis passée de la nécessité à la passion » dira cette belle femme devant un auditoire conquis.
Silvia Voser, productrice d’Idrissa Ouegraogo, de Djibril Diop Mambety, et autres pointures, n’a pas résisté à la fascination. Elle livre son documentaire, le premier et le seul, inspiré de l’œuvre littéraire de Ken Bugul, un voyage poétique aux confins de l’âme humaine, entre luttes et éblouissement de sens. La parole d’une femme enfin apaisée.
Rwanda, la vie après de Benoit Delvaux et André Versailles
Aux antipodes du précédent. Paroles de mères : six femmes tutsies, victimes de viols se confient devant la caméra de Benoit Delvaux (par ailleurs cadreur des Frères Dardenne et présent à Gindou).
Il a été contacté par André Versailles pour les rencontrer au sein de l’association créée par une hutu modérée, une Juste dont le mari a été assassiné lors du génocide.
Vingt ans qui n’ont rien réglé : les femmes violées sont à jamais au ban de la société. Celles-ci ont quelque chose en plus : un enfant ! Et deux d’entre elles témoignent en leur. Un jeune homme, une jeune fille, qui n’ignorent rien de leur origine et tentent de s’inventer une vie de famille.
Pour transcrire l’indicible, Benoit Dervaux a mis en place un processus de portraits, filmant les femmes en situation. Partir de l’ordinaire pour basculer en quelques mots à peine murmurés dans l’abomination. De ces centaines de milliers de victimes de ces armes de destruction massive, viol et sida, combien à être encore vivantes ? Combien à avoir été fécondées ? A avoir mené une grossesse à terme ? Avoir accepté leur enfant ?
Témoignage de ces femmes sans aucun statut social. Définitivement ostracisées par leur famille qui n’envisage pas d’accepter l’enfant d’un assassin, elles témoignent dans ce film choral : « Elle est de moi, je dois l’aimer », « Je souhaitais sa mort », « M’acceptes tu comme mère ? » Témoignages hors du commun. Le regard de ces jeunes gens de vingt ans ouvre une brèche béante difficile à oublier.
Ainsi allait la vie foisonnante à Gindou en cette 30eme fournée des Rencontres.
Michèle Solle
Gindou 2014
Clap Noir
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